Une semaine en famille

 

 

 

 

 

Jeanne Sialelli

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une petite semaine en famille

​​ ou

​​ Hortense leva le sourcil gauche et continua à équeuter les haricots

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Roman

Les personnages :

Baptiste Laffond, notre père et Papy à l’enterrement duquel nous sommes tous venus; il ne parle plus beaucoup !

Apolline Laffond, sa femme, notre maman ou Mamie. Heureuse veuve, vous n’allez pas tarder à le découvrir.

Leurs enfants et petits-enfants :

– Alicia, l’aînée ; elle a fait un peu tous les métiers, ce qui veut dire aucun ; elle est mariée en troisième noce officielle à Benoît qui n’apparaît quasiment pas.

Elle a eu un fils, Sébastien, mort dans un accident.

– Guy, il est notaire, très sérieux, marié à Marguerite (dite Tata Pâquerette)

Ils ont fait 3 petits : André-Jean et Pierre-Thomas, jumeaux de 17 ans (leur rôle est minime, ils ont toujours le nez sur leurs tablettes)

Simon-Jacques (L’accident) 6 ans

– Antoine, mon père, est le petit dernier; il est marié à Valentine, ma mère, une belle américaine superbement carrossée.

Ils m’ont eue, je suis Jeanne, je suis la narratrice. RAS de mon côté.

J’ai un frère un peu plus jeune  : Teddy, il vit aux États-Unis depuis le divorce de nos parents.

Il y a aussi Hortense qui fait partie de la famille, tout en n’en faisant pas partie ! Elle est « à notre service » depuis qu’elle a 13 ans, c’est dire ! elle vient d’avoir 60 ans.

Tout ce petit monde n’est pas de l’année mais il n’y a pas d’âge, c’est bien connu, pour ceux qui s’aiment !

Florimond ! j’allais oublier Florimond ! pourtant il prend depuis peu une place importante dans notre famille! Vous verrez laquelle.

Tous les autres personnages ne font que passer. Alors si vous me dîtes que vous êtes perdu (e), allez consulter !

1er jour

Curieusement, je n’ai jamais vu ma grand-mère aussi guillerette qu’hier, jour de l’enterrement de son mari, mon grand-père. Elle tentait de le cacher et prenait des mines de circonstances avec ceux qui jugeaient bon de l’abreuver de ces phrases toutes faites telles que «Courage, nous comprenons votre douleur» «Perdre le compagnon d’une vie entière» «Nos condos»… condos quoi ? Condoléances bien sûr!

Digne, perchée sur ses petits talons, enveloppée d’un léger manteau noir, rouge sang eut été choquant, elle serrait les mains qu’on lui tendait. Mitaines en dentelles noires elles-aussi; non, par coquetterie mais du plus loin que je me souvienne, elle n’a jamais supporté les gants, habits de sorcières disait-elle.

Dès notre petit âge, elle nous tricotait des moufles de toutes les couleurs, moufles étêtées et des gants, puisqu’il faut les appeler ainsi, ressemblant plus à des gueules de crocodiles béantes qu’à autre chose. Le jour où elle s’est aperçu que nous ne les mettions pas, elle a fait son enquête; vite bouclée du reste; les copains se fichaient de nous «Trop fauchée ta grand-mère pour finir tes moufles» «Bouffées aux mites ou par des rats affamées?» «Ça te sert à quoi, ça?» Le « ça », c’était ces choses inachevées aux yeux des autres et censées nous protéger du froid. Sa réaction ne se fit pas fait attendre, elle a récupéré l’ensemble et transformé les « Ça » en de pures merveilles qui ont fait mourir de jalousie les moqueurs: gueules de lions affamées, gants de princesses, jolies tortues aux écailles dorées et même dragons menaçants.

Mais je m’égare, nous en étions à l’enterrement de Papy. Au fait, il faut que je vous  dise tout de suite que bien qu’il nous arrive de boire le café dans des tasses en porcelaine avec petites cuillères en argent, les grands-pères s’appellent Papy (on a échappé aux pépères) les grands-mères Mamie, qu’il y a des tontons et, pire encore, des tatas à qui mieux, mieux. Revenons à Papy, pourquoi avait-il choisi une belle journée de fin de printemps où tout est permis pour dire que, lui, il en avait sa claque de son épouse foldingue, de notre belle famille et finalement d’une vie sympathique certes mais qui n’offrait plus grand intérêt à ses yeux. Quelques mots vite jetés sur un papier, probablement pour que nous n’ayons pas de problèmes avec les autorités:

– Il a dit que c’est un naufrage, certes, mais il n’a pas dit qui devait rester à bord. Salut la compagnie, je pars seul puisque vous avez décidé de continuer le voyage! A la revoyure!

Le soleil était là, la chaleur encore timide et les corps dans les rues, sur la plage et au bistrot du coin commençaient à se dévêtir pour exulter sauf dans l’église évidemment qui, en plus de la froidure de l’hiver, exhalait une vague odeur d’encens et de bougies éteintes. Pendant tout l’office Mamie resta droite comme un i, certains pourraient dire figée dans sa douleur mais moi qui la connais bien, je voyais son œil frisotter et quand il frisotte, c’est qu’elle a une idée dans la tête et que nous sommes tous au bord de l’abîme!

Revenus des 4 coins du monde, certains même de Clermont-Ferrand (!), nous étions réunis pour ce funeste événement qui sur le moment nous surprit, Papy étant la joie de vivre; c’est bien après que nous eûmes quelques explications. En attendant nous mettions en terre un gentil vieux monsieur qui, avec elle, sa complice, nous avait appris à sa façon ce qu’était la vie.

A ma grande surprise, j’entendis Mamie marmonner entre ses dents – Quel con, vraiment quel con !

Derrière elle, dans l’église, tonton Guy, c’est le seul qui ait bien réussi et qu’on peut citer en exemple; notaire à Gerbay. Il n’y a pas grand chose dans ce bled, sauf sa demeure carrée, résistante à tous les vents et ornée comme il se doit de la flamme dorée: la justice assise dans toute sa splendeur qu’il demande à la bonne d’astiquer toutes les semaines et qui brille de 1000 feux. Située en plein centre du village, la bâtisse imposante fait face à l’église, ce qui est pratique: les heureux héritiers peuvent, la mine affligée, dès le requiem fini courir dans son officine et se requinquer ou s’effondrer à la lecture de testaments qui, quelquefois, surprennent.

C’est ainsi que nous avions appris que le charcutier, homme rougeaud et taciturne avait « farci » (humour facile, je le reconnais!) une dame du village voisin lui faisant pas non pas un, ni deux, mais trois enfants naturels tous beaux et gras! Mais ceci est une autre affaire.

Pour en revenir à Tonton Guy qui aurait préféré qu’on l’appelle « Oncle Guy », (impossible; de ce fait nous n’aurions plus pu appeler sa femme Tata Pâquerette, mais tante Marguerite ce qui est, vous en conviendrez, moins fun! il se tenait raide, dans un costume foncé nettement trop petit pour lui. Une chose est certaine, personne n’en parle dans les revues de diététique, les notaires, comme tous les notables d’ailleurs, prennent de la bedaine en vieillissant, tout comme les femmes après la méno mais il n’est pas convenable d’en parler. Omerta là-dessus ! Il tirait toutes les deux minutes très sérieusement tantôt sur une manche, tantôt sur l’autre pour cacher ses poignées de chemise d’un blanc éclatant. Tata Pâquerette à ses côtés s’ennuyait ferme agrippée à son sac Hermès comme si d’affreux loubards allaient tenter de le lui dérober. Il ne contenait rien, son sac, si ce n’est un billet de 5 euros soigneusement plié qu’elle avait prévu pour la quête. Important ce détail, une femme de notaire a des obligations, celle-ci entre autres : tenir son rang et jamais, au grand jamais, elle ne doit se laisser surprendre par la négligence.

Que ce soit pour une bénédiction, une messe, un baptême et bien plus encore pour un enterrement, la femme de notaire a l’obligation absolue d’être prête pour le grand moment de la quête. Non par charité, que deviendraient nos bons abbés, pas plus parce que Dieu se rappellera de sa générosité quand son tour viendra, mais pour une raison plus terre à terre: si, à au moment de la quête, une femme de notaire, se met à farfouiller dans son sac et à en tirer de la mitraille qui fait un bruit d’enfer, c’est fini, elle est soupçonnée de radinerie. On va obligatoirement jaser et jaser c’est pire que tout. Comme la rumeur, cela s’infiltre partout, passe de bouche à bouche, s’insinue dans de petites phrases, dans des regards complaisants, se glisse derrière un mot, peut-être deux, ouvre la voie au doute, du doute à l’alarme il n’y a qu’un pas! De la peur à la méfiance un autre et crack, c’est fini, les bons bourgeois ne vont plus venir régler chez vous leurs petits problèmes d’héritage, de succession, de gros sous et vont préférer le notaire du village d’à coté dont personne ne parle.

Et tout cela pourquoi?

Pour n’avoir pas pris le temps de plier un billet de 5 euros qui vous assure sérénité, assurance et confiance… Pâquerette, on ne l’y reprendra plus; elle en avait fait la cruelle expérience ! la seule fois où elle s’était montrée imprévoyante, prise de panique, elle avait ouvert son portefeuille et n’ayant trouvé qu’un billet de 50 euros, elle l’avait alors brandi en serrant les dents, pour qu’au moins on voit sa grande générosité ; non pliés, les 50 euros qu’elle voulait mettre dans la corbeille, se sont envolés et elle se retrouva à quatre-pattes face à la grenouille de bénitier qui, elle, ne voulait en aucun cas perdre la mâne qu’elle avait entre-aperçue. Encore maintenant Tata Pâquerette en a des frissons. 50 euros!

Heureusement, c’était à un mariage sinon il y aurait bien eu une bonne âme pour crier à la provocation. Ces riches quand-même, toujours là à nous montrer qu’ils ont du fric! Ce détail a de l’importance lui aussi: toutes les statistiques vous le diront, on est nettement plus généreux à un mariage qu’à un enterrement. Il est incontestable que pour les hommes d’église, il y a beaucoup moins de boulot à un enterrement. D’abord, il n’y a qu’un mort, donc qu’un seul nom à retenir, ensuite l’homélie est toujours la même qu’elle s’applique à la pire des crapules comme au plus doux, au plus honnête des hommes : tous furent de bons pères de famille, des citoyens exemplaires, tous vont manquer à leur famille, à leurs proches mais, respectons la volonté de Dieu qui, dans sa grande clémence, a décidé de les rappeler à lui. N’oublions pas que notre tour viendra et que tous, nous nous retrouverons enfin réunis dans la maison du Père…

Horreur suprême, inutile de faire des digressions là-dessus, cette éventualité nous fait tellement frémir qu’il faut voir la tête des gens aux enterrements! Sinistre!

2

André-Jean, Pierre-Thomas et Simon-Jacques, mes cousins étaient à côté de leurs parents. Les jumeaux se levaient et s’asseyaient quand il le fallait; s’agenouiller leur était plus difficile surtout pour André-Jean ; sa tablette glissait, il ne pouvait arrêter son jeu sinon il perdrait des points et serait déclassé. Pierre-Thomas devait le lendemain payer d’un torticolis l’attention latérale qu’il eut pour le jeu de son frère, mais c’est une autre affaire!

A un moment, André-Jean pris par le jeu et n’y tenant plus, eût comme un spasme que Tata Pâquerette prit pour un sanglot refoulé. Ne jugeons pas, l’un n’exclue pas l’autre. Ce n’est pas parce qu’il lui fallait absolument finir cette foutue partie qu’ils n’avaient pas, tout deux, de sentiment. Bien sûr qu’ils aimaient Papy qui, comme tout bon grand-père le fait, les avait initiés l’un après l’autre aux charmes de la vie. Non sans mal d’ailleurs : il avait d’abord tenté la pêche à la ligne ; les garçons depuis ne voulaient plus en entendre parler. L’un était tombé à l’eau en tentant de décrocher la mouche prise dans les branches d’un saule pleureur qui n’aurait dû jamais être là. Le second avait volé au secours de son frère. Papy, regardons la vérité en face, dût alors se demander pendant quelques secondes si ce n’était pas de son devoir de citoyen d’aider la nature à se débarrasser d’êtres nuisibles. Généreux, il n’en fît rien. Peut-être lui était-il apparu qu’en pareil cas sa lignée s’arrêterait net ; hypothèse insupportable ! N’écoutant que son courage, il plongea, fût surpris de ne trouver que quelques nénuphars, les deux galopins étant déjà dans les branches du saule.

L’expérience chasse ne fût pas plus concluante, il dût offrir au garde une somme que nous tairons, que de non-dits dans cette famille, pour que leur aventure ne s’ébruite pas. Papy se rabattit alors sur le strictement normal: la première clope, la première bière, il aurait bien voulu la première fille mais André-Jean le prit de vitesse et ramena à la maison une petite chose toute boutonneuse qu’il lui présenta entre deux portes comme « sa copine » Papy comprit. Pour ce qui est de Pierre-Thomas, son jumeau, le temps n’était pas encore venu. Enfin, c’est ce que crût Papy car il jouait encore à l’occasion avec ses legos. Était-ce un stratège pour lui échapper ? Ce que je sais de source sûre, c’est que la chose boutonneuse perdit extrêmement vite toutes ses pustules grâce aux soins attentifs et nombreux que lui prodiguèrent les deux jumeaux qu’elle ne pouvait distinguer. Comme quoi la vie est bien faite !

Pour ce qui est de Simon-Jacques, le benjamin,  « l’accident » comme le nommaient à voix basse ses parents, Papy n’avait jamais tenté quoi que soit. Le gamin avait les oreilles décollées, la morve au nez, de toutes les façons trop petit et toujours collé à sa mère.

Problème résolu maintenant que Papy est entre 4 planches.De l’autre côté de la travée Tata Alicia. Sa vie n’a jamais été et n’est toujours pas un long fleuve tranquille. On aurait pu, il y a quelques années, l’appeler sœur Térésa; deux choses nous en ont empêché : il faut être rigoureux, une tante, c’est une tante et pas une sœur. Je commence à m’embrouiller, tout un coup un doute, une tante, c’est… ? Bon, ça reste une tante quoiqu’il arrive et notre tante en est une. Après la disparition accidentelle de mon cousin Sébastien, elle était partie en Afrique donner sa vie, son temps, son argent à des petits noirs qu’elle nous proposait d’adopter, photos à l’appui, dans chacune des lettres qu’elle nous écrivait. Rentrée en France, elle reprit sa vie de bohème entrecoupée de crises mystiques, crises qui ne durent jamais longtemps. Munie de la Bible comme seul ouvrage de référence et d’une petite valise dans laquelle elle n’emporte rien ou presque, elle s’enferme dans un monastère, levée aux matines, couchée aux complies; assez vite, elle comprend son erreur, il lui manque tant de choses; dans le désordre : son parfum, ses petites culottes affriolantes, son bain mousse, un pull chaud, de préférence le gris en cachemire et ses potes. Alors elle nous revient. La bonne santé d’Alicia n’est un secret pour personne d’autant plus qu’elle est confrontée de façon récurrente à des situations qui n’arrivent qu’à elle; comme elle garde de bons rapports (si l’on peut dire !) avec Dominique son premier mari dont elle est divorcée depuis un bon bout de temps et avec tous ses vieux amants ; comme, à l’occasion, quoi de plus naturel, elle aime se remémorer avec eux le bon vieux temps passé, comme elle n’a qu’un petit calepin au fond de son sac pour noter ses rendez-vous, comme elle ne marche qu’à l’instinct, au plaisir, au petit vin blanc et à l’amour qui réunit les peuples, il arrive des courts circuits et elle débarque chez Papy et Mamie, pleurant à chaud de larmes et ne comprenant vraiment pas pourquoi Benoît est sorti de ses gonds en la voyant embrasser à pleine bouche Max son 3em ex. Entre deux sanglots, hoquetant et bavant elle raconte à Mamie ses aventures :

– Dis-moi comment peut-on être jaloux de quelqu’un dont j’ai divorcé il y a 7 ans. Il a quand même un droit de priorité, nous avons vécu tant de choses ensemble. Ce type est un détraqué. Je vais le quitter.

Mamie, c’est un rite, file à la cuisine, prend en se cachant de Papy la bouteille de bourgogne blanc qui s’y trouve et toutes deux, sur le balcon, un verre à la main refont le monde. Du coup, Mamie à chaque Noël offre un agenda à Alicia qui la remercie chaleureusement, malheureusement, il ne convient jamais.

– Maman, il est sublime, tu as dû le payer les yeux de la tête mais, ne te formalise pas veux- tu, dès demain j’irai le changer car jamais il n’entrera dans mon sac.

Le soir même, quelle chance pour moi, elle m’en fait cadeau !

Quand on a appris la mort de Papy, personne ne savait où elle était; comment la rechercher sans la mettre encore dans des situations abracadabrantesques. On l’a trouvée… c’est moi qui l’ai retrouvée chez Hugues, un ancien amant, cuvée 2011.

– C’est une chance vraiment que tu m’aies dénichée chez lui, des siècles que je ne l’avais pas vu, je revenais du monastère d’Eulalie-la-très Sainte, j’ai fait un petit crochet pour le revoir. Une chance, vraiment une chance mais n’en parle pas, ce sera mieux pour tout le monde; tu me comprends Jeanne, tu me comprends? Elle prit une profonde respiration, soupira et continua : – J’ai trop de peine, il vaudrait mieux que je ne vienne pas à l’enterrement, que je reste ici; tu veux bien Hugues ? Papy, c’était un père pour moi.

– Normal, je te rappelle au cas où tu l’aurais oublié que Papy est ton père, toujours ton père, la mort n’y change rien et si tu ne viens pas, imagine la tête de Mamie, sa peine; elle ne comprendra jamais pourquoi tu n’es pas là. Alors réfléchis; moi, je ne te fais pas de cadeau, si tu n’es pas à l’enterrement de Papy, je raconte à tous où je t’ai trouvée et on vient te chercher.

– Comment peux-tu être si méchante, moi qui t’aime tant et rester en même temps si…normale? Tu sais, moi, les conventions…. Et puis il y a vous, vous serez tous là, je crains les enfants de Guy, il y en a trop, la peine, la peine profonde a besoin de silence.

Elle s’est dégonflée et on a tous été très contents de la voir même si sa tenue n’était pas très orthodoxe : une superposition de jupes de toutes les couleurs, un boléro en velours noir très près du corps et des créoles. Elle était là, c’était le principal. C’était le premier enterrement depuis la mort de son fils, il y a 10 ans, et se retrouver dans l’église avec les mêmes mines affligées, nous a autorisés à en parler. Sébastien était à nouveau là, entre nous, il aurait 25 ans. La boulangère, une sage parmi les sages, a très bien résumé la situation : -Votre sœur, elle est un peu, enfin elle est, comment dirais-je un peu particulière mais perdre un enfant, on ne s’en remet pas. Elle n’avait que lui, la pauvre.

Pour 1000 raisons je n’ai pas envie de parler de Sébastien; nous avions le même âge, c’est tout dire. Une famille pareille où tout circule amour, haine, folies, convenances et trahison, il n’y a que l’union pour y résister et nous nous étions choisis ; il était plus qu’un cousin ; c’était lui mon frère de cœur, le vrai, Teddy était beaucoup trop jeune ( il a 5 ans de moins que moi).  De plus, pour ne rien arranger, les parents ont divorcé et Teddy est reparti avec Maman au États-Unis, je suis restée avec Antoine. Des frère et sœur qui ne se voient qu’une fois par an, c’est peu….

3

Papa semble vraiment très affecté. Il devient d’un seul coup le chef de famille et n’est pas préparé à cela. Je le regarde, il est juste devant moi, sa stature, sa façon de se dandiner d’un pied sur l’autre, sa main pour rassurer Mamie qui n’en a guère besoin et qui d’une petite tape le renvoie dans ses buts. Je sais que, malgré les apparences, leur peine à l’un comme à l’autre est très grande. Il n’y a pas de doute. Papa reste lui-même, jeans qui a beaucoup vécu et, effort consenti, une veste et une cravate. Je suis juste derrière lui. Maman n’est pas venue, tout a été si vite; de toutes les façons, l’aurait-elle fait? Je n’en sais trop rien; six ans qu’elle n’est pas revenue en France, ça desserre les liens. Elle aurait quand même pu nous envoyer avec un coup de pied au c… Teddy Junior; il a brillé par son absence; merde alors, c’est quand même son grand-père qu’on enterre. Faut dire, faut dire quoi? Pas d’excuse, il a 22 ans, il peut sauter dans un avion, lui dire au revoir et en profiter pour nous voir, nous, sa famille française.

L’histoire de papa et de maman, des plus courtes ça on peut le dire, des plus mouvementée aussi surtout pour l’époque, est finalement des plus banales. Papa est dans une école de commerce, il part aux États-Unis pour un stage d’étudiants, il a à peine 20 ans, « un cœur d’enfant qui bat », des hormones à en revendre, il est beau comme un Dieu le petit frenchy, des muscles un peu partout là où il faut et un regard bleu d’acier à faire se pâmer un couvent entier de jeunes novices. Il tombe dans une famille d’américains moyens, très moyens, hamburgers, base-ball, chewing-gum, petite maison à la haie bien taillée, femme au foyer inscrite dans trente-deux bonnes œuvres mais parlant comme une chiffonnière à son benêt de mari, camionneur aux gros muscles qui ne revient at home qu’en fin de semaine pour s’avachir une bière à la main devant la TV. Antoine (c’est Papa) se souvient surtout qu’au cours de ces engueulades, ce qui l’amusait le plus c’était de n’y comprendre rien mais alors rien du tout et que Teddy (difficile pour vous mais il y a Teddy père et Teddy junior, qu’on appelle très souvent simplement Junior, c’est comme ça,! Ça se fait là-bas) , donc Teddy le prenait à partie, voulant en faire un témoin objectif de la xeme scène de sa femme! Et dans ce fatras une perle qui n’aurait jamais dû être là, Valentine, ma mère!

Sur la fiche que lui avait fournie l’école concernant sa famille d’accueil, elles étaient bien répertoriées, elle et sa sœur Nancy mais il n’était rien dit de plus. Nancy, des frisettes, un appareil dentaire, des chaussures plates avec des soquettes, un surpoids certain, oublions-là. (Je ne l’ai vue que deux fois, elle a peur de l’avion) ; c’est quand même ma tata au même titre que les autres ; 20 ans après, elle est restée la même sauf pour l’appareil dentaire évidemment. Pour ce qui est du surpoids, elle est passée en XXL!

Miracle donc, jamais Valentine n’aurait dû être là, une anomalie dans la paysage. Le 2em week-end de son arrivée mon père voit arriver une créature comme on n’en fait plus, étudiante elle-aussi. Élancée, taille de guêpe et 90 E; (pour ceux qui ne le savent pas, des seins comme des obus) et les jambes qui vont avec… Souriante, cheveux très courts, pas banal aux USA, short au raz des fesses. Il la regarde ébloui, elle en fait de même. Je l’ai dit, je le redis encore mon père devait être un très beau garçon, aujourd’hui encore il fait craquer toutes les femmes et j’en suis une, c’est bien là le problème. Calmons-nous, je suis sa fille chérie. Je dirais quand même et cela rajoute à son charme qu’il est «  hypnotique ». Il dit que nous affabulons mais roule quand même des mécaniques quand un membre de la gente féminine apparaît. Le charme opère, la mayonnaise prend et monte, monte, durcit pendant que Teddy et Martha s’engueulent, du moins il croit qu’ils s’engueulent car le volume sonore atteint des décibels inconnus pour lui; Nancy se bouche les oreilles et, pour une raison encore inconnue de tous, va vomir dans les toilettes ; Valentine prend les choses en mains; long monologue qui calme tout le monde. Il ne saisit que des bribes mais il croit comprendre qu’il est devenu le sujet de conversation car les regards se tournent de plus en plus souvent vers lui. Il sourit que faire d’autre? Il devait avoir l’air idiot, complètement idiot, mais c’est comme ça que 10 minutes après, il faisait son sac et Valentine l’installait dans sa chambre au campus où il fût déniaisé sur le champ! Valentine, 4 ans de plus que lui, s’en était emparé et ce qu’on raconte sur la pruderie des américaines, c’est du flan!

Violé; mon père le plus heureux des gars de sa promo, le plus heureux des hommes fût violé par ma mère sans qu’il lui vienne l’idée de porter plainte. Par contre, les conséquences ne se firent pas attendre : 9 mois plus tard j’étais là, ce qui n’était pas prévu dans le scénario. C’est ainsi que, là-bas, il fût d’abord considéré comme un salopard, puis encensé puisqu’il fit venir femme et enfant à naître en France. Folklore dans les deux pays vécu de façon diverse mais pour la réconciliation des États, il n’y a pas mieux! Nous n’étions plus « des mangeurs de grenouille » et Papy évita tant que ma mère vécut en France ses réflexions stupides du genre, « des impérialistes qui ne mangent que des hamburgers » et toute autre réflexion raciste. Quant à Mamie, à l’époque, elle fût soufflée; elle leur avait envoyé un gamin, son enfant chéri, il revenait un homme; elle comprit très vite que la créature yankee le lui avait volé, elle fourbit alors ses armes et, sous couvert de fantaisie, de débarquements inopinés chez les nouveaux mariés, de petites remarques acerbes tenta de reprendre sa place, consciente toutefois qu’il lui manquait l’atout majeur: le 90-F qui le temps de la grossesse et de mon allaitement faisait simultanément descendre l’alphabet à la vitesse de l’éclair et prendre à ma mère des proportions quasi inconnues dans nos pays civilisés.

Je m’égare…

4

La chorale de l’église fit frisonner l’assemblée et Papy. C’est impossible qu’il en fût autrement. Chacun crut au chagrin de son voisin et c’est bien comme ça! L’église est petite certes mais personne n’aurait cru qu’elle fût pleine à craquer. Famille, amis, connaissances tous étaient là ; même les hommes, tous ses copains, qui en général préfèrent le temps des offices rester sur le parvis de l’église, par petits groupes, au soleil, pour fumer tranquillement leurs pipes en évoquant le temps qui passe, les oliviers qui ont attrapé la mouche et le percepteur qui les tond. Dans leurs costumes noirs, silencieux et graves, ils occupaient les derniers rangs (A part le père Boulard qui, comme à son habitude, refuse obstinément d’entrer chez les corbeaux, et faisait les cents pas dehors). Devant eux, toutes les corporations étaient représentées. Les pêcheurs bien sûr, les chasseurs qu’on reconnaissait à leurs pantalons de velours côtelé ; les potes du bistro qui n’avaient pas jugé bon de se déguiser vu qu’ils venaient de quitter le zinc, tanguaient comme si, eux aussi étaient entre vie et mort et attendaient le moment de reprendre leur poste, chez Lucette, en hommage à leur copain défunt ; le club de boules au grand complet. Gérard Lartigot avait un vrai problème et ne savait où se mettre. Il était, comme Papy, pointeur donc n’avait pas de responsabilité directe le jour où la tête de Raymond Duplat explosa, c’était Robert Devos qui tentait de faire un carreau. Il était de la partie aussi, Gérard Lartigot, le jour où, toujours avec papy, ils rabattirent si bien toute une horde de sangliers que ceux-ci traversèrent le village de la fontaine du haut à l’ancienne Mairie, les chiens aboyant à leurs trousses, qu’ils renversèrent la vieille Séraphine qui crut que les barbares étaient de retour et qu’elle avait une petite chance de ne pas mourir vieille fille. Quelle déception! Alors où se placer ? Chez les chasseurs ou chez les joueurs de boules? De grands gaillards essuyaient quelques larmes. Au 4em rang, les membres de l’atelier peinture où depuis des années Papy s’essayait à cet art. Le problème a toujours été chez nous, de lui faire accepter que certes, il a peut-être un don, mais qu’il n’est pas nécessaire pour autant de garder toutes ses œuvres et encore moins celles de la première et même de la deuxième année d’exercice. Là-dessus, Mamie n’a jamais lâché : – Dans ton bureau où tu veux, dans ton atelier, idem, mais si j’en vois une ailleurs, je la donne aux petits. Les nus, outre qu’ils leur apprendront l’anatomie, feront des cibles épatantes pour leurs jeux de fléchettes.

Les femmes se rappelaient, pour certaines, des souvenirs qui leur faisaient venir les larmes aux yeux… c’étaient des secrets de polichinelle car depuis belle lurette, ils faisaient la joie des pipelettes. Le petit qui dessinait tranquillement assis sur le prie-Dieu de sa mère disparut. Son frère le retrouva dans une des chapelles latérales, caché sous l’autel de la Vierge ; cela mit un peu de fantaisie.

C’est au moment de la bénédiction du corps, moment fatidique, dernière obligation, l’office est bientôt fini, les enfants vont pouvoir se dégourdir les jambes, chacun se compose un visage de circonstances avant d’attraper le goupillon et d’asperger le cercueil d’eau bénite, qu’il y eut un moment de flottement. L’abbé y était allé de ses dernières pensées : – Notre frère Baptiste va partir dans sa dernière demeure, que ceux qui veulent lui dire un dernier au-revoir s’approchent. Le groupe des peintres se déplaça alors sans grand bruit, comme une tache d’encre sur un morceau de papier buvard et vint se placer autour du cercueil. Le premier Vincent Moreau, bel homme d’une cinquantaine d’années à la grande moustache rousse tenait dans ses mains un pot de peinture d’où sortait le manche d’un pinceau; le deuxième, Pierrot le cantonnier, en tenait un autre, à bout de bras, vraiment n’importe comment, ce qui confirme qu’il est gentil certes mais sans aucune éducation ; venait ensuite Ahmed des espaces verts qui avait gardé sa salopette, les deux mains enserrées autour de son pot, presque religieusement ; un autre être, petit, rabougri avec des lunettes d’écailles que je ne connaissais pas les suivait, le poids du pot faisait qu’il avait une épaule beaucoup plus haute que l’autre; enfin Caroline, seule femme, ce n’est pas méchant de dire qu’elle compte pour plusieurs, terminait la marche et en tenait carrément deux elle-aussi à bout de bras. Leur professeur, un ancien hippie qui avait débarqué au pays il y a longtemps, quelques cheveux clairsemés poivre et sel ramassés en une petite queue de cheval, quelques poils sortant des oreilles, vêtu d’une grande chemise flottante qui, de son temps, due être rouge, un jeans que le même temps avait éclairci et des bottes noires fermait la marche ; il tenait le sien sur le bras, comme un enfant. Il le posa par terre, on vit du vert pomme. D’une voix forte qui gardait pour ceux qui ont de l’oreille un petit zeste d’accent parisien, il s’adressa à l’assistance étonnée : – On va pas le laisser partir tout seul. Puis se tournant vers Mamie tout en caressant d’une main le cercueil en bois clair où Papy, je l’espère, ne dormait pas encore du sommeil du juste et se régalait de cet impromptu : – Madame,vous en avez eu l’idée, alors vous serez la première, choisissez votre couleur, signez, laissez-lui un message, faîtes ce qu’il vous plaira de faire, il l’emportera là où il va. C’était un homme bien votre homme. Il aimait les couleurs, elles l’accompagneront. Ils se mirent tous au garde à vous, les pots étaient à peu près à la même hauteur. Je dis bien à peu près parce que le petit rabougri faisait ce qu’il pouvait !

Mamie, à petits pas s’approcha, hésita, choisit du blanc, dessina un beau cœur et leurs initiales ; les autres membres de la famille suivirent. Moi je pleurais, c’en était trop. Papa, je l’appelle toujours Antoine, mais ce jour-là c’était Papa, est venu me prendre dans ses bras et m’embrasser.Une bonne odeur bien virile me requinqua immédiatement, Kenzo, si je ne me trompe pas.

Ils défilèrent tous, y compris les enfants qui revinrent plutôt deux fois qu’une, enfin un peu de distraction. Tata Pâquerette dû sévir et récupérer Simon-Jacques que ce nouveau jeu amusait beaucoup. Émotion, amusements, pleurs, tout y était. Il n’y avait plus de places, on dû faire des superpositions. Pour être beau, c’était beau! Cette éclosion brutale de couleurs dans le chœur de l’église. Comme Mamie ne fait rien à moitié, je suppose que c’est elle qui avait donné aux 4 croque-morts qui portaient le cercueil des blouses blanches de peintres qui ne restèrent pas longtemps immaculées. Un miracle, c’eût été trop beau! Et l’abbé, me direz-vous? D’abord, il n’a rien compris ensuite, c’était trop tard, et de toutes les façons qu’aurait-il pu faire?

Fin du premier chapitre. Vous connaissez les membres de notre famille; vous ne savez pas encore grand-chose d’eux, ils vont se découvrir dans leur vérité qui n’est pas toujours reluisante. Ce qui est sûr, c’est qu’il y en a un qui n’aura plus la parole : papy. Il ne sera plus là pour se défendre. Préparez-vous au pire…

5

La petite route qui monte au cimetière est charmante; ombragée, ce que d’aucuns apprécient quand l’été arrive et que la chaleur devient caniculaire. Contrairement à ce que l’on dit, la proximité de la mer n’y change rien et n’apporte aucune fraîcheur à tel point que l’année dernière, en plein mois d’août, la famille d’Auguste Victor a exigé que l’enterrement du vieil oncle se fît à 6 heures du mat. Du coup les enfants en furent exemptés. Les enterrements, ce n’est jamais très gai mais celui-ci fut parait-il résolument sinistre. D’abord plusieurs personnes avaient trouvé des excuses pour ne pas se lever aux aurores, remplacées par les pleureuses habituelles qui se délectent toujours des prières matinales. Pas d’enfants donc pas de bruit, pas de cris, pas de grondements de mère, pas de portes qui grincent quand on fait sortir l’indiscipliné, rien qui ne perturbe l’office, rien non plus qui permette une échappée de l’esprit, un vagabondage.Le curé tiré quasiment de force de son lit était furieux; il avait commencé son homélie par: – Fernand est mort, eh bien, paix à son âme, il a quitté un monde féroce où on ne respecte plus rien. Et là, d’un œil réprobateur, il avait regardé la famille au 1er rang qui, sous la violence de la charge, baissa la tête, et asséné : – Son repos, à lui, sera éternel.

Pour Papy, c’était vraiment plus léger; chacun commentait l’idée de Mamie; les traditionalistes choqués de son initiative, d’autres étonnés mais plutôt heureux de la dernière surprise faite à leur vieux camarade qui, lui même, avait toujours été un brin facétieux : – Dommage qu’il ne soit plus là pour voir ça!

Les enfants courraient devant et derrière. Une petite fille s’appliquait à faire un bouquet de fleurs. La route est étroite, interdite à la circulation le temps de la montée de la côte. Pâquerette et Alicia échangeaient des douceurs : – C’était qui ce type à côté de toi à l’église?

Alicia sursauta, regarda au tour d’elle. – Mon Dieu, je l’ai perdu, où est-il? Et toi, ne me la fais pas, tu l’as très bien reconnu.

– C’est bien ce que je pensais, aucune retenue, pourquoi tu n’as invité que celui-ci et pas tous tes amants?

-Y’aurait plus eu de places assises! T’es vraiment coincée ma pauvre fille, le Seigneur a dit…

– Tu n’as aucune décence même le jour de l’enterrement de ton père…

– Ne me coupe pas, t’en crève d’envie d’en avoir des amants! Hypocrite, va! Ensuite le Seigneur a dit « Aimez vous les uns les autres », dans ce monde de guerre, de barbarie, je remonte les statistiques.

– Tu te crois drôle?

– Non, à vrai dire non. Alicia s’approcha alors de moi

– Ce vent me tue, on crève de chaud; je te l’avais dit : jamais je n’aurais dû venir. Je suis comme Papa, il me comprendrait. Lui non plus ne supportait pas les enterrements. Je me demande bien ce qu’il en pense. Enfin, je suis là, tu es contente!

– Au lieu de dire des conn… enfin des bêtises, va plutôt consoler Mamie.

– Elle n’a besoin de personne, regarde-la malgré cette horrible chaleur, elle monte la côte comme une chevrette.

Alicia jeta alors un coup d’œil inquiet vers le ciel: – A coup sûr, il va y avoir de l’orage. Puis elle partit en zigzaguant entre plusieurs personnes à la recherche de je ne sais qui, je la perdis de vue. Les jumeaux tentaient encore, la tête baissée, de finir leur partie. Ils trébuchaient de temps en temps mais rien ne les en aurait arrêté. Je m’arrêtais une seconde, les regardais tous suivant la voiture mortuaire, regrettant que Papy n’ait pas eu droit comme pour les mariages actuels à une arrivée dans sa dernière demeure dans une calèche tirée par des chevaux. On avait déjà défrayé la chronique, cela suffisait bien. Je ne savais pas que le pire nous attendait.

Le cimetière domine le village, là où on voit les cyprès, grands points d’exclamation, qui se détachent sur le ciel; quelques personnes attendaient déjà. De gros nuages d’orage ont masqué le soleil ; étonnant, car la journée s’annonçait belle; l’endroit était tellement charmant qu’on aurait pu penser à un pique-nique. Drôle de fête.

Je suivais Mamie, mon père et toute cette curieuse famille du regard. De temps en temps, l’un d’entre eux s’arrêtait, embrassait quelqu’un, une voisine, une connaissance, un inconnu, et repartait. On aurait dit qu’on était dans un film, que rien de tout cela n’était vrai. Nous étions en dehors du temps, de la réalité. Et puis nous sommes arrivés ; la tombe creusée était tout en haut du cimetière et chacun a pris des chemins de traverse pour y arriver. Il y avait bien une allée, mais si étroite, si petite que tout naturellement on est passé là, entre les tombes, à côté de celle de ce monsieur à moustache que ses petits-enfants assurent d’un amour éternel, photo sépia en médaillon, déjà attaquée par le temps; un peu plus loin un grand caveau, des gens bien, probablement des « riches », qui se retrouvent coincés sous des tonnes de granit. Plus loin, les oubliés, ceux dont les tombes tombent elles aussi en poussière, on y déchiffre à grand peine une date, quelquefois un nom sur une pierre moussue; là, des monceaux de fleurs artificielles qui dureront plus longtemps que le chagrin de ceux qui les y ont mises: pétales rouges écartelés, criards, rose fluo, œillets sanguinolents. Horreur.

Nous nous sommes tous mis, tant bien que mal, là-haut autour du trou. Il y eut un éclair puis de longues secondes après un coup de tonnerre mais si loin qu’il n’effraya personne. Néanmoins nous levèrent tous les yeux vers le ciel l’implorant pour qu’il ne pleuve pas. Tout le monde voulait voir, alors certains grimpèrent encore plus haut, sur le muret, pour dominer, d’autres se glissèrent comme ils le purent dans les premiers rangs.

Les 4 croque-morts arrivèrent suant et soufflant ; ils avaient contre toute attente réussi à se frayer un passage avec le cercueil recouvert d’un tissu blanc, la photo de Papy sur le dessus. Regard pétillant. Il était là, à sa façon.

Le curé entama un «Notre Père» puis un «Je vous salue Marie» à toute vitesse regardant de temps en temps avec inquiétude le ciel. Les jumeaux lirent un texte qu’avait dû écrire leur mère, pas de commentaires là-dessus, ce serait désobligeant et un jour comme celui-là, charité oblige qu’on ne se moque pas. Les croque-morts s’assurèrent que plus personne n’avait de mots à dire. Il fallut quand même attendre quelques minutes supplémentaires car quelqu’un entonna un «Ce n’est qu’un au-revoir», d’un kitch assuré, que quelques voix tremblotantes reprirent. Enfin, ils retirèrent la photo, le tissu, et le cercueil tout bariolé apparut; nous y étions préparés mais cela nous surprit quand même et la longue procession des gens qui tenaient à le bénir une dernière fois commença.

C’est à ce moment là que deux événements l’un incontrôlable, l’autre incroyable, se produisirent…

6

D’un seul coup d’un seul, la pluie se mit à tomber, un éclair zébra le ciel suivi d’un coup de tonnerre terrible. Tout le monde détala comme des lapins pour tenter de se mettre à l’abri; il ne resta que la famille qui stoïque voulait accompagner le défunt jusqu’au bout. Ce que je vis alors et je n’en crus pas mes yeux, c’est… il n’y a pas trente-six mots pour le dire : un membre viril, oui, c’est cela, avec ses breloques et même quelques poils follets était dessiné sur le côté le plus étroit du cercueil.

Si je l’avais vu, d’autres aussi. Mon père, c’est certain, il était à côté de moi et écarquillait les yeux, Alicia aussi, la famille cul-serré c’était sûr aussi car les deux affreux André-Jean et Pierre-Thomas ont explosé de rire et malgré la pluie sont repassés plusieurs fois devant, n’hésitant pas à aller voir de plus près! Et Mamie dans tout cela? Elle fermait les yeux.

Ce n’était pas le moment de se poser de questions. La peinture se diluait, nos signatures, nos témoignages d’affection avec et des torrents d’eau multicolores dégoulinaient et coloriaient la terre avant de disparaître. Les ruissellements finirent petit à petit par recouvrir l’objet qui, à son tour, disparut enfin. C’est ce qui nous autorisa à déguerpir.

Les croque -morts ne sachant plus quoi faire prirent, sous les feux du ciel qui maintenant se déchaînait, le parti de vite finir leur œuvre et basculèrent rapidement Papy dans le trou. Antoine et moi, cachés dans une petite chapelle dont Antoine d’un coup d’épaule avait forcé la porte, les entendîmes jurer comme des templiers. Nous étions mouillés jusqu’aux os, avions presque froid et Antoine me serra contre lui après m’avoir recouvert les épaules de sa veste. Nous partîmes alors d’un énorme éclat de rire que nous tentâmes de toutes nos force de réprimer.

-Tu as vu ce que j’ai vu?

– Pas de doute la-dessus!

– Quel dommage que Papa ne soit plus là, il aurait adoré!

– Où est Mamie?

– Guy le sauveur , le « spiderman » familial, l’a sauvée!

-Tu es sûr?

– Oui, je l’ai vu, il l’emmenait

-Tu crois que c’est elle qui…

– Qui l’a dessiné? Non, ce n’est pas son genre, pas un truc de fille mais, il hésita, avec Mamie… je n’en sais rien… Moi, c’est vraiment au dernier moment que ce …truc m’a sauté à la figure

– A la figure?

– Enfin tu me comprends! Toi, tu l’as vu quand?

– Je crois tout de suite, quand ils ont retiré le drap blanc, il faut dire que j’étais pile poil en face

– A propose de poils, je n’ai pas rêvé, il y en avait bien quelques uns ?

– Mais qui, qui bon sang a bien pu faire ça?

– J’ai froid !

– Serre-toi contre moi; mais je te préviens, au cas où tu ne l’aurais pas vu, ma chemise est trempée

– Oui, mais il y a la bête en dessous.

L’orage semblait ne jamais finir. Antoine risqua un regard au dehors, les croque-morts avaient filé, Papy était au fond de son trou, seul. Je n’aime pas les orages, qui les aime ? Mais un orage comme celui-ci, dans un cimetière, croyez moi, c’est effrayant et pire encore. L’eau ruisselle partout, gicle sur les tombes qui brillent, quelle horreur ! Le ciel nous punissait. Les croix, toutes ces croix que j’apercevais derrière les rideaux d’eau semblaient vouloir nous retenir ; mauvais film; je n’y étais pour rien, moi, dans cette macabre plaisanterie. Un éclair, encore un, un craquement terrible, un bruit assourdissant, par réflexe je me ruai sur la porte de la chapelle, la fermai et me jetai alors contre mon père. Je tremblai de peur. Je crois qu’il n’en menait pas large lui aussi. Nous étions dans le noir, entourés de morts. Antoine me serra contre lui, nous nous sommes assis par terre ; je défis un, non deux de ses boutons de chemise et glissai ma tête dans l’échancrure. Il y faisait plus chaud, j’étais dans un cocon, dans son odeur, j’aime son odeur, j’étais sauvée, surtout ne plus bouger, attendre. Il m’entoura de ses bras, me serra fort et mit sa main sur ma tête. C’était bon. Ne pas bouger, non, ne pas bouger. Mon cœur battait à tout rompre, je sentais le sien qui palpitait. Peur et chaleur, retour aux sources et odeurs, son haleine au-dessus de moi, ces paroles qui m’arrivaient assourdies :

– N’aie pas peur, je suis là.

Je me collai encore plus, ne voulant pas qu’il y ait quoi que ce soit qui nous sépare, corps contre corps, un seul corps ? Non, ne plus bouger, jamais. Un autre coup de tonnerre, il me sembla alors que la chapelle allait exploser et puis tout d’un coup plus rien, l’orage s’était éloigné. C’est lui, c’est Antoine qui me décolla de lui.

L’eau était entrée par en-dessous dans la chapelle, nous pataugions. Elle continuait dans le même temps son cliquètement sur le toit; j’avais les fesses mouillées et tremblai de tous mes membres.

– Nom de dieu!

– T’es dingue! On ne jure pas! Pas le moment de faire le malin avec Lui.

Antoine se mit à rire, ce n’était pourtant pas le moment.

– Parce que t’y crois, petite?

– Et pourquoi pas? T’as vu, on se fout de tout dans cette famille, Il se venge.

– Calme-toi. Un orage, ce n’est qu’un orage.

– J’ai juré, si je m’en sortais, de découvrir qui a dessiné cette « chose » et je vais m’y mettre, chercher quel est le connard qui a osé.

– C’est peut-être une femme. Que feras-tu quand tu auras trouvé le ou la responsable?

– Ça, je n’en sais rien ; première étape je le trouve; je verrai bien après.

Les affaires se corsent, notre famille serait-elle moins ‘clean’ qu’il n’y paraît. Un mort exacerbe toujours les passions, c’est bien connu, mais déchaîner aussi le Ciel, c’est rare !

7

Rien à dire sur la petite collation que Mamie avait prévu d’organiser après la cérémonie sauf que, inévitablement, les personnes arrivèrent au compte-gouttes. (L’expression est une fois de plus bien choisie). Certains avaient décidé de rentrer chez eux se changer, d’autres arrivaient dégoulinants, d’autres encore attendaient probablement que la pluie cesse totalement de tomber, terrorisés à l’idée d’un retour de l’orage. Où s’étaient-ils cachés dans cette nature accueillante?Petits fours, vin blanc et rouge à volonté. Après les inévitables commentaires sur les facéties du temps, chacun se crût obligé de dire à quel point Papy avait été un homme merveilleux, intelligent, cultivé. Quelle carrière n’est-ce pas? Mamie n’y tenant plus, à une vieille bique qui s’était incrustée là, répliqua : – Curieux qu’il ait déchaîné tant de passion, puis-je vous confier un secret ? et se penchant vers elle, elle murmura assez distinctement pour que tous l’entendent : – Il pétait au réveil, c’est dégoûtant mais… Vous le saviez n’est-ce pas?

Alors là, Simon-Jacques éclata de rire et se mit à courir autour de la table en criant : -Papy pétait, Papy pétait…  Sa mère lui coupa la route et lui fila une baffe ; hurlements. C’est la seule petite chose que nous retiendrons de cet agréable pince-fesses.

Pour ma part, debout dans un coin de la pièce, je les regardais tous et toutes car Papy aurait fait battre quelques cœurs, c’est du moins la rumeur qui courre; je n’avais qu’une seule idée, retrouver l’animal qui avait osé dessiné un « zob » sur son cercueil. Je me heurtais aussi à une autre difficulté, qui avait vu la chose? Comment donc mener cette enquête sans que l’affaire ne s’ébruite encore plus.

Mamie, contente de son petit effet auprès de la vieille taupe, s’était assise dans un grand fauteuil et semblait songeuse. Je vis Antoine s’approcher d’elle, puis Alicia prit la relève. Mamie? Qui pourrait penser que ce fût Mamie l’auteur de cette abomination? Certes Mamie est un peu particulière mais elle est d’une génération où on ne plaisante pas avec ce genre de choses. Elle devait déjà être au taquet avec son idée de faire signer toutes les personnes présentes sur le cercueil ;objectivement cela n’était pas possible que ce fût elle d’autant plus qu’elle m’avait semblé complètement ébahie là-haut, au cimetière. A voir, cependant.Alicia? Elle en était bien capable tout comme ces affreux mômes. 17 ans, c’est bien  l’âge des provocations. Éliminons d’entrée de jeu Antoine et moi. Restait des inconnus mais qui alors voulait soit rire une dernière fois avec Papy mais c’était d’un goût douteux, soit plus vraisemblablement l’injurier. Quel ennemi avait-il? Homme ou femme. Pas un indice, rien.

Rien à dire non plus sur le dîner de famille qui suivit. Tonton Guy se mit très naturellement à la place de Papy. Sa femme à sa gauche et la nichée se répartit autour d’eux. S’ils en font un autre, il faut l’envoyer au musée d’histoire naturelle, il doit bien y avoir une section «les anomalies de la nature». Cela dit, comment l’appellerait-on, puisque plus de la moitié des apôtres y est déjà passée. Il reste Barthélemy, Judas, ce n’est pas très engageant.

Antoine entra dans la salle à manger, il vit Guy présider et lança en riant un : – Qui va à la chasse perd sa place ; il y-en a qui ne perdent pas de temps. Ce qui fit ricaner les jumeaux et soupirer Tata Pâquerette. Apparemment papa s’en fichait complètement et s’assit à côté d’Alicia. Hugues, cuvée 2011 chez qui j’avais été la dénicher n’en menait pas large. Elle, volubile et pleine d’entrain voyait, comme moi, dans ce déluge un signe des Dieux; elle est vraiment timbrée, le serais-je un peu ? Quelle raison aurait-elle eue d’aller dessiner ce genre de chose sur la tombe de son père? A moins que… furieuse d’avoir été obligée de rentrer, elle ne fût à l’origine de…impossible ou presque, du reste, pour une fois elle avait choisi la discrétion et cachait ses retrouvailles amoureuses avec Hugues à l’Hôtel de la plage, vétuste mais charmant. Comment et quand aurait-elle pu ? À vérifier néanmoins.

Quand Mamie entra dans la salle à manger, elle s’arrêta, regarda ostensiblement la table familiale, fronça les sourcils et s’adressa à Guy:- Mon fils, pour le moment il n’y a plus de chef de famille, ce n’est que passager et même si la situation  perdurait, rien ne te donne le droit de prendre la place qu’occupait ton père.

– C’est Alicia l’aînée, tu ne vas quand même pas l’autoriser à y être.

– Pourquoi pas ? Restez là où vous êtes ce soir mais, dis-toi que ce n’est pas acquis et que j’y réfléchirai.

– C’est tout réfléchi, tu ne peux pas faire ça ; tu ne peux pas laisser Alicia présider la table familiale ; d’abord, c’est une femme ; ensuite, nous aurons droit chaque fois à un nouvel amoureux.

Alicia n’y tint plus : – Pauvre mais pauvre con. Indécrottable! Une mentalité de petit bourgeois, tu crèveras avec ton faux col et tes slips Kangourou. Les garçons éclatèrent de rire. Le petit hurlait et se mit à faire le tour de la table en sautant à pieds joints, ses mains sous le menton comme l’animal à qui nous faisions allusion – Kangourou, Kangourou, je suis un kangourou !  Hugues, s’il avait pu disparaître sous la table l’aurait fait.  Je fis du pied à Antoine, un petit clin d’œil de connivence aussi, (cette simultanéité n’est pas évidente); nous restâmes silencieux. Guy reprit les hostilités: – Si tu ne les fais pas tous taire, nous ne restons pas et faisons nos bagages

– A propos, combien de temps comptez-vous rester? demanda Antoine comme si de rien n’était. Tata Pâquerette mettant la main sur celle de son mari qui, furieux, menaçait de sortir répondit : – Si Mamie le permet, une petite semaine. C’est une chance que Papy soit mort à cette période… Elle rougit et se reprit : – Enfin, ce sont les vacances scolaires et Guy lui aussi est surmené. L’air marin nous fera du bien.

Alicia qui n’en perdait pas une, rajouta : – Et Mamie aura besoin de lui pour les papiers de Papy. Guy s’étrangla de rage, il hurla : – Et pourquoi pas ? tu as si bien mené ta vie que tu te retrouves seule, sans un rond, obligée d’aller quêter chez tes ex qui te ressemblent

– Du calme mes enfants, du calme. Hugues, puis-je vous proposer un petit verre de rosé? Allez-vous bien? Cela fait si longtemps…

A part ce petit esclandre, dîner classique si ce n’est que l’affreux gosse passait son temps sous la table et que cela l’amusait beaucoup de me chatouiller les mollets avec une plume d’oiseau ramassée je ne sais où .

Fichue journée, les autres n’ont malheureusement rien à lui envier car bien pires. L’enquête, elle, démarre à petits pas.

8

Le lendemain, je me suis levée tard avec un affreux mal de tête. Drôle de sensation, entre rêves et réalité et une réalité cauchemardesque. J’étais dans un hélicoptère, au-dessus du village, je poursuivais les « sacrilèges » sans distinguer qui ils étaient et ils étaient nombreux ; silhouettes indistinctes, sans têtes identifiables, ils hurlaient de rire, franchissaient les haies, couraient dans les champs, remontaient vers le cimetière, me faisaient des bras d’honneur. A tout moment je risquais de tomber, je me retournai vers le pilote, c’était un crabe géant, noir, qui lançait vers moi une pince ouverte qui me terrorisait. Le bruit devenait insoutenable, je ne me retenais plus, je mis mes mains autour de mes oreilles et commençai à glisser, glisser…

Brutalement, je me suis réveillée, dressée sur mon lit. Le bruit? C’était Guy qui passait la tondeuse. Je l’aurais tué.

Les cheveux sur les épaules, dans mon vieux tee-shirt de nuit, bien trop grand pour moi, cadeau oublié par Rémy mon dernier amoureux, pieds nus j’entrai dans la cuisine car la nature est là et j’avais besoin d’une petite collation. La maison est grande, vraiment grande avec salle à manger et salon mais, curieusement, c’est dans la cuisine que tout se passe. Elle est vraiment sympa ; rustique, une table de ferme, des bancs, de grandes baies vitrées donnant sur la mer, au loin, très au loin. Un joyeux foutoir partout. Mamie n’a jamais été une bonne maîtresse de maison au sens où on l’entendait autrefois alors les jours où Hortense ne vient pas, c’est l’horreur! Avec la réception de la veille, c’était pire que tout; il y en avait encore partout. Un café, il me fallait de toute urgence un café et un petit quelque chose à grignoter. J’entrai, vis Tata Pâquerette assise de dos.

– Bonjour ; tu t’es débarrassée des enfants ? Et Hortense, où est-elle ?

Elle ne répondit pas; je me retournai alors, elle était là, seule, assise, des yeux de grenouille, elle pleurait à gros bouillons dans sa tasse où restait un fond de café.Non, ce n’était pas le moment, je n’avais pas envie de connaître la cause de ces pleurs et pourtant j’étais là, comment faire  autrement? Je m’approchai d’elle, lui mis une main sur l’épaule, solidarité féminine exige.

-Tata, qu’est-ce qui t’arrive ?

– Ce n’est rien, ce n’est rien dit-elle la tête appuyée sur son poignet en cherchant de l’autre main ses kleenex. Je les attrapai et les lui fis glisser sur la table.

-Tu pleures comme un veau!

– Je suis fatiguée, trop fatiguée et puis ton oncle…

– Tonton?

– Ne l’appelle pas comme ça, tu sais qu’il ne le veut pas. Oncle Guy…

Je grognai. Le silence s’instaura juste les quelques secondes qui me furent nécessaire pour prendre deux dosettes, les installer dans le bon sens dans la machine à café, appuyer sur le bouton et entendre, ô quel bonheur, le bruit du café qui coule.

Je défis quiconque de trouver les mots exacts pour le décrire. (Le bonheur, pas le café !) Il se mêle tant de sensations. Attention, je me lance… Savoir que dans une minute, deux au maximum, on va émerger, le matin, de cet état d’hébétement ouaté qu’on a au sortir du sommeil, surtout s’il fût lourd ou chaotique, qu’on va entendre ce ronronnement non intrusif annonciateur que tout marche, qu’on peut compter dessus, que rien maintenant ne devrait empêcher l’événement de se produire et puis, tout d’un coup, alors que debout, on referme les yeux deux secondes peut-être trois, en se dérouillant vaguement les épaules ou en faisant jouer nos doigts comme si pendant la nuit ils s’étaient collés les uns aux autres, sentir les effluves qui nous enveloppent comme pour nous emmener ailleurs, vers un monde serein, enfin dans le même temps entendre le liquide qui coule d’abord en un flot rapide et puissant puis, en léger goutte à goutte ; étape ultime dans ce nirvana, tendre ses mains, se saisir de son bol, de sa tasse, de son mug peu importe, s’y brûler peut-être ; prendre intimement conscience de ce long cheminement, c’est, n’en doutons pas, accéder au bonheur suprême que rien ne peut égaler !

(Ouf!quelle phrase! Je vous avais prévenus)

Le bonheur suprême n’était apparemment pas pour Tata Pâquerette en ce belle journée printanière. -Tata, Tata Marguerite, que t’arrive t-il ? Nous l’appelons de son vrai prénom : Marguerite quand c’est sérieux ; Pâquerette ? Un surnom, une blague entre nous alors qu’elle était enceinte des jumeaux, grosse comme une otarie, les deux pieds comme les nageoires antérieures de l’animal, l’un à l’est, l’autre à l’ouest et surtout, le postérieur à raz de terre, grosse, luisante, éléphantesque… une beauté ! Qui a dit, « Marguerite, n’aie crainte, tu retrouveras une taille de pâquerette » ? Nous ne le savons plus mais c’est acté, elle est de ce jour devenue Tata Pâquerette !

– Fatiguée, je suis fatiguée et puis Papy et puis Guy, et puis Hortense, je n’en peux plus.

– Attends, attends, reprends dans l’ordre.

C’en était foutu de mon café, du plaisir que j’ai à le boire en petites gorgées, pieds nus devant la fenêtre, le regard sur la mer, à l’horizon. Foutu, pour foutu, je m’assis à côté d’elle

– Que tu sois fatiguée, je veux bien le croire avec les trois garçons ; mais au fait où sont-ils ?

– Les grands au village, Simon-Jacques quelque-part par là, il fait des dessins, de la peinture. Ce ne sont pas eux qui me fatiguent, encore qu’à 3 heures du mat, j’ai dû aller leur dire d’arrêter leurs jeux stupides. J’ai eu une de ces peurs, j’entendais des voix inconnues, j’ai réveillé Guy, il a refusé de se lever, le courageux ! En fait, c’était des copains à eux. Elle se mit à bredouiller : – Enfin leurs jeux… le web…les réseaux….des points, je ne sais pas comment ils font ; toujours est-il qu’ils jouent avec d’autres garçons habitant à l’autre bout de la France et même plus loin, je n’y comprends rien. Mais à 3 heures du matin, ils le savent, c’est interdit, leur santé…. Elle n’alla pas plus loin ; prudente, je lui proposai d’aller se recoucher une petite heure .

– Tata, vas-y, il n’y a pas de quoi te mettre dans un état pareil. Les grands vont s’occuper de Simon-Jacques ; 17 ans, ils en sont quand même capables.

– Tu as raison mais je n’arriverai pas à dormir, tout tourne dans ma tête. Je n’ai pas pu aller à la séance avec mon psychanalyste mardi et je ne pourrai pas y aller encore cette semaine, du coup je suis perdue, sans repères et nous restons encore quelques jours (les pleurs redoublèrent ; à croire qu’elle en a vraiment besoin !) et Papy…

– Quoi Papy ?

– Ses dernières volontés et puis l’orage et puis…tu sais de quoi je parle. Une horreur ! Qui a pu faire une chose pareille ? Moi, ça me choque terriblement, pas toi ?

– Des voyous, peut-être des gamins

– Des gamins, pourquoi des gamins ? Ça y est tu veux dire que ce sont mes fils ?   Elle re-éclata en sanglots

– Mais non Tata, je n’en sais rien. Ils avaient l’air aussi étonnés que nous, ils sont passés et repassés plusieurs fois devant le cercueil alors qu’il pleuvait des cordes.

-Tu vois bien que ce ne sont pas eux sinon ils n’auraient pas fait ça.

– Ça, c’est ta version ; tu leur as demandé ?

– C’est Guy qui s’en est occupé, moi ça me gêne, d’abord comment appeler ce…?

– Un phallus, un organe masculin; ils sont un peu trop grands pour un zizi !

– Je ne peux pas, je ne peux pas…

La colère alors me saisit, pas plus aujourd’hui qu’hier, je ne comprends et n’accepte cette pudibonderie idiote. Hypocrisie, éducation, je t’en foutrais alors j’explosai :

– Si tu préfères un zob, une pine, un phallus, un vié, un braquemart… t’as le choix ! Et je me mis à rire de façon compulsive. Le rire est contagieux parait-il. Ce ne fût pas démontré ce jour-là. Elle avait le diable en face d’elle et était horrifiée.

-Tu n’es pas drôle du tout

Je pensai alors à l’enquête, à ma responsabilité, au défi que je m’étais imposé et je tentai alors de retrouver mon sérieux.

– On oublie tout, ne fais pas cette tête. Qu’est-ce-qu’ils ont dit, les petits ? Ils ont nié bien sûr.

Tata resta 30 secondes silencieuse, les nez dans son bol, vide, avait-elle entendu la question ? Elle releva la tête : – Non, pas eux ! tu l’as dit, ce sont des gamins qui ont fait ça, des gosses du village, des mal élevés, je ne vois pas André-Jean et Pierre-Thomas…et puis ce genre de dessin, et puis Guy…

– Qu’est-ce qu’il a fait Guy ?

– Jamais je lui pardonnerai

– Mais quoi ? Dis, quoi ?

– J’ai trop honte, si je te le dis, tu n’en parleras à personne ?

– Une tombe, je suis une tombe (c’est d’actualité ; si elle savait qu’Antoine et moi, ce n’est pas une tombe qu’on a ouverte par effraction mais la dernière demeure d’une famille entière !)

9

– Eh bien, eh bien, ce matin j’étais mal foutue, tu le devines, donc je ne me suis pas levée la première. Guy est descendu seul à la cuisine. Cela n’arrive jamais, j’y mets un point d’honneur ; c’est moi qui lui prépare son café, ses tartines et j’imprime les gros titres des journaux pour qu’il parte à son bureau en en ayant eu connaissance.

-Tata pitié, je me fous de tout cela, je me contrefiche que tu soies ou non la plus crétine des femmes ; Tonton Guy ? Qu’a t-il fait ?

– Je le sais bien que je n’intéresse personne. Je voudrais qu’un jour au moins on parle de moi mais ça n’arrivera jamais

-Tata…arrête !

– J’ai eu des remords, je suis descendue.

– Et alors ?

– J’ai entendu des rires derrière la porte de la cuisine, elle était entre-ouverte, je n’ai pas fait de bruit, je me suis un peu cachée, juste un peu, et je les ai vus

– Qui ?

– Hortense et Guy ; Hortense était assise, là sur le banc, elle regardait une page sur laquelle Guy écrivait

– Il n’y a pas de mal à ça !

– Sauf qu’il était debout derrière elle, l’enserrait de ses bras, ce qui l’obligeait, elle, à se pencher un peu. Tu vois ?

– Oui, oui, je crois

– Conviens que ce n’est quand même pas habituel et pour moi, c’est pire encore, c’est inconvenant d’autant plus qu’il lui dessinait…ben, le truc, la chose, et ils riaient, riaient ; plus ils riaient, plus il rajoutait le reste, d’abord les testi… tu comprends.. ,puis les ppoooils. Je suis entrée et…

– Continue

– Guy s’est relevé, elle aussi du reste, brutalement. Tu sais ce qu’il a dit ?

Il a dit…Il a dit… « Tiens te voilà, pour une fois qu’on rigolait bien ! Je vais passer la tondeuse, je préfère encore ça que ta tête d’enterrement » (Nous y revoilà!)

– Ce n’est pas très gentil en effet ; et Hortense ?

– Elle m’a juré que c’était une plaisanterie entre elle et Guy ; que ce matin, elle avait été surprise qu’il descende le premier et que, c’est parce qu’elle ne comprenait pas bien ce qu’il lui racontait à propos d’hier, qu’il avait pris une feuille de papier et un crayon pour lui dessiner « l’oiseau ». Tu te rends compte, elle a appelé ça « l’oiseau! » c’est d’un irrespect ! Elle aurait pu dire et, à voix basse, comme si c’était un secret dont elle se délivrait et que personne d’autre que moi puisse entendre, elle osa :

– Zob, pine, queue, ça passe, mais « oiseau »

C’était fou, c’était surréaliste, je ne savais plus comment contenir le fou-rire qui commençait à monter, je me concentrai alors comme je pus, fis des efforts extraordinaires, m’obligeai à ne penser qu’à mon enquête. Elle insista:

– Guy et elle, quand même des plaisanteries comme ça, ça ne se fait pas, tu es bien d’accord avec moi ? Me faire un coup comme ça! À moi ? En plus, Hortense !

– Calme-toi, Y’a pas le feu au lac ! Il ne la troussait pas !

– Comme tu y vas, il n’aurait plus manquer que ça. Mais je l’ai tancée vertement quand même.

– C’est de bonne guerre.

– Sauf qu’elle a foutu le camp.

Tata alors jeta un coup d’œil circulaire dans la cuisine, puis dans la partie de salle à manger que l’on voyait, elle retomba assise sur le bout du banc, le dos voûté, comme assommée.

– C’est pour ça que je pleure, elle n’a pas fait grand chose, regarde ce bordel.

– Ah non…       Non de non, t’as raison.

Je n’y avais pas porté attention quand j’étais entrée dans la cuisine mais c’était vrai : des assiettes sales ici et là, des verres un peu partout, des cendriers pleins, le lave-vaisselle débordant, un spectacle d’apocalypse

-Ah non Tata, c’est trop pour moi, je vais aussi y aller de ma larme. Et le salon ?

A grands pas, j’y fus, espérant une bonne surprise, un miracle, qu’Hortense, au petit matin, ait commencé par là par exemple. Que nenni ! Je revins vers Tata toujours assommée, les jambes écartées, la tête basse.

– Non, ce n’est pas possible, j’appelle Hortense. Mamie va me donner son numéro.

Elle se dressa alors comme un cobra et, triomphante, les yeux pleins d’espoir me tendit un papier sur lequel depuis longtemps elle avait griffonné le numéro d’Hortense :   – Je l’ai, moi, je l’ai dit-elle. Tu vois ce que j’aime en toi, c’est que tu es une femme de décision. Pourquoi donc n’arrives-tu pas à retenir un homme ?

10

Tata Pâquerette vit alors que j’allais lui sauter à la gorge. Elle rétrograda immédiatement : – Pour ce que j’en dis, c’est ta vie après tout. Appelle Hortense, fais-le tout de suite, je t’en supplie ; moi, tu comprends bien que je ne le puisse pas. Un désordre pareil, il n’y a qu’elle pour nous sauver la vie. Tata fit mine de partir en laissant tout son foutoir sur la table. Malgré sa douleur extrême, elle ne s’était pas laissée aller : coquetier et œuf étêté, pot de confiture ouvert, miettes de pain grillé, beurre saccagé dans son ravier, bouteille de jus de fruits entamée, du 100% évidemment, et bien sûr couteaux et petites cuillères sales à volonté

-Tu n’oublies rien ? lui lançai-je au moment où elle quitta la pièce.

Elle se retourna, vit ce dont il était question, marmonna :- Un peu plus, un peu moins. Elle resserra autour de sa taille sa robe de chambre rose (mules assorties) et se retourna vers moi : – Je ne peux pas rester comme ça, je dois appeler Louis-Olivier Velasquez ; c’est mon psy. Sans lui, que serais-je devenue? Je t’en prie Jeanne, dépêche-toi, il ne faut pas que Mamie voit ça, tout ça, dit-elle les yeux exorbités. Au fait je ne l’ai pas encore vue aujourd’hui, tu crois que c’est normal ?

– Laisse-la se reposer, vivre sa vie, c’est un dur moment pour elle. Fichons-lui la paix

-Tu as raison.

– Encore une minute ; Tata, essaie de te rappeler, Hortense… où était-elle à l’enterrement de Papy ?

– Aucun souvenir

– Elle aurait dû être avec nous ou pas loin, elle fait quasiment partie de la famille.

– De la famille, tu rêves. Je les ai entendus Papy et elle, la dernière fois que nous sommes venus. C’était chaud, très chaud. Je n’écoutais pas mais tu sais, c’est plus fort que soi, on entend ! Elle prit une mine de conspirateur. – J’ai entendu Papy ; il avait sa voix des mauvais jours et il lui disait un truc comme… « Hortense, tu peux raconter ce que tu veux à Apolline (C’est Mamie), elle s’en fout maintenant et tu ne le sais que trop! Ne t’avise pas cependant de remuer cette histoire, tu aurais affaire à moi. » A ce moment-là Guy a grogné là-haut, j’ai dû partir.

– Tu es sûre de ce que tu me dis ? Tu n’as rien entendu d’autre ; fais un effort, c’est important. C’était quand ?

– Il y a un mois à peu près, nous étions venus les voir pour l’anniversaire de Guy. Important ? Pourquoi, c’est important ?

– Pour comprendre ce qui se passe dans cette maison.

-Tu as du boulot, ils sont tous cinglés. Du reste, je me suis engueulée avec Alicia, je n’ai pas mâché mes mots.

– Tata, Alicia je m’en fiche. Pourquoi Papy était-il en rogne, que répondait Hortense ?

Elle fronça les sourcils, fit mine de chercher dans sa mémoire, se mit à bafouiller et moi à espérer. Peine perdue. Sortit alors de dessous la table, Simon-Jacques ; ni l’une ni l’autre n’en avions deviné la présence. Tata Pâquerette sursauta, me lança un regard interloqué puis très vite inquiet.

– Mais que fais-tu là ?

– Rien. Rien. J’m’ennuyais pas, j’étais dans ma cabane et puis après j’pouvais plus sortir

– Et pourquoi donc ? Il se mit à pleurnicher en lui agrippant les jambes

– Tu criais trop Maman, j’avais peur… après j’ai fait des dessins et puis Jeanne est arrivée.

– Ce n’est rien, ce n’est pas grave, tu sais les grands aussi quelquefois se font la guerre ; cinq minutes après tout est fini. On s’aime. C’est comme toi avec ton copain Félix ; l’autre jour, vous vous êtes battus et bien maintenant il est toujours ton copain n’est-ce pas ? Pas grave tout ça. Viens mon poussin, ça te dit une glace ? Non, que je suis bête, ce n’est pas le moment, alors un kinder ? C’est ça, un kinder ?

C’était donc la guerre entre Papy et Hortense. A propos de quoi ? Et en quoi Mamie devait-elle être protégée ? C’est « l’amour » ou presque en Guy et Hortense ; cette dernière a t-elle voulu se venger de Papy en draguant le fils ? Que lui aurait-il fait? Tata serait-elle plus fine mouche qu’il n’y paraît? Être à ce point gourde devient suspect. Qui va faire la vaisselle ?

Il y a des batailles qu’il ne faut pas livrer et remettre en état de marche cette maison me semblait au- dessus de mes forces. Il me fallait donc dans l’ordre : me débrouiller pour qu’Hortense revienne, faire ma toilette et filer chez le menuisier. Le premier témoin de cette malheureuse affaire, celui qui avait fait le cercueil. Peut-être savait-il quelque chose ?

11

– C’est elle qui est venue me voir, c’était lundi. D’ordinaire j’ouvre pas. Elle est venue à l’atelier. On était en plein boulot, je l’ai pas entendu entrer. C’est en voyant mes deux abrutis d’apprentis s’arrêter de bosser et se mettre à se gondoler que je me suis retourné. Elle était là, tout contre moi; j’ai sursauté car j’ai eu peur qu’elle se blesse. Une petite vieille dame, vous m’excuserez mais elle est plus toute jeune « vot » grand-mère, ici, on n’en voit point. En plus, drôle d’allure; une plume sur son chapeau et des petites bottines noires à lacets; ça aussi, on n’en voit plus.

– Monsieur Imbert qu’elle me dit, mon mari vient de mourir.

J’ai bredouillé un truc comme mes condoléances mais je ne voyais pas où elle voulait en venir. Elle a continué : – Mon mari, vous le connaissez, c’est Baptiste.

– Baptiste, le Baptiste…

Elle l’a pris un peu de haut : – Bien sûr, il n’y en a qu’un au village, le mien. Je le saurai s’il y en avait d’autres. Vous savez depuis combien de temps je le connaissais ? Il n’est pas né celui qui le devinera.

Elle s’est approchée de moi et les yeux dans les yeux m’a dit : – On a eu la même nourrice alors vous pensez si je le connais. On ne s’est jamais quittés. Mais moi, c’est autre chose, personne ne me connaît, une petite souris grise, je reste à la maison ! Baptiste ? Toujours dehors à bavarder avec les uns et les autres, à boire des petits pastis, à flâner, à se donner du bon temps, vous croyez que je ne le sais pas?

– C’est comme ça que ça a commencé. Pas vraiment timide « vot » grand-mère? La souris grise, elle m’a fait faire tout ce qu’elle voulait d’autant plus que j’étais sous le choc ; le Baptiste mort? Un accident ? son cœur ? sa tête? Cause toujours, elle suivait son idée.

– J’arrive de chez Reblot, il n’y a pas ce que je veux. Ils ont essayé de me refiler un cercueil en chêne massif avec des poignées en or tarabiscotées, bien sûr que je n’en ai pas voulu, une fortune !  après quand ils ont vu qu’on ne me la fait pas, ils en ont sorti un autre, c’était un bois encore plus sombre et pas tellement moins cher. Ce n’est pas que je regarde à la dépense mais quand on est mort, quelle importance? Là-dessus, elle a hésité puis continué : – J’ai quelque chose à vous demander et vous ne pouvez pas me le refuser.

« Quand ça sera le moment, va voir Marcel », c’est ce que Baptiste m’a dit. Vous êtes bien Marcel au moins, je ne me trompe pas?  Elle m’a touché, elle avait les yeux pleins de larmes.

– J’ai dit oui bien sûr, c’est moi Marcel Imbert, personne d’autre. Y’a bien un Denis Imbert à La Redonne, c’est un cousin éloigné et des Imbert à Salon, il y en a aussi une tripotée, rien à voir avec moi

– Je vous crois ; mais qu’est-ce qu’elle vous a demandé Mamie?

– Ah oui, j’oubliais. Elle me dit donc que le Baptiste… j’y crois toujours pas qu’il soit mort;  faut comprendre : on est allés la semaine dernière ensemble aux bolets à pied rouge ; bon, on n’en a pas trouvés mais on s’est bien baladés.

– Mamie, que vous a demandé Mamie?

– Je ne vous l’ai pas dit? Je croyais pourtant; elle m’a demandé d’y faire son cercueil. C’est votre travail qu’elle a dit et c’est vous qu’il voulait. J’ai pas pu dire non.

– Son cercueil, c’est tout?

– Oui, mais pas n’importe lequel elle voulait, quelque chose de spécial ; enfin elle disait que c’était lui mais si elle avait été chez Reblot c’est qu’elle voulait du tout venant, du moins cher. Elle n’a rien trouvé, ce sont des voleurs.

– Qu’est ce qu’elle vous a demandé exactement, faîtes un effort, c’est important pour moi.

– Pourquoi donc? je lui ai livré quand il fallait, comme elle voulait.

– Ce n’est pas le problème, il était très bien votre cercueil mais lui, mais elle, qu’est-ce qu’ils voulaient? Qu’est-ce qu’ils vous ont dit?

– Lui, rien, motus, m’en a jamais parlé mais elle, ça elle est bavarde « vot » mamie; elle a dit d’abord du carton, comme si ça se faisait chez moi! Faut être fondu pour avoir cette idée; après elle a dit du bois clair, très clair; ça je pouvais, je venais de faire entrer du poirier ; je lui ai montré, elle a trouvé que c’était un peu rose « C’est qu’il était pas de la pédale, le Baptiste» qu’elle a dit en se marrant; c’est un phénomène votre grand-mère! Elle rigole, elle pleure, drôle de femme.

– Alors?

– Alors, on a convenu d’un sapin clair. Épatant, elle a dit, pas de vernis, je veux que le bois soit brut et c’est là qu’elle m’a raconté que tout le monde écrirait, non, peindrait dessus. J’ai cru avoir affaire à une folle comme il y en a quelque fois dans les villages mais non, elle a été très claire et m’a tout expliqué, comme quoi…

– Oui, je sais, c’est ce que nous avons fait.

– Belle idée, j’y serais bien allé mais avec le commerce et ma femme qui s’est cassé la jambe. De toutes les façons, ça le fera pas revenir.

– Ce cercueil en bois clair, il y avait quelqu’un d’autre au courant?

– Non… si, ma femme, je lui ai dit le soir.

– C’est tout?

– Je crois bien et puis, bien sûr, les deux autres là-bas, quand il y a une occasion pour ne rien foutre…ils écoutaient bien sûr. Faut pas que que j’oublie quand même que, sans eux, jamais je n’y serais arrivé seul. C’est du boulot un cercueil. Ils râlaient drôlement que c’était pas des CDI mais des apprentis, fallait les entendre. Y’en a même un, le plus grand, qu’a dit : «Tout ça pour un vieux con», eh bien, sa prime de fin de mois, il l’aura pas et j’lui ai dit. L’autre, il vaut pas mieux, il fait ses coups en douce.

– Vous avez bien vérifié le cercueil avant de l’apporter à la maison?

– Plutôt deux fois qu’une, il était impeccable. C’est que sans vernis, je craignais les tâches. On salope pas le cercueil d’un ami.

– Devant, enfin sur le côté où il y a les pieds, les pieds du défunt, il n’y avait rien?

– J’vois pas ce que vous voulez dire. Ici c’est planche par planche qu’on découpe, qu’on assemble. Vous pensez bien qu’à 3, y’en aurait bien eu un qu’aurait vu quelque chose. C’est quoi donc qu’il fallait chercher?

– Rien, j’ai cru voir quelque chose, je me suis sûrement trompée. Faites-moi plaisir, si vous vous souvenez de quelque chose, si quelqu’un n’aurait pas dû être là et a entendu ce que vous demandait ma Grand-mère, appelez-moi. Voilà mes coordonnées.

– J’y comprends rien mais je le ferai.

– Merci, merci pour Papy.

– J’y pense y’a Totor, enfin Victor le fils de Simone qu’est passé. Vous le connaissez, ça c’est sûr, c’est celui qu’est pas bien fini, qui parle pas du tout, qui fait tout le temps des nœuds avec sa ficelle à la fontaine. Il rôde souvent par ici. Je lui donne des planches à raboter, c’est pas dangereux et ça l’occupe.

– Il était là ce soir-là?

– Je crois bien. Il est comme il est mais c’est un bon garçon, inoffensif. Ici, on dit qu’il est brave et c’est vrai, il est brave.

Le père Imbert eut un petit sourire gentil.

Résumons-nous: il y avait donc deux malappris, un «brave», un gentil, le menuisier lui-même, tous auraient pu dessiner la chose; à ma connaissance aucun n’avait de motivation réelle, tangible; encore que les deux apprentis, s’ils étaient si furieux que ça de faire des heures sup, avaient peut-être eu l’envie de signer leur œuvre ! On ne sait jamais. Je les regardai de loin une dernière fois, non ce ne pouvait être eux, pas assez de couilles pour en dessiner! Je décidai de les retirer de la liste des suspects. Je n’avais pas appris grand chose d’exploitable chez le menuisier. Je rentrai à la maison en fin de matinée et décidai de me concentrer d’abord sur la famille. Il est vrai que nous sommes aux yeux des autres un peu, comme dirais-je- « atypiques » mais j’étais bien persuadée cependant qu’aucun de nous n’était capable ou plutôt n’aurait eu envie de faire ce genre de chose.

Papy, on l’aimait tous bien.

Le soleil brillait. Je me suis demandé si j’allais m’installer sur une chaise-longue dans le jardin mais la meute y était ! L’un ayant décidé de changer de carrière et de devenir horticulteur, l’autre reniflait toujours dans son mouchoir, les garçons un peu plus loin conversaient à toutes voix avec d’invisibles inconnus

-Ne t’inquiète pas, ce sont des copains virtuels.

Bon d’accord pensais-je mais pourquoi viendraient-ils perturber ma vie ?

Je décidai de me faire un sandwich et de filer discrètement à la plage. Mamie était toujours dans sa chambre. Nous respections son silence, la journée d’hier ayant été particulièrement pénible.

Ce n’est pas ce qui s’est passé l’après-midi même qui m’a aidée à éclaircir l’énigme.

12

Oublions ce début de journée désastreux où l’enquête n’a pas beaucoup avancé. J’ai quelques suspects mais sans réelle motivation.

Rien ne remplace les premiers jours de soleil surtout lorsque les hivers ont été rigoureux, ce qui avait été le cas. Le corps cherche le soleil, en a besoin et se reconstitue. La chaleur, elle-aussi, était au rendez-vous et je lézardais toute la journée, seule, dans le petit coin de plage que je préfère, quand j’entendis des appels. D’abord je crus rêver car les clapotis de l’eau les masquaient mais bientôt, il n’y eut plus aucun doute, Antoine m’appelait :

– Jeanne, Jeanne, viens.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Viens, dépêche-toi, Mamie…

Il semblait dans tous ses états. Rapidement j’enfilai pas dessus mon maillot de bain ma jupe, pris mes espadrilles à la main et ramassai à la hâte tout mon petit barda : crème solaire, lunettes de soleil, magazines et me précipitai en hurlant à mon tour :

– Quoi, Mamie ?

Il était encore trop loin pour que je perçoive distinctement quoique ce soit ; jamais la petite dune ne me sembla si haute, j’arrivai toute essoufflée.

– Viens, dit-il

– Où ? qu’arrive-t-il ?

– Je t’expliquerai dans la voiture.

Il partit à grandes enjambées, la voiture n’était pas loin, je ne pris pas le temps d’enfiler mes espadrilles et me mis à courir pieds nus.

– Dépêche-toi.

– J’arrive, j’arrive.

Il mit le contact, démarra sur les chapeaux de roue.

– La gendarmerie vient de m’appeler.

– Un accident, elle a eu un accident ?

– Non pas du tout, du moins, je ne le crois pas ; elle y est, je dois aller la chercher.

– Mais pourquoi ?

– Je n’en sais rien ; ils n’ont rien voulu me dire au téléphone.

– Comment ça ?

Je regardai Papa, de profil, il est vraiment très beau. Il ne s’était pas rasé et faisait, dans la lumière de la tombée du jour, vieux baroudeur. J’aime ça ! Il semblait contrarié, les mâchoires serrées, le regard sur la route (normal, il était au volant) mais cela n’expliquait pas les sourcils froncés.

– Antoine, ne fais pas cette tête, si elle va bien, il doit bien y avoir une explication.

– Je me demande ce qu’elle a inventé.

– Comment ça ? Peut-être est-elle en panne, la vieille deux cv l’a peut-être lâchée ?

– J’en est marre, pourquoi n’a t-elle pas pris la voiture de papa ?

– Ce serait une grande première, depuis 25 ans elle prend sa deux cv.

– C’est de la folie !

– Pour ce qu’elle fait de kilomètres, en quoi ça te gêne ?

– Un jour, elle…

– Et la liberté, tu connais ?

Antoine resta silencieux quelques minutes. Je montai mes pieds devant moi sur le tableau de bord ; toutes les femmes vous diront qu’elles le font et toutes aussi que ça fait hurler leurs mecs. Ça n’a pas loupé !

– Baisse tes jambes, tu vas abîmer….

Leitmotiv habituel…. Je ne le laissai pas continuer.

– Abîmer quoi ? Dis-je en me frottant les mollets et en faisant tomber le sable qui s’y était agglutiné.

– Tu vas tout me saloper.

– Du sable, ce n’est du sable ; tu vieillis, en faire un plat pour 4 grains. En plus, c’est super bon d’avoir les jambes en l’air, recommandé par la faculté elle-même !

– Je m’en fous, moi, de la faculté, je viens nettoyer ma tire.

– Arrête, on est bien. Super journée après celle d’hier. Ne gâche pas tout. Pour Mamie, que veux-tu que ce soit ? Rien, elle est en sécurité.

Les fenêtres étaient ouvertes ; ma jupe a d’abord flotté un peu puis est remontée jusqu’à mon string (c’était mon maillot de bain ne l’oublions pas !). C’était bon.

Il mit sa main sur ma cuisse (des gouzis, gouzis partout que j’ai contrôlés) -Toi, tu tiens de ta mère, une battante, une belle battante !

– A propos de Valentine… (Ma mère, pour ceux qui continuent à ne pas suivre).

– Ah non, pas de psychologie de bazar aujourd’hui, on en a assez, avec Papa qui s’envoie en l’air…

– Drôle de façon de dire ça. Je ne te parle pas de Valentine pour remuer le passé, je t’en parle parce qu’elle a téléphoné.

– Téléphoné ?

– Oui, elle s’inquiète pour Teddy. Il a pris l’avion il y a trois jours pour assister aux obsèques de Papy et n’a plus donné signe de vie. Il avait promis de lui téléphoner quand il serait arrivé en France.

– Teddy a disparu ?

– Disparu, c’est un peu fort ! Il est vrai que personne n’a de nouvelles ; au demeurant, pas de panique, il a 20 ans…

– Ce n’est quand même pas normal. Il faudrait peut-être déclarer sa disparition à la gendarmerie.

– Il est majeur, attendons encore un jour ou deux.

– Tu as raison. On arrive, rhabille-toi !

– Je ne suis pas à poil, tu fantasmes !

– Baisse tes jambes et sois sérieuse.

Quand on entre dans une gendarmerie, il n’y a pas : tout de suite profil bas. Faut-dire que les affiches aux murs n’incitent pas à la rigolade, entre les personnes disparues et les consignes pour les inscriptions sur les listes électorales, pas la moindre petite place pour un dessin encadré de Charlie Hebdo ! Lino marronnasse, murs verdâtres et un gendarme au demeurant à l’air gentil, oui, un gentil gendarme derrière son comptoir.

– Je suis le fils d’Apolline Laffond ; il paraît qu’elle est chez vous. Je viens la chercher ; que se passe t-il ?

Le gendarme se retourna vers moi ; comme si j’étais une petite fille timide, incapable de m’exprimer. Antoine fit les présentations :

– Ma fille Jeanne, sa petite-fille.

– Et son mari ?

– Il est décédé. Nous l’avons enterré hier.

Le gendarme prit un papier qui ressemblait à une déposition, releva la tête et dit : – Elle a dit la vérité alors. La seule vérité probablement.

– Mais enfin qu’arrive t-il ?

– Nous attendons le feu vert du procureur pour savoir si nous maintenons sa mise en examen ou pas, et si nous la déferrons. C’est une question de minute.

– Je n’y comprends rien.

– Nous devons vous entendre Monsieur et savoir si elle a agi seule ? A t-elle des complices ? un réseau de receleurs ?

– Mamie ?

– Je vous en prie Madame, peut-être Mademoiselle, calmez-vous ; nous ne faisons que notre travail. Dans le meilleur des cas, elle écopera d’une amende mais devra se présenter devant le tribunal correctionnel.

– Mais pourquoi grand Dieu ?

– Pour injures, coups et blessures, menaces de mort, outrages à agents de la Force Publique dans l’exercice de leurs fonctions.

– Quoi ? Je n’y crois pas, je veux la voir. Ce n’est pas de ma mère dont il s’agit ; vous vous trompez d’identité.

– Vous êtes bien le fils d’Apolline Laffond ?

Je vous passe le reste. Ce qui est sûr, c’est qu’on est rentrés vers 11 heures du soir. Mamie voulait s’arrêter au Mac Do, Antoine a été catégorique : non. C’est curieux, elle n’a pas insisté.

13

Nous n’avons eu que la version de Mamie dans la voiture car le Procureur de la République, dans sa grande clémence, n’a pas décidé de son incarcération.

– Tout ça, c’est de votre faute ; ce matin j’étais plutôt de bonne humeur et en forme quand j’ai entendu que ça se chipotait à la cuisine. Je n’allais pas m’en mêler. Alors je me suis dit « Ma fille, tu as passé les 70 ans, tout peut s’arrêter brutalement » ; regardez Papy, rien ne dit que je ne vais pas faire, comme lui, une dépression. Je me suis donc dit qu’il y avait plein de choses que je m’étais interdite et qu’il était vraiment temps de me bouger, d’oser, d’y aller et j’y suis allée. J’ai pris la deuch et droit sur Montbour ; bon, c’est vrai, ce n’est pas à côté mais j’avais besoin de me changer les idées. Je m’y suis fait un petit gueuleton, un vrai, aux petits oignons avec un pauvre gars que j’avais ramassé en stop. Je dis pauvre gars pour vous attendrir et pour attendrir aussi ce balourd de juge mais c’était un beau loubard, des tatouages partout et même un truc qui lui passait dans le nez. Quand je l’ai pris sur la côte de Navali, il était avec un clébard et un gros sac. Je l’ai prévenu « Il est midi, j’ai une faim de loup ; je n’ai pas pu prendre mon petit dej ce matin, ma belle-fille et la bonne se crêpaient le chignon. Je trouve cela d’un vulgaire, j’ai préféré tirer discrètement ma révérence. A 4 kms il y a un resto du tonnerre de Dieu, 12 étoiles au Michelin, on y va mais je te préviens : on ne paye pas ; d’abord je n’ai pas un sous sur moi, ensuite ça m’amuse. Enfreindre quelques lois…j’en rêve depuis 70 ans ! Et pour un déjeuner, on ne risque pas gros n’est-ce pas ? Il nous faut juste être malins et rapides ! »

Je croyais qu’il accepterait tout de suite (Comme quoi on se fait des idées ! Un peu hippie et, c’est fait, c’est un voyou!) eh bien non, il a pris tout son temps, il a réfléchi, il me regardait avec un drôle de sourire, puis il a dit « Banco ». Je lui ai fait une jolie queue de cheval, il s’est un peu refringué et zou, on y est allés. A pour s’être amusés, on s’est vraiment amusés, je vous raconterai ! une adresse à retenir, nous avons vraiment bien déjeuné, c’est de la grande, grande cuisine ! En deux mots : « le meilleur », on a pris donc ce qu’il y avait de meilleur et puis on s’est tiré et on a gagné… Wouah ; je ne croyais pas y arriver, eh bien si ma fille, a-t-elle dit en se tournant vers moi, je ne suis pas un si vieux croûton que ça, je sais encore courir !

Je voulais me récrier, je n’en eus pas le temps, elle a continué : – Après, il a récupéré son clébard, reprit la route, j’ai joué cavalier seul. Bon, ce n’est pas glorieux, je voulais… c’est bête à pleurer, mais j’avais envie de faire encore monter l’adrénaline. J’ai été piquer chez Berthoullier, le bijoutier, un très joli collier.

Elle a retiré quelques épingles à cheveux de son chignon, ses cheveux sont tombés sur ses épaules ainsi qu’un collier qui brillait de mille feux. Il a glissé dans sa main comme s’il allait se nicher dans celle de sa propriétaire légitime ! – Tiens, il est pour toi, me dit-elle, essayant en se contorsionnant de me le mettre autour du cou. D’un air satisfait elle me regarda et affirma : – Alicia a raison, les objets vont rejoindre ceux qui les aiment, qui sont dignes de les porter. Tu es magnifique, ma petite.

– Mamie, Alicia est carrément klepto, ce n’est pas bien.

– Sornette que tout cela, voilà à quoi mènent les discours libéraux ; le fric, le fric et chacun pour soi ; moi, maintenant, je suis pour le partage. J’ai été droite dans mes bottes et pour ne pas flancher, je disposais d’un atout de taille : je n’avais pas un kopeck, donc pas le choix ! Tout a été sur des roulettes, c’était grisant, pas d’autre mot. C’est après que ça a mal tourné, erreur de stratégie, il faut reconnaître que j’avais peut-être vu trop grand ! Avec la maison pleine, j’ai décidé de faire le réassort à l’œil. Je suis allée au grand sup sur la route de Cléry, j’ai repéré la sortie de secours, ai garé la deuch juste devant et… en avant marche. Caddy plein et je vous gâtais en plus ! Y’en avait pour tous. Pour toi, mon grand, des petits foies gras, tu adores ça n’est-ce-pas ? et pour ton coincé de frère…, tiens, tu vois, je vieillis, j’ai oublié ce que je lui ai pris. Ça a sonné tout azimut quand j’ai passé la porte. C’est fou, on est dans une société où tout est contrôlé. Les libertés individuelles, je t’en foutrais ; bref, il y a trois malabars, des noirs, je ne veux pas être raciste, mais comment veux-tu que je m’explique avec des grands noirs ? D’abord c’est inégal, je suis trop petite. Ils ont fait les gros yeux et moi, je n’avais plus d’autres solutions que de dire que je ne comprenais pas, que j’étais une dame âgée, que je croyais que c’était la sortie puisque la porte était ouverte et que, c’est vraiment avoir mauvais esprit de croire que j’avais prémédité quoique ce soit car, si j’avais garée la voiture là, c’était parce que c’était à l’ombre. Rien à faire. Dernier argument, qui m’a coûté celui-là, j’ai mis ton père dans le coup et j’ai pleuré que je l’avais enterré hier. La vérité n’a servi à rien. J’ai tenté alors le dernier joker : il m’a coûté aussi celui-là car j’en ai rajouté: « Je suis vieille, je ne me souviens de rien, ça m’arrive parfois. Ah oui, j’ai oublié ce matin mes médicaments. Alzheimer c’est vraiment une vacherie… » Peine perdue : soit je payais, immédiatement, cash, il y en avait quand même pour 320 et quelques euros, soit ils appelaient la gendarmerie, ce qu’ils ont fait, les chiens. Reconnais qu’il n’y avait quand même pas de quoi en faire un drame… Eh bien si, figure-toi qu’ils ont fait venir toute une escouade de gendarmes puis zut, je suis là, c’est le principal, je suis fatiguée, toutes ces émotions, on n’en parle plus. Entendons-nous, Guy et Marguerite, ce n’est même pas la peine de tenter de leur expliquer.

Ils étaient là bien sûr quand nous sommes arrivés. Sur le perron, debout sous la lanterne qui diffusait une lumière jaunasse. Sa petite femme cachée derrière lui, Guy ressemblait à la statue du commandeur.

– Ne m’interroge pas, mon fils, la journée a été rude. Nous verrons cela demain. Je vais me coucher.

Mamie se glissa alors entre nous et commença à monter l’escalier.

– Et toi, tu as passé une bonne journée ? Nous ne sûmes pas à qui s’adressait cette question. Elle continua d’un pas vif à monter l’escalier. C’est, arrivée en haut, qu’on l’entendit appeler :

– André-Jean, Pierre-Thomas ?

Ce à quoi elle ne reçut en réponse que quelques grognements. Persévérante, du seuil de sa chambre, elle réitéra : – André-Jean, Pierre-Thomas, j’ai besoin de vous, c’est urgent !

La masse indistincte que composaient les jumeaux sembla alors se détacher de la banquette où ils étaient vautrés et nos deux ados grimpèrent alors l’escalier.

La journée était finie, bien finie. Rien à en dire, ça dépassait l’entendement ! Et l’enquête qui n’avançait pas. Encore que….. Et Teddy, nous avons oublié Teddy ! Où peut-il bien être passé ?

14

Le lendemain, c’est Hortense qui nous réveilla. Elle hurlait dans le couloir, au milieu des escaliers, des bouts de phrase sans queue ni tête :- Madame, Monsieur Guy, Antoine, c’est affreux – le journal – ils ont dit dans le journal – pauvre Monsieur – scandale – famille –

Nous étions tous là, sortis pour la plupart brutalement de notre sommeil, les yeux bouffis, le cheveu en bataille et dans des tenues diverses. Guy avait eu le temps de mettre, sur un pyjama à rayures, petite passementerie sur les revers, une robe de chambre grenat qui s’harmonisait parfaitement avec la chemise de nuit rose en coton, col « Claudine », petite dentelle discrète de sa femme. Le tout petit était en slip, les deux ados à moitié à poil aussi se tenaient au mur. Papa, non, Antoine, pas mal au réveil ! Tee-shirt noir comme il fallait s’y attendre sur une poitrine musclée; y’a pas, il est vraiment mon type. Dommage que je sois sa fille. Et moi, eh bien moi comme d’hab, tee-shirt blanc aussi, vaste, qui me tombe à mi-cuisse. Je les aime unis ; celui-ci dérogeait à la règle, car sur le devant, en grosses lettres, s’étalait un : « Mort aux… » sans plus d’explication. Je l’avais piqué à mon premier flirt, enfin flirt un peu poussé, c’est dire s’il était vieux!(pas le flirt, le tee-shirt) et adopté définitivement. Je continue à l’aimer pour sa modernité et l’immense champs des probables qu’il permet… Mort aux… et rien d’autre, vous soulage de 99% de la population ; on peut imaginer bien sûr les cons, les flics, les parents, les moustiques, les curés, les profs, les voisins, les chiens que sais-je !

Hortense, en plein milieu de l’escalier, tenait dans ses mains le journal local grand ouvert à la page de Saint Isis, c’est notre village. Un grand titre : De qui, de quoi le ciel se venge-t-il ? Et, au dessous, pas le temps de voir quoique ce soit car Tonton Guy se précipita et prit le journal des mains d’Hortense qui le retint ; il faillit se déchirer mais Tata veillait ; d’une voix ferme, déterminée, métallique, elle intima à Hortense l’ordre de lâcher le journal. Celle-ci, surprise, abandonna la partie. Elle qui croyait être la reine de la fête, celle par qui l’info arrive, celle que l’on sollicite, enfin bref, Hortense, furieuse, attrapa sa veste et partit ; ses claquettes firent un bruit d’enfer dans l’escalier, bruit qui s’estompa assez rapidement. Guy alors jeta rapidement un coup d’œil sur le journal et plus précisément sur la photo qui prenait à elle-seule ¼ de page et, sans doute rassuré par ce qu’il vit, l’ouvrit grand pour que chacun puisse la voir. Elle avait été prise dans le cimetière et l’on voyait des silhouettes, de nombreuses personnes enjamber des tombes ; on voyait aussi le cercueil tout peinturluré, les croque-morts désorientés et nous tous hypnotisés par ce que nous découvrions alors mais dont personne, dans l’article, n’avait apparemment eu connaissance.

Quelle chance ! Sourire pour tous ! Ricanements des ados. Qui avait bien pu prendre cette photo ? L’assassin ne revient-il pas toujours sur les lieux de son crime ? Il me fallait élucider tout cela.

Tonton Guy jugea bon de lire à haute voix l’article. Voix sérieuse, d’outre-tombe (Encore une expression ad-hoc!)

De qui, de quoi, le ciel se venge-t-il ? Sous-titre, dit-il, nous regardant les uns et les autres comme si nous étions coupables des pires vilenies : Scandale au cimetière de Saint Isis

Nous avons appris avec beaucoup de douleur le décès d’un de nos concitoyens Baptiste Laffond que tous connaissaient. Homme original qui sut mener avec brio sa carrière d’ingénieur. C’est dans notre village qu’il décida, le temps de sa retraite venu, de venir vivre dans sa maison de famille. Baptiste Laffond était connu de tous. Vice-Président de la Boule gagneuse, trésorier du club de chasse, ami des pêcheurs, tous se souviennent d’un homme toujours actif, souriant, prêt à tout pour l’animation de notre village. Peintre amateur, est-ce lui qui eut l’idée de demander à ce que, son heure venue, chacun lui rende hommage en signant, écrivant, laissant des messages sur son cercueil ? C’est ce qu’affirme Marcel Imbert le menuisier qui le lui fît.

Provocation ? Mascarade ? Originalité ? Toujours est-il que cette ultime demande fût à l’origine d’un désordre, nous dirons même d’une pagaille indigne, dans des lieux consacrés car, c’est dans l’église même, que petits et grands, au moment de la bénédiction, se mirent à l’œuvre et que, pinceaux à la main,  lui rendirent leur dernier hommage. Notre Abbé, le père Villatte non prévenu n’a donc rien pu faire pour prévenir voire empêcher la chose.

Malgré la sympathie que nous avons pour le défunt et pour toute sa famille, nous ne pouvons pas cautionner ce qui se passa au cimetière.  Qu’un grand nombre de personnes n’aient pas eu le respect des lieux où sont enterrés nos anciens est scandaleux. Courir entre les tombes, voire sur les tombes, pour arriver plus vite au lieu de sépulture est choquant, inadmissible.

Que fit le garde-municipal pour empêcher ces débordements ? Rien

Que firent nos concitoyens, honnêtes pères de famille, pour empêcher ce scandale ? Rien

Que firent les employés des pompes funèbres? Rien, hypnotisés par ce cercueil barbouillé, gribouillé.

Non, ce n’est pas un dernier hommage rendu que cette divagation inacceptable, encore moins de l’art comme certains voudraient nous en persuader,

Que fît la municipalité représentée par son maire et le 2em adjoint ? Rien. 

C’est alors que le ciel lui-même s’exprima et qu’un orage d’une violence extrême s’abattit et mit fin à ce carnaval indécent.

Nous attendons des élus, nous attendons de nos concitoyens , nous attendons de tous, hommes et femmes de Saint Isis un sursaut, une prise de conscience. Non, pareils faits ne doivent pas se reproduire.

Tentant d’oublier ce fâcheux incident, nous adressons à la famille de notre ami Baptiste Laffond toutes nos condoléances et souhaitons qu’il repose enfin en paix.

C’est Antoine qui, le premier, reprit ses esprits. – Bah, bah, bah, quelle connerie ce papier ! Quel est le crétin qui l’a signé ?

Tata Pâquerette, bouche en cul de poule, resserra un peu la ceinture de sa robe de chambre. – Je t’en prie Antoine, ne parle pas comme ça devant les enfants.

André-Jean et Pierre-Thomas se mirent à ricaner, ce qui énerva Antoine qui lui répondit vertement tout en nous prenant tous à témoin : – Tu ne t’arranges pas, toi ! Tu crois qu’ils m’ont attendu ?

Tata, sûre de son fait, lui lança : – Simon-Jacques n’a que 6 ans.

– Et alors, pour la première fois, il aura un peu d’avance sur ses congénères.

Tata Pâquerette, indignée, voulut trouver un peu de réconfort auprès de son mari: – Guy, ton frère est insupportable. Fais quelque chose.

A notre grande surprise, Guy sembla sortir d’une réflexion profonde et répondit : – Tu nous les brises.

Je vous passe les pleurs immédiats et tout le reste ; tout cela toujours dans l’escalier ! Guy replia le journal et eut alors la malencontreuse idée de continuer son dialogue charmant avec sa femme : – Marguerite, je t’en prie, cesse tes jérémiades ; l’important, c’est qu’on n’ait pas fait cas de … A ce moment, il releva la tête, au risque de louper une marche et de se fracasser le cou ; il vit la tête de ses fils et s’arrêta net, ce qui ne les empêcha pas, eux, de se mettre franchement à rire. – Vous, il faudra qu’on parle, leur dit-il. Ils choisirent alors de décamper.

Dans la cuisine, je m’attaquais à faire des cafés pour tout le monde. Tata Pâquerette continuait , kleenex à la main, à pleurnicher, Simon-Jacques fût invité à avaler rapidement son bol de céréales et aller monter ses legos ailleurs ; il se mit à hurler. C’est à ce moment-là qu’Alicia et Hugues débarquèrent, ce qui eut pour effet de redonner vie, force et animosité à Tata Pâquerette.

– Joli tableau de famille, dit Alicia en riant

– Toi, n’en rajoute pas

– Qu’est-ce qui se passe ?

15

Guy, sans répondre, fit glisser sur la table le journal. Alicia s’assit sur un des bancs, Hugues debout derrière elle ; ils cherchèrent la bonne page puis lirent d’abord avec sérieux puis en s’esclaffant l’article.

– Ouais, trop drôle, bien sûr que Papa repose enfin en paix ! Il aurait adoré ! Quand même ces journalistes, discrets…ils n’ont pas parlé des trois nanas qui, comme les pleureuses de l’Ancien temps, s’arrachaient quasiment tous les cheveux ! Maman n’a pas pu ne pas les voir, mais quelle classe, elle les a ignorées superbement. La blondasse avec des gros seins, vous voyez de qui je parle, a jugé bon de venir lui serrer la main avant la cérémonie, vous savez ce qu’elle lui a répondu, je vous le donne en mille : « Avoir partagé Baptiste ne vous autorise pas à faire « ami-ami » avec moi »  La belle a tourné les talons. De loin, les autres ont dû voir la chose et prudentes, ne se sont pas approchées ! Au fait, Maman, où est maman ?

– Elle a une une dure journée hier, dit sobrement Antoine.

Personne ne voulant développer l’affaire, chacun s’affaira ; qui, à faire dorer des toasts, qui à commenter le temps « Pour la saison, ne trouvez-vous pas, c’est un temps quasi estival ! »

– Jeanne, sois un ange, peux-tu me faire un petit café ?

Alicia était en pleine forme. – Nous, dit-elle en faisant un petit clin d’œil à Hugues, nous avons passé une bonne journée hier. Nous ne sommes pas venus car nous ne voulions pas vous encombrer ; de plus, Hugues ne se sent pas vraiment bien avec nous ; il y en a qui le snobent ! N’est-ce-pas Hugues ? Le malheureux prit le parti de relever le museau et d’en rire. Pour foutre la merde, elle est forte,Tata Alicia. Elle a continué, fière d’elle apparemment : – Nous sommes allés à La Fontaine sous bois, Il y avait une exposition FORMIDABLE sur La peinture de 1234 à 1532 ; vous auriez dû venir et après…après un déjeuner dans ce petit resto au bord de l’eau sur la route de… Antoine aide-moi, c’est toi qui m’en as parlé un jour; voyant que mon père faisait une moue négative, elle persista :  – Mais si tu y avais emmenée la nana qu’était institutrice, la femme de ..comment s’appelle t- il ? Le vétérinaire de Montbour. Et Zut de Zut, je parle trop, tu m’avais dit de ne pas… Trop tard mon vieux, faut pas séduire les femmes mariées…encore que, ce sont les meilleures, j’ai raison ou non?

Nous étions tous sidérés sous ce flot de paroles mais pas vraiment étonnés. Tata Alicia, c’est ça !

– Après donc, un plateau de fruits de mer, un délice ! Pourquoi se priver ? Papa adorait les huîtres ; bon, il ne faut plus que je parle de papa, c’est trop triste. Ça va nous foutre le bourdon ! Et puis… Elle prit un air égrillard, jugea bon de ne pas terminer sa phrase nous autorisant par là-même à tout imaginer tout en lançant un coup d’œil langoureux à Hugues qui, cette fois-ci, ne sût plus du tout, mais plus du tout où se mettre.

– Demain on va aux termes, une cure de remise en forme, tu ne viendrais pas avec nous ? Me demanda t-elle et, sans attendre la réponse, elle se tourna vers Tata Pâquerette : – Toi, je ne te demande pas, dis-le que c’est pas ton truc.    Et, sans reprendre sa respiration : – Au fait, les filles qu’est-ce qu’on fait à midi ? C’est jour de marché, je suis partante pour y aller ! Allez remuez-vous, avec vos mines d’enterrement, c’était hier, non avant-hier qu’on a enterré Papa, la vie reprend, elle est là. Le nez dans vos bols, on va se retrouver à midi sans avoir eu le temps d’une bronzette. Les premiers jours de soleil, quel bonheur ! Déluge de mots, nous étions tous noyés. Tata Pâquerette, piquée au vif, ré-embraya : – La thalasso, j’y vais souvent mais avec mes amies.

– C’est bon, c’est bon, grogna Tonton Guy. On reprendra notre conversation sérieuse un autre jour.

– Parce que vous étiez dans du sérieux, j’aurais dû m’en douter, s’esclaffa Tata Alicia – Allez, on se remue ; va t’habiller, me dit-elle et, découvrant mon tee-shirt, elle ajouta : – Moi je dirais « mort à la famille » car elle est lourde, mais lourde ! Bon, je t’attends ; grouille et permets-moi de te dire, c’est pas une tenue ça, t’as quasiment les fesses à l’air. Elle prit Antoine dans ses bras, fit un pas de valse ; entraîné il se laissa faire. – Un peu d’autorité, mon gars, c’est ta fille après-tout ! De la décence, ils disent, relis l’article, de la décence, ils ont raison, ça commence au petit dej !

Mamie descendit pour le déjeuner ; un peu fatiguée par ses extravagances de la veille dont personne ne parla. Il faut dire qu’Antoine avait minimisé au maximum les faits, il n’y avait donc pas lieu d’en faire un drame. L’après-midi s’annonçait sous les meilleurs auspices. J’avais renoncé à accompagner Alicia et Hugues craignant un peu de ne pas être toujours la bienvenue dans les activités de ce couple récemment réconcilié.

Antoine me proposa de remettre à l’eau le vieux rafiot familial et d’aller pêcher ; je sautai sur l’occasion. Tonton Guy et Tata Pâquerette avaient disparu, occupés sans doute à régler quelques différents familiaux non sans avoir auparavant autorisé Simon-Jacques à regarder un DVD ; le gosse était donc casé, assis les jambes écartées, mâchant un chewing-gum; les yeux rivés sur l’écran de la TV au salon, rien ne l’atteignait plus. Quant aux jumeaux, Mamie les avaient encore réquisitionnés pour je ne sais quoi.

J’avais mauvaise conscience, j’avais juré de débusquer l’auteur du « zob » dessiné sur le cercueil de Papy ( dans ma bouche, ça va, ce n’est pas une grossièreté et puis, c’est plus direct, plus simple) et, sauf miracle, il n’y avait pas l’ombre d’une chance de trouver le moindre indice en mer ! Pour me donner bonne conscience, je pris l’article du journal, le glissai sous plastique et me promis de l’examiner plus attentivement en attendant que le poisson morde; hypothèse qui tenait, elle-aussi, du miracle.  Antoine, de plus, m’aiderait à identifier les courageux qui, sur le photo, galopaient tout azimut ayant été autrefois, ici, un élève assidu de l’école primaire. Ça crée des liens.

Mais au fait, qui était le photographe ? Pourquoi était-il là ? Qui l’avait invité à cette cérémonie qui d’ordinaire n’est pas couverte par les médias, Papy n’étant pas un personnage célèbre ?

Autant de questions pour lesquelles je n’avais pas de réponse.

16

Nous eûmes plus de mal que prévu pour sortir la barque et arrimer le moteur. Antoine, ne voulant pas qu’il soit dit qu’il n’y était pas arrivé, assurait … comme il pouvait! Après quelques toussotements, un nuage de fumée, le moteur démarra, cala, redémarra. Mon pauvre père, bien qu’en sueur, avait de l’allure, assis à la barre. Un vrai loup de mer ! Par prudence, d’autant plus qu’il avait encore des ratées (le moteur, pas mon père), nous ne nous éloignâmes pas et restâmes près de la côte. Bien nous en prit. C’est au moment où j’avais fini d’amorcer tous les hameçons (pêche à la palangrotte, il y en a des flopées) avec des moules qu’il avait mises au soleil la veille et qui puaient, une horreur, c’est au moment donc où je me posais la question : mal de cœur, ou pas mal de cœur ? qu’une vague surgie de je ne sais où, souleva la barque qui se retourna. En moins de deux, sans avoir compris comment, nous étions à la flotte et tout notre barda avec : serviettes de bain, affûtiaux, espadrilles, lunettes, « le » dossier concernant notre affaire dont les quelques notes que j’avais prises chez le menuisier, la coupure de journal, bref en un mot : tout !

En êtres responsables, nous avions nos gilets de sauvetage ; nous vîmes immédiatement que nous étions vivants et l’un et l’autre. Antoine tenta sans succès de retourner à nouveau la barque pendant que je nageautai dans une eau horriblement froide. Il était temps de décider quoi faire, même si nous n’étions pas partis bien loin, la côte maintenant me semblait être à des kilomètres.

– On y va ?

– Je te l’interdis ; je t’aide à monter sur la coque, tu t’y tiens, tu restes à cheval dessus et moi, je vais chercher des secours.

L’idée de le quitter, l’idée de rester seule me terrorisait ; je savais que c’était la voix de la sagesse car je nage comme un fer à repasser mais on était deux à s’être mis dans la merde (liquide, très liquide), on se devait de rester deux, ensemble.

– Ne discute pas, c’est un ordre.

Je n’eus ni l’envie, ni le temps de discuter d’autant plus que, miracle, nous entendîmes un bateau à moteur s’approcher. Nous étions sauvés. Des badauds sur la plage nous avaient vus en difficulté et avaient prévenu les secours, Dieu les bénisse ! Une fois arrivés au centre de secours, l’explication nous fût donnée ; un ferry était passé peu de temps avant ; la vague occasionnée avait soulevé la barque ; la corde nous reliant à l’ancre n’était pas assez longue, c’était tout simple. En attendant, nous étions jolis dans des couvertures de survie dorées, nu-pieds, faisant des grimaces puisque ayant perdu et l’un et l’autre nos lunettes ! En plus, il faut le dire, nous n’étions pas fiers mais, ça, c’est autre chose.

– Je vous ramène chez vous dit Patrick. Il nous montra sur le parking la 4/4 du centre de secours. Il y a plus discret mais nous avons fait avec. Patrick, c’est le patron du Centre de secours, Antoine le connaît bien, ils étaient à l’école ensemble. Une conversation de salon s’engagea !

– Désolé mon vieux, il y avait trop de monde hier, non avant-hier, je n’ai été qu’à l’église pour l’enterrement de ton père.

– T’en fais pas, tu as échappé au pire !

– Je sais, j’ai lu ça dans le journal, tout le monde en parle.

– L’idée, c’était de mon père effectivement ; il l’avait dit à ma mère mais personne n’avait deviné le scandale que cela ferait.

– Laisse couler, ici on monte tout en épingle parce qu’on n’a rien d’autre à se mettre sous la dent, mais c’est comme les soufflés, ça retombe immédiatement. Il suffit que demain un gosse soit mordu par un hérisson, dit-il en riant et une actualité chasse l’autre. Quand même, il était original ton père !

Je n’écoutais que d’une oreille ce dialogue hautement intellectuel quand nous passâmes en bas du village devant le mur de clôture de gens que je ne connais pas. Un mur de clôture qui est horreur et devant lequel je pestais chaque fois que j’empruntais cette route. De ces murs de clôture qu’on devrait interdire, parpaings qui attendent le bon vouloir des propriétaires pour être crépis ou recouverts de plantation. Ce mur est, était, une atteinte au bon goût. Qu’y vis-je ? J’écarquillai les yeux, NON, ce n’était pas possible, je n’y crus pas, je murmurai un léger « Antoine » et lui montrai d’un petit geste du menton, un… zob ; (vulgaire ou pas, cette fois-ci il faut bien l’appeler par son nom, zizi serait ridicule), un gros et grand zob avec… couilles et même quelques… petites gouttes tombantes, le tout tagué en noir. Antoine fût réactif : – Quel est le con qui a fait ça ?

Patrick, absorbé par sa conduite, tourna la tête. Il vit ; il en resta bouche bée, freina, repartit en arrière.  – Eh bien, ce truc-là va te sauver la vie, demain on ne parlera plus que de ça ! Ils vont être contents les Tardy, soit dit en passant, bien fait pour eux, ça devait arriver, un mur comme ça, c’était un appel aux tags.

Y’a-t-il un rapport entre nos deux « appendices masculins » ? Tout le laisse supposer sinon la coïncidence… mais je ne crois pas aux coïncidences, et vous ? Le champs d’investigation s’agrandit, comment faire pour rester discret sur notre affaire et sauvegarder l’honneur de la famille tout en liant les deux affaires ? Vers qui, vers quoi se diriger ?

17

La première personne que nous vîmes en arrivant à la maison, ce fût Teddy. Oui Teddy, notre Teddy, mon frère. Il bavardait avec les jumeaux dans le jardin. Il semblait en pleine forme, n’avait donc pas été enlevé, ni séquestré ; il était là devant nous : dents blanches et haleine fraîche, moulé dans un joli pantalon de toile claire, tee-shirt jaune pâle lui aussi un peu serré ; ce garçon a dû grandir trop vite, jolie coupe de cheveux, courte, et pieds nus dans des tennis blanc éclatants. Il se précipita vers nous, surpris quand même par notre accoutrement mais il eut la courtoisie de ne pas trop le montrer. Il ne devait pas être là depuis longtemps car un gros sac à dos arc-en-ciel gisait en bas de l’escalier.

C’est à ce moment précis, au moment où d’un côté il y avait Patrick les mains dans les poches qui ne savait où se mettre un peu perdu entre Papa et moi à moitié à poil, toujours dans nos seyants « papiers dorés », Teddy au milieu de tout cela que nous embrassions, les jumeaux qui, surpris des accolades, baisers, onomatopées qu’ils entendaient, étaient pour une fois en « position verticale », tablettes abandonnées sur la table, bref, c’est à ce moment là, au milieu de tout ce brouhaha, que surgit un vieux monsieur, bel homme en son temps, tempes grisonnantes, fort bien habillé d’un costume léger. Il sortait de la maison ; une fine canne de bois clair à la main. Il nous dévisagea tous avec discrétion, petit sourire avenant (ce que sait très bien faire la génération passée) ; d’un pas tranquille, il passa entre nous, silencieux tout d’un coup et se dirigea vers le portail qu’il ouvrit et franchit.

Patrick, quelques minutes auparavant, égaré au milieu de toutes ces émouvantes effusions de retrouvailles, en profita pour prendre à son tour la tangente, non sans nous avoir fait jurer qu’il n’était plus question de se reperdre de vue. La priorité était d’aller se rhabiller, ce que nous fîmes papa et moi, sans plus attendre.

Quel bonheur de retrouver son frère ! Il assurait que si Valentine, (notre mère, l’ex-femme d’Antoine) n’était plus venue en France depuis bientôt 6 ans, lui était venu chaque année sauf, il en convenait, l’année dernière. Nous étions tous encore à bavarder dans le jardin lorsque le soleil commença à se cacher.

– Valentine, comment va Valentine ? demanda mon père.

– Mieux, on pourrait même dire bien.

– Comment ça mieux, elle a été malade ?

– Non, s’esclaffa en riant Teddy Junior, tu la connais, un roc Maman. Elle a eu un passage à vide, c’est tout. T »a -t-elle dit qu’elle a divorcé ?

– Comment ça divorcé ?

– Papa, ce que tu peux être lourd de temps en temps, Teddy te dit que Maman a changé de mec.

Teddy se mit à rire – Je te reconnais ma sœur, une rapide ! Tu tiens bien d’elle, mais ce n’est pas tout à fait ça ; elle a quitté son mec, ce qui ne veut pas dire qu’elle en a repris un autre. Je m’en fous maintenant, je suis à l’université, mais Kimball n’était vraiment pas une flèche.

– Ouah tu n’as pas perdu ton français !

– A dire vrai, je le détestais copieusement. Du fric, il avait du fric et ne parlait que…de fric. Sale bonhomme; je ne crois pas que maman ait été très heureuse avec lui. Au début, il l’a séduite et, pour la séduire, il m’a utilisé. Des caresses, des « ton fils est génial », des cadeaux, j’avais tout ce que je voulais ; sale bonhomme quand même ! Je ne l’ai jamais aimé. Teddy fronça les sourcils et nous respectâmes les quelques instants de silence qui suivirent. Il se tourna vers moi :

– J’avais quel âge quand je suis parti ?

– 6 ans, je crois ; j’en avais 12 à peu près dis-je

– Chaque année, je te le dis et je te le dis encore… , je t’ai regrettée, frangine.

Il se tourna vers Papa – A quoi avez-vous réfléchi à quand vous vous êtes séparés ?

– Pas facile mon grand. Valentine voulait vraiment repartir, elle l’a exigé. Tout d’un coup, il n’était plus question qu’elle reste en France. On peut dire qu’elle avait pris Papy et Mamie en grippe, je ne sais pas pourquoi. Toujours est-il que j’avais mon job, ma famille, tout ici, en France.

– Et alors ? Vous auriez pu être un couple original des deux côtés de l’Atlantique.

– Les choses n’étaient pas si simples et puis on était vraiment jeunes, persuadés qu’on referait facilement notre vie et que vous y retrouveriez votre compte.

– Retrouver son compte ?

– Ah  tu vois ! on te prend en flagrant délit de méconnaissance du français ! Retrouver son compte, c’est …

– Ça va, j’ai compris mais vous parlez vraiment très vite ; de toutes les façons, c’est comme ça, on ne refera pas le passé mais, pour nous, dit-il en se retournant vers Antoine, c’est important de savoir ce qui s’est passé, réellement passé. Enfin je parle pour moi, j’ai commencé une psychothérapie, j’ai beaucoup de choses à mettre à plat. Il se retourna vers moi : -Mais peut- être que toi, tu t’en fous.

– Bien sûr que non. On t’a, on va avoir le temps de parler, le temps peut-être de rattraper un chouia de temps perdu.

– Un chouia ?

– Un peu, le temps perdu. Et puis t’es trop beau. On va parler, parler, parler…. Tu restes jusqu’à quand ?

Il ne répondit pas et je m’en fichai bien ! C’était vraiment chouette de se retrouver, on allait en profiter.

Il commençait vraiment à faire froid,  nous sommes rentrés.

Quel après-midi… Teddy est là, c’est le plus important. On a pris l’eau, ça tout le monde s’en fout ! Il y a un énorme « truc » sur le mur des Tardy, je n’ai pas avancé d’un poil (quel à propos !) mon enquête et, pour couronner le tout, un vieux monsieur que personne ne connaît, semble être chez nous comme chez lui. A ne rien y comprendre et la journée n’est pas finie !

18

Mamie descendit sur ces entrefaites, resplendissante. Chemisier en plumetis noir, collier de perles rouge, rouge pétard ! Pantalon noir mais escarpins à talons rouges aussi ! Son petit-fils américain était là, elle rayonnait. Papa et moi étions enfin allés nous changer hésitant pour ma part tellement j’avais eu froid entre chemise de laine, col roulé et jupe en flanelle. J’exagère ! Mais ce petit séjour dans l’eau nous avait épuisés et, c’est avec bonheur, que je les retrouvai tous au salon buvant, entre personnes bien élevées, un earl grey fumant dans de jolies tasses en porcelaine de Chine.Teddy racontait à Mamie sa vie aux États-Unis. – Fin de cycle, je compte revenir en France et m’inscrire à Paris dans une école de stylisme.

– Pourquoi pas à Lyon? Nice serait plus près de chez nous .

Teddy se mit à se dandiner d’un pied sur l’autre et ne répondit pas. Le moment n’était pas encore venu, ses projets changeraient peut-être d’ici septembre, date de ses derniers examens. Alicia fît une entrée remarquée suivie comme d’habitude par son caniche du moment, Hugues, qui momentanément, préféra la compagnie des jumeaux à qui il se mit à expliquer les règles d’un nouveau jeu.

-Teddy, je n’en crois pas mes yeux ! Teddy, tu me tues, sais-tu que tu me tues. J’étais sûre de te trouver là, j’ai rêvé de toi cette nuit.

Elle le prit dans ses bras, recula, le regarda encore comme s’il était un rescapé d’une effroyable catastrophe, un ovni, un fantôme et se retourna vers nous: – C’est incroyable, vous restez là tous tranquilles, je vous dis que j’ai vu Teddy cette nuit et il est là ce matin ! et tout le monde trouve ça normal ? Vous êtes vraiment des moutons que rien n’étonne !

– Matin, matin, osa Antoine, comme tu y vas, il n’est que 17 heures ; c’est peut-être à cette heure-ci que tu te lèves ?

– Comme rabat-joie, on ne fait pas mieux ! D’ordinaire, c’est Guy qui est dans ce rôle là.

Guy releva la tête de son journal ; il n’eut pas le temps de proférer une parole que Tata Pâquerette vola à son secours : – Ça y est, elle démarre et vous la laissez faire. Antoine, dis-lui, dis-lui de la fermer une bonne fois pour toutes.

Mon père n’avait nullement envie d’entrer dans cette querelle. Il fût heureusement sauvé par Mamie qui s’adressait encore à Teddy :  – Mon Dieu, c’est incroyable ce que tu as grandi. Ton grand-père aurait tellement été heureux de te revoir. Il est parti si brusquement.

– Tu sais Mamie, c’est peut-être mieux comme ça ; j’ai beaucoup de souvenirs avec lui car à chacun de mes voyages, nous avons fait plein de trucs ensemble ; une réelle complicité s’était établie entre nous ; pour moi il est encore là, vivant. Tata Pâquerette hocha la tête, fit une petite grimace – Oui, il n’y en avait plus que pour toi ! Plus personne ne comptait quand tu arrivais. Les jumeaux en ont beaucoup souffert.

Personne ne releva, c’était tellement stupide ! Même Pierre-Thomas qui avait quitté son jeu des yeux sentant qu’on parlait de son frère et de lui, fît un signe de la tête pour monter qu’il ne partageait pas du tout les propos de sa mère. Celle-ci s’énerva : -Dis-moi que je suis folle, tu es concerné, c’est de toi, de vous que je parle.

Il se remit sans état d’âme dans la partie. Tata Pâquerette voyant qu’elle ne retenait l’attention de personne, prit alors Teddy à partie : – Et toi, où étais-tu quand on enterrait ton grand-père ?

Teddy rougit, sembla gêné, se leva et se dirigea vers Mamie pour l’embrasser, il marmonna : – A Paris

– A Paris ? Et qu’est-ce-que tu y faisais, si ce n’est pas trop indiscret de te poser des questions Monsieur le Petit-Fils chéri ?

– Des affaires, mes affaires, répondit-il en rougissant encore plus.

Antoine vint à son secours: – Ça suffit Marguerite, mon fils est majeur, il fait ce qu’il veut et n’a pas de comptes à te rendre

C’est à ce moment-là que j’intervins pour clôturer définitivement le débat : – J’ai à faire dans le village, « mes affaires » dis-je en me moquant de Pâquerette qui fît immédiatement la gueule, je rentrerai dans une heure à peu près. Antoine, tu m’accompagnes ?

– T’accompagner ? Où ?

– Cela ne regarde personne et encore moins des perruches malfaisantes.

Guy sursauta. – Ah non, ne recommencez pas, c’est insupportable ! On ne peut même pas lire son journal tranquille ici !

Alicia se mit à chanter à tue-tête : N’avoue jamais, jamais, jamais ! Ce qui fit rire Mamie. Elle continua :  – Pour une fois que je n’y suis pour rien !

– Voila, tout me retombe dessus. Cette famille a le don de transformer ses victimes en bourreaux ; vous êtes tous des pervers. L.O.V l’a très bien analysé.

– Lov ? C’est qui, c’est quoi ?

– Louis-Olivier Velasquez, mon psy ; c’est L.O.V, son nom en raccourci et non Love, le Love anglais, ce que tu peux être bête.

Voyant que l’atmosphère était au beau fixe et que je pouvais m’éclipser sans problème, je me rapprochai de la porte tout en appelant du doigt discrètement Antoine qui, du coup, me suivit.

– Je descends voir de plus près le truc sur le mur de Monsieur et Madame Tardy. Tu viens avec moi ?

– C’est indispensable ? Je suis crevé.

– Il n’y en a pas pour longtemps, si on veut éclaircir ce mystère, il faut y aller. On revient tout de suite après, je te le jure. Dépêchons-nous. Dans ¼ d’heure, il fait nuit noire, ce sera plus compliqué.

– C’est bon j’arrive, je vais prendre un blouson, il fait frais.

C’est à ce moment-là que l’affreux jojo, couvert de peinture et de confiture apparût.

19

– Je veux venir avec vous, je veux venir avec vous.

– Impossible, mon bonhomme, il fait presque nuit, tu aurais froid et en plus on va marcher

Il se mit à taper des pieds et à hurler : – Je veux venir, je veux venir. Je l’attrapai par les épaules et le secouai.

– Non, c’est non ! Tu as compris, va voir tes frères.

– Ils ne veulent pas de moi.

– Alors va voir ta mère.

– Non, je ne veux pas d’elle et mon copain Victor n’est plus là.

– Attends-le, il va revenir.

– Bien sur que non, Mamie ne veut pas qu’il entre dans la maison. On se voit dehors, on fait plein de trucs.

– Par exemple ?

– Des nœuds, plein de nœuds, on a pêché des têtards, de la peinture, on est même allés voir les poules de la dame qui habite la maison bleue. Je sais pas comment elle s’appelle ; elle nous a donné des gâteaux.

Antoine était enfin prêt ; nous le plantâmes là, il se mit de nouveau à hurler.

C’est bon, Teddy est revenu mais pourquoi n’a-t-il pas assisté à l’enterrement de Papy, c’est quand même une question  ? Où a t-il vécu pendant trois jours ? Pourquoi ne nous a t-il pas prévenu de son arrivée en France ? Que de questions dont j’aurais bien voulu avoir la réponse. Tout le long du chemin, je n’osai pas trop en parler à Antoine. Peut-être en savait-il plus que moi ? Pourquoi ne pas vouloir m’en parler ? Il nous fallait revenir sur notre sujet principal : quel était le connard qui après avoir dessiné un » braquemart » sur le cercueil de Papy se permettait d’en dessiner un autre sur le mur des Tardy.

– Antoine, dis-moi, tu les connais ?

– Pas plus que ça. Je sais que lui a une cinquantaine d’années, employé à la mairie. Je ne sais pas ce qu’il y fait. Elle, c’est une petite femme boulotte, tu l’as vue, c’est sûr, dans le village, toujours des robes gitanes, des pulls collants de couleurs criardes qui lui moulent les nénés

– Je vois, je vois, n’en rajoute pas.

Nous nous mîmes à échafauder plusieurs hypothèses sans qu’aucune ne nous satisfasse. Comment relier les deux affaires ?Pour être gênés, nous l’avons été en arrivant devant chez les Tardy pour une raison bien simple : il n’y avait pas que nous ! Quelle bêtise de ne pas y avoir pensé plus tôt ! La chose » étant de belle taille, nous n’étions pas les seuls à l’avoir vue, le bruit s’était propagé et une bonne vingtaine de personnes étaient là, commentant l’événement. Le pharmacien s’approcha vers nous ; c’est un copain d’Antoine.

– Mon pauvre vieux, j’ai lu le journal, quelle virulence ce journaliste !ta mère n’est pas trop affectée ?

– Rassure-toi. Je ne suis pas sûre qu’elle ait lu l’article et même si cela était, elle est au- dessus de ça.

– Vous n’avez vraiment pas eu de chance, cet orage épouvantable en a sûrement rajouté à…comment dirais-je, l’originalité de la situation. Ton père a bien du rire de là où il est. Reconnaissons-lui des qualités d’humour que bien peu partagent. Et cette affaire maintenant ! Ce tag…   Mon père coupa court et le questionna :

– Que se passe t-il ? En remontant de la plage avec Jeanne, ma fille, vous vous connaissez?

Le pharmacien se retourna alors vers moi et me fit un grand sourire. Décidément cette génération de vieux quadras ou de jeunes cinquantenaires a un de ces charmes ! (Au passage, un bon point pour le pharmacien car ne parler que de tag permet de ne pas avoir à qualifier la chose d’une autre manière). Le potard préféra d’abord répondre à mon père : – Oui, nous nous sommes entre-aperçus de nombreuse fois, peut-être dans mon officine, n’est-ce pas Madame ? Mademoiselle ?

Et des manières de vieux dragueur, pensais-je, cela ne se fait plus du tout le coup de Madame ? Mademoiselle ? Petit sourire en coin pour lui montrer que j’avais vu sa combine sans répondre cependant ! Devant mon père, la vertu l’emporte ! Il reprit la conversation : – Oui, tu me disais ? Ah oui, le tag ? Eh bien personne ne sait qui l’a dessiné. Ce qui est certain, c’est qu’il commence à faire parler de lui. Je suis descendu voir parce qu’une de mes clientes est arrivée toute essoufflée dans ma boutique, criant au scandale. Je ne suis pas le seul, regarde.

Effectivement, arrivait du chemin de la Buissière un petit groupe de personnes, tandis que plusieurs voitures s’arrêtaient en double, voire triple file. Leurs occupants en descendaient, plusieurs prenaient des photos. Monsieur Tardy, devant son mur, gesticulait. Il prenait à témoin tous les badauds, criait qu’il allait porter plainte ; sa femme à ses côtés était rouge comme un coq d’autant plus qu’en y regardant de près, au bout de la chose, il y avait l’esquisse d’un petit personnage, de sexe féminin, rondouillard et portant jupe longue ! Elle entreprit avec sa main de le gommer. Son mari l’arrêta brutalement: – Laisse, il faut des preuves, les gendarmes vont venir.

Une foule étonnante se constitua qui, sous le réverbère maintenant allumé, avait une drôle d’allure. Klaxons, interpellations d’un côté à l’autre de la route. Les nouveaux arrivants, revenant du travail, s’arrêtaient tous croyant d’abord à un accident ; ils descendaient leurs vitres, demandaient ce qui s’était passé, s’il y avait des victimes. La vérité leur arrivait par bribe, quelquefois déformée parce que circulant de bouche en bouche. L’interprétation la plus rigolote qui m’a été rapportée ; la plus grossière aussi, il faut le dire, la voilà:      Attention, âmes sensibles passez une ligne…

20

« C’est un dessin de Mr Tardy, empapaoutant » (Je vous avais prévenu) Madame Tardy ». Je reprends en contrôlant mon langage: « C’est une fresque gigantesque de Monsieur Tardy, que la nature aurait doté d’un énorme sexe, s’occupant allègrement de Mme Tardy, sa femme » Inutile de vous dire que ceux qui eurent cette version furent très désappointés quand ils virent l’original.

Je me suis approchée autant que j’ai pu du dessin, tentant d’en fixer le moindre détail dans ma mémoire. J’espérais, mais autant vous le dire tout de suite, ce fût sans succès, voir si des rapprochements éventuels pouvaient se faire avec notre « zob » à nous, plus petit, plus discret et cette énorme chose. Pour cela, il me fallait interroger la Sainte Famille (C’est la nôtre, bien-sûr). Rien ne sortit d’intéressant de ces interrogatoires ; entre Alicia qui l’avait vu violet et muni de petites ailes, Hugues qui, lui, n’avait discerné qu’un bateau voguant sur l’eau, les cris de souris de Tata Pâquerette qui jurait qu’une auréole le surmontait et que c’était ce qui l’avait le plus choqué « Sacrilège » disait-elle entre ses dents « Sacrilège »; et Guy, oui, il avait bien vu ce que nous avions vu, pas de doute là-dessus mais inutile d’en parler, bref entre toutes ces versions, la différence était trop grande et nous n’avons rien obtenu d’exploitable.

Interroger les jumeaux, c’était s’exposer à des ricanements, des rigolades, des je ne sais quoi inappropriés… Qui d’autre avait vu la chose ? Mamie bien sûr mais il était inconcevable de lui rappeler ce funeste épisode. Hortense ? Peut-être ; les croque-morts ? quand ils descendirent Papy dans sa tombe ils avaient, sous la pluie battante, autre chose à faire que d’inspecter le cercueil ; de plus, ils n’étaient pas de notre village donc : motus !

Quand nous rentrâmes à la maison, Alicia et Teddy faisaient à merveille un numéro de duettistes. Chacun évoquant ses souvenirs, Teddy en avait peu, ici, avec nous, alors Alicia lui en inventait autant qu’il en voulait. – Mais si, rappelle-toi Teddy, tu ne peux pas avoir oublié ça, le jour où….

Et Teddy, Mamie, les jumeaux enfin tout le monde pleurait de rire à l’exception de Tata Pâquerette qui tentait de garder son sérieux, bouche en cul de poule, mais ne pouvait cependant pas s’empêcher de sourire. Hugues n’était toujours pas à son aise, d’autant plus qu’ Alicia évoquait pour chacune de ces aventures des maris, des compagnons dont il n’avait jamais entendu parler. Le repas qui suivit fût gai. Tata Pâquerette fit un peu la gueule quand Alicia annonça que le lendemain elle revenait coucher à la maison : – Cet hôtel est très inconfortable, j’entends des souris toute la nuit et puis, vous me manquez trop !

Nos regards se portèrent vers Hugues qui ne disait mot, surpris, il n’y avait aucun doute, par la déclaration d’Alicia : – « Qui m’aime me suive » lança t-elle à son intention.

Simon-Jacques était caché sous la table s’amusant, comme à son habitude, à chatouiller avec une plume les jambes des dames. Alicia gloussait, sa mère grondait sans véritable conviction, Mamie s’en amusait, quant à moi, j’essayais tant bien que mal de lui filer des coups de pieds, ce qui fût assez productif, car il me ficha la paix. Nouvel indice grâce à ce petit morveux : avant de passer à table, sa mère s’aperçut qu’il était quasiment noir de la tête aux pieds.

– Je n’en reviens pas, dit-elle, il part à la plage toute la journée avec les uns avec les autres et regardez comme il revient. Avec qui étais-tu ?

L’affreux Jojo se mit à brailler et refusa d’aller se laver les mains.Oncle Guy, sorti de ses pensées, fit preuve pour une fois de sévérité, attrapa le lascar par l’oreille. – Réponds à ta mère

– J’étais avec mon copain Victor, même que sa mère l’appelle Totor, même que lui ; il a un crayon bien plus grand que le mien ; je veux le même.

– Comment ça, ton copain Victor, qui est-ce ? demanda-t-elle aux jumeaux qui se regardèrent, levèrent les épaules et ouvrirent de grands yeux étonnés.

– Connais pas, fût leur réponse commune

– Ah si, c’est lou ravi, grogna André-Jean

– Lou ravi ?

– Ben si, tu connais le fils des vieux en haut, celui qui fait des nœuds avec une ficelle à longueur de temps.

– Oui, c’est lui, c’est mon copain

– Je t’interdis de jouer avec lui

Je vous passe la suite, les hurlements etc…

J’avais mon indice et de taille celui-là. Victor, oui bien sûr Victor, il va partout ; une ombre, on le connaît tous, on ne le voit plus. ; ce n’est pas être méchant que de dire que c’est l’idiot du village. Il était chez le menuisier, il se baladait avec un gros feutre ou un marqueur aujourd’hui, il…. Je cherchais dans ma mémoire, non, il n’était pas aux obsèques de Papy, pour une fois on l’aurait vu et puis, trop maladroit, trop malhabile, on l’aurait tous remarqué. Une piste mais à voir… Je n’y croyais pas.

Mamie, comme le veille, demanda aux jumeaux de venir l’aider. Curieux ça ! Antoine se proposa. D’une petite voix fluette, elle le repoussa : – Non, c’est juste un petit problème technique, ils s’y entendent très bien.

– Gentils garçons que tu as là, toujours prêts à rendre service lança-t-elle à Oncle Guy qui ne releva pas la phrase, entraînant le mécontentement de Tata Pâquerette.

– Pour une fois qu’on te fait compliment de tes fils, tu pourrais réagir.

Elle se tourna vers les jumeaux qui montaient l’escalier en faisant la grimace: – C’est bien mes chéris, c’est bien, je suis fière de vous.

Encore une journée passée. Demain sera peut-être plus calme. Une question se rajoute aux autres et me vient à l’esprit maintenant : qui était le vieux monsieur très digne qui a traversé le jardin sans s’arrêter ?

21

Je ne sais pas quelle heure il était quand je me suis réveillée brusquement. Était-ce le vent qui s’était levé et qui faisait claquer un volet ? Était-ce le chat en vadrouille dans la maison ? Était-ce un cauchemar, une impression diffuse, quelque chose d’anormal? Toujours est-il que je me levai pour boire un verre d’eau avec la sensation que quelque chose d’étrange, de diffus, m’enveloppait.Je me remis au lit quand, à nouveau, des bruits surprenants se produisirent. Cette fois, je n’avais pas rêvé. Je me dressai, allumai ma lampe de chevet, les bruits cessèrent, j’éteignis, ils reprirent quelques instants plus tard. J’attendis alors le cœur battant. Des étrangers tentaient-ils de s’introduire dans la maison ? En fait, plusieurs choses distinctes se conjuguaient, c’est ce que je découvris assez vite.

Je me levai et, sur la pointe des pieds, ouvris ma porte ; des rires étouffés me parvinrent ; fausse alerte, c’était les jumeaux qui dans la chambre voisine de la mienne riaient. Ce n’était pas de vrais rires, c’était plutôt des exclamations, des onomatopées suivies de ricanements. Je m’approchai à pas de loup, mis mon oreille contre leur porte, pas de doute, la vérité était là, criante, ils regardaient un film porno. Je les devinai découvrant des positions, des images, des horreurs si loin des gestes d’amour vrais que cela me contraria vivement ; alors, pour que tout cela cesse, je me contentai de gratter à leur porte et de chuchoter : « Vous faîtes trop de bruit, dormez ».

J’entendis alors comme un chambardement étouffé, le couvercle de la tablette qu’ils refermèrent rapidement, les petits pas précipités de l’un d’entre eux regagnant son lit, les ressorts qui grincèrent ; enfin, je les devinai rassurés, ils ne s’étaient pas fait prendre.

– C’est bon, on dort, tu peux aller te recoucher.

Insomnie ; c’est à cause de ces petits crétins qu’à coup sûr maintenant, j’en avais une. En boule, cherchant à retrouver un peu de chaleur dans mon lit, je me retournai, une fois, deux fois et comptai les moutons (image bucolique) ; les événements des derniers jours revenant en boucle dans ma tête. C’est alors que des craquements suspects me firent sursauter à nouveau. Ce ne pouvait être les jumeaux, ils n’avaient aucune raison de sortir de leur chambre même et surtout s’ils avaient repris leurs activités cul…turelles ! J’entrouvris légèrement ma porte et, à ma grande stupéfaction, vis ou plutôt devinai tenant une lampe de poche, le vieux monsieur de cet après-midi. Il arrivait de l’autre côté du couloir, là où Mamie a sa chambre et s’apprêtait à descendre l’escalier. Je n’en crus pas mes yeux. Que faisait-il là ? Ou plutôt je ne devinai que trop ce qu’il venait faire ! Mamie ? Une gourgandine ? Déjà ? Peut-être y avait-il quand même une autre explication. Ne voulant pas être prise en flagrant délit d’indiscrétion, je refermai vivement et tout doucement ma porte. ( Ce qui n’est pas antinomique). Je m’y adossai, stupéfaite et complètement chamboulée, puis me précipitai à la fenêtre pour tenter de voir la silhouette de cet homme. L’avait-elle accompagné sur le perron ? Je n’en avais pas l’impression. Se retournerait-il pour la voir à sa fenêtre, si tant est qu’elle le regarda partir? Enfin qui était-il ? Aucune réponse à mes questions. Je ne vis ou plutôt je ne devinai, éclairée tout d’un coup par un éclair, qu’une silhouette fluette qui disparut sous les arbres de l’allée.

L’orage menaçait encore, était-il annonciateur de nouvelles catastrophes ? C’en était trop ! Les choses m’échappaient, allaient trop vite, j’avais le vertige. Je me remis au fond de mon lit, voulant tout oublier, demain serait un autre jour.

C’est alors qu’un coup de vent fit claquer mon volet mal arrimé. Je mis ma tête sous l’oreiller, comme une gamine qui refuse d’être confrontée à la réalité. Pas le choix, un nouvel éclair, un coup de tonnerre qui se rapprochait. Je me levai à nouveau, ouvris la fenêtre et que vis-je ? Dans le halo de lumière qui sortait de la chambre de Teddy, au rez-de-chaussée, je vis un homme, jeune, enjamber la rambarde, se retourner alors qu’il était en équilibre instable et embrasser à pleine bouche Teddy. Teddy, mon petit frère. Teddy qui venait tout juste de revenir chez nous. Teddy qui jamais ne nous avait fait de confidence quant à ses choix sexuels. Teddy…

Comment se rendormir tranquillement après une nuit pareille ? Impossible. Même si je m’obligeais à me dire, ce sont leurs choix, ils font bien ce qu’ils veulent, tous, de leurs cœurs, de leurs corps, je me sentais tout d’un coup détentrice de secrets que je ne pouvais partager avec personne.

Comment dire à Antoine qui, de loin, était le plus proche de moi « Ta mère s’envoie en l’air, trois jours après l’enterrement de Papy avec un petit vieux bien propre sur lui et d’un ! Secondement, ton fils, mon frère, est homo et probablement amoureux car rien d’autre n’explique qu’il prenne le risque de faire venir en grand secret son chéri à la maison »

Je n’avais ni fiancé, ni amoureux avec qui partager tout cela et me mis à regretter l’épaule large de Rémy que j’avais envoyé paître à la suite d’une querelle dont ni lui, ni moi, ne connaissions vraiment les causes. Seule, j’étais seule. Je me mis à pleurer. L’orage se déchaînait maintenant. J’entendis des voix dans le couloir « As-tu des bougies » « Où y ‘a t-il des allumettes » « Faîtes entrer la chatte, elle a peur de l’orage » «  Wouah, trop beau, viens sur le balcon », le petit se mit à pleurer, sa mère à le consoler….

Rien ne m’aurait maintenant fait sortir de ma chambre, je n’étais plus rien, ou plutôt, j’étais une fontaine recroquevillée sous mes couvertures priant pour que tout cela finisse. TOUT ! Hélas…

22

J’étais levée aux aurores, enfin vers 8 heures. La maison était silencieuse ; il faut dire que nous avions eu une nuit mouvementée.Le vent avait balayé tous les nuages, une belle journée en perspective.Ma décision était prise, avec l’aide de Rémy (Rémy, c’est mon ex. vous vous en souvenez !) que j’avais réveillé en pleine nuit. Quel chic type, il n’avait fait aucun commentaires désobligeants bien au contraire. Après avoir attendu patiemment que plus aucun hoquet ni sanglot ne coupe mon récit, il me proposa de venir immédiatement me soutenir ; ce que je refusai énergiquement. Une personne de plus dans cette histoire, on s’y perdrait ! (N’est-ce-pas?)

Peu importait la vie, les choix, les agissements des uns ou des autres, mon seul objectif restait de découvrir qui avait dessiné ce petit zob sur le cercueil de Papy, j’en faisais une affaire d’honneur.

Après, après je retournerai chez moi. Ils étaient tous grands et n’avaient plus besoin de ma présence parmi eux. Il me fallait donc reprendre cette affaire à zéro.

– Qui était venu à l’enterrement de Papy ?

– Qui avait eu la possibilité de faire le dessin ?

– Le menuisier avait-il tout dit ? Bien sûr, il m’avait parlé incidemment de Victor mais, avec ce que le petit nous avait dit hier, cela changeait la donne. Hortense, notre gouvernante, n’était pas encore là, je bus rapidement mon café et je m’esquivai.

L’atelier du menuisier n’est pas loin, je décidai de lui rendre une deuxième visite. En trois minutes, j’y serai et enfin je saurai, peut-être, à quoi m’en tenir. En y allant, je sentis quelque chose d’inhabituel dans ce village si calme d’habitude. Une effervescence larvée, des regards bizarres, des murmures. « Tu deviens parano » me suis-je dit, « la vie de village, c’est ça à longueur d’année ; il y en a qui n’ont rien d’autre à faire que de jacasser dès le matin sur le pas de leur porte ; que vas-tu inventer là! Nous leur avons donné ou plutôt Papy leur a donné de quoi alimenter leurs bavardages, c’est le prix à payer ! On parlera encore longtemps dans les chaumières de cet enterrement pour le moins original. »

– Il est pas là, j’sais pas quand il rentrera, me dit l’apprenti ; il a à faire ; y’a la patronne, elle va venir.

Il n’avait pas plutôt fini sa phrase qu’une furie, grande et opulente femme rousse flamboyante, appuyée sur deux béquilles, entra et les fustigea du regard. -Va bosser, vaurien, et que je ne t’y reprenne plus. Bien sûr que c’est toi et ton acolyte, dégénérés que vous êtes, qui avez osé faire ça.

Les gamins, apparemment habitués à cette forme de communication, ne s’affolèrent pas. – Et qu’est-ce qu’on a encore fait ? Grogna, en relevant la tête, celui qui était resté travailler sur l’établi.

– Dis-le, dis-le encore une fois que tu ne le sais pas et je te rabote le cul. Depuis le temps que j’dis à Marcel de vous virer, des graines d’assassins que vous êtes, des voyous, des petits cons, oui, des petits cons.

L’heureux bénéficiaire de cette salve tenta de se faire entendre, bégaya trois mots incompréhensibles; l’orage une fois de plus se déchaîna sur lui.  – Tu crois qu’on est aveugles, bigleux, tu crois qu’on voit pas ton manège, tu dis rien mais t’es le plus vicieux et tu l’entraînes ce grand idiot qui ne ressemble à rien. Mais allez donc faire vos saletés ailleurs, morveux que vous êtes.

Elle se retourna alors vers moi et sans s’excuser, sans me dire l’ombre d’un bonjour, se mit à vociférer :  – Et tout cela à cause de Baptiste, cet enfoiré, si j’avais su…. Il m’a fait, et pas qu’à moi, le coup des grandes retrouvailles ; ah ça, y-avait de l’émotion mais il avait prévu son coup, mettre à feu et à sang le village. Il y est arrivé l’abruti. Il nous a eus et on s’est bien fait mettre. Un dernier hommage sur son cercueil ? Ce serait à refaire, j’y cracherais dessus, oui. On pleurniche sur le passé et il nous fout en l’air le présent. Et tous, ils s’y mettent. Regardez ces deux petits cons, si Marcel il avait pas vérifié, ils en auraient fait toute une guirlande, comme si on n’allait pas le voir. Ah, elle était bien décorée la table de travail de Monsieur Charleval qu’est notre meilleur client !

Elle se retourna vers eux : – Vous, sortez pas de là tant que vous n’aurez pas fini, même pour pisser ; puis vers moi – Moi, je vous le dis, c’est comme ça qu’il faut les traiter, ces petits bâtards. Le bagne, il faudrait les envoyer au bagne ! Venez, venez un peu voir le travail, c’est du joli et après vous direz à votre grand-mère que je l’emmerde, que c’est bien beau son cinéma mais qu’on le paye trop cher.

Je n’y comprenais rien, strictement rien. Elle me prit le bras et m’entraîna quasiment de force à l’intérieur de l’atelier. – Regardez-moi ça…

23

D ‘abord je ne vis rien qu’un très beau bureau en cours de finition ; le plan de travail était superbe  : bois foncé dont on voyait les veines mais si fines qu’elles dessinaient un entrelacs de toute beauté, les pieds étaient travaillés en grandes rainures torsadées. Les ouvriers en étaient à la pose sur les trois côtés du plan de travail d’une sorte de frise d’une vingtaine de centimètres de hauteur destinée sans doute à retenir livres, dossiers et papiers. Difficile à expliquer ; toujours est-il que cette frise était constituée de petites boules de bois et d’éléments verticaux qui se répétaient. Hasard, volonté délibérée, mauvaise explication fournie par le patron, toujours est-il que sur un côté et, si on avait vraiment l’esprit mal tourné, plusieurs éléments pouvaient faire penser à …vous avez deviné. Pourquoi, en effet, les éléments verticaux avaient-il été arrondis en leurs bouts ? Personne ne le savait mais les deux ouvriers reprenaient leur copie.

– Quant au Marcel, vous savez où qu’il est ? Me hurla dans l’oreille la grande rouquine

Devant mes dénégations, elle continua sur le même ton : – Pas loin, il est en train de nettoyer ce qu’ils ont peinturluré à l’arrière du bâtiment. Quand donc qu’ils l’ont fait ? Ils veulent pas dire. Le chien n’a pas aboyé cette nuit, c’est bien que c’était quelqu’un de connaissance. Et dans nos connaissances, il n’y a que ces dégénérés qui pourraient avoir une idée pareille.

– Non madame, c’est pas nous, on l’jure.

– Tais-toi crapule. Moi, je voulais que ce soit eux qui retirent ce qu’ils ont fait mais il paraît qu’ils sont plus utiles ici. Le patron qui frotte, qui repeint, et ces deux lascars qui ne foutent rien et comment que j’les renverrais dans leurs gourbis.

Comme Madame Imbert semblait, malgré l’avalanche de mots qu’elle déversait, se calmer un peu, je tentai un : – Qui dit que ce n’est pas quelqu’un d’autre  ? J’ai eu tort ; le feu rejaillit de ses cendres : elle se redressa, et en deux secondes, pas plus, lâcha ses béquilles, s’appuya sur une pile de planches et bras croisée sous la poitrine, elle remonta ses seins avec vigueur, (naturellement ils reprirent leurs places)  et se mit à glapir : – Vous aussi vous vous y mettez ? Bien sûr que c’est eux. Le Marcel, lui, y pense que c’est Victor. On accuse toujours les plus faibles, ceux qui ne savent pas se défendre. Le Victor ? Vous savez, le pas fini, même que Marcel, il est allé chez sa mère pour l’engueuler. Parait-il que depuis hier soir, il a disparu. A voir ! Planqué, ils disent tous, et pourquoi il se serait planqué ? Moi, j’vous le dis, c’est ensemble qu’ils ont fait le coup et ces deux-là savent des choses.

Il était inutile de continuer cette conversation faite de hurlements, de suppositions, d’injures, de menaces. Je filai, contournai le bâtiment et effectivement vis, juché sur une échelle, le menuisier armé d’un seau et d’un balais-brosse en train de décaper les restes d’un dessin aux formes arrondies. Il était en sueur, la chose était tenace ! Quand il me vit, il ne s’arrêta pas mais maugréa : – On l’entend d’ici ; y’en a pour des mois ; elle s’en prend à mes deux petits gars. C’est bien possible que ce soye eux comme c’est bien possible que ce soye pas eux qui ont fait le coup. Le Victor, lui, pfuitt envolé ! c’est bien qu’il a quelque chose à se reprocher. Pas vrai ? Faut voir sa mère, dans tous ses états. -Et vous, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

– Je tombe mal, je ne voulais pas vous déranger, je suis perturbée aussi par cette affaire. C’est qu’elle a commencé avec le cercueil de Papy. Quand je suis venue vous voir avant-hier, je vous ai posé beaucoup de questions sans vous donner trop d’explications.

– Ça, c’est vrai, j’ai pas compris grand chose.

– Je ne voulais pas ébruiter l’affaire.

– Quelle affaire ?

J’hésitai et puis, qu’est ce que cela changeait ? Tôt ou tard il l’apprendrait alors je lui racontai tout et la mission dont je m’étais impartie. Quand j’eus fini, il descendit de son échelle (Il restait une ½ boule non identifiable) – Je n’en crois pas mes oreilles. Il me confirma en tout point ce qu’il m’avait dit deux jours avant, sans rajouter un mot de plus. Oui, les deux jeunes avaient dû entendre sa conversation avec Mamie ; Victor aussi peut-être. Oui, il en avait parlé le soir même à sa femme, la douce Lorelei. Il n’avait vu personne d’autre sauf Monsieur Maréchal qui s’inquiétait pour son bureau. – Un cercueil, c’est une priorité, les morts n’attendent pas.

Ce n’était pas faire injure à Baptiste que de dire qu’ils en avaient ri et avaient même disserté sur les notions de temps, passé, présent, avenir ; quelle était la différence entre urgence et priorité, entre indispensable et nécessaire. C’était inutile de rester plus longtemps ; je n’avais rien glané, je repartis.

Il y avait quand même une ou deux choses qui, à la réflexion, me turlupinaient : la disparition de Victor bien sûr, de nombreuses énigmes dans le flot de paroles proférées par la volcanique femme du menuisier, enfin, et ce n’était pas des moindres, moi qui devais être la seule à  avoir vu tous les graffitis, j’aurais mis ma main au feu ( image intéressante !) qu’ils n’étaient pas de la même griffe. Je ne suis ni de près, ni de loin, graphologue, mais là c’était flagrant. Leur auteur ne pouvait pas être la même personne. Aucun des sexes en question ne se présentait de la même façon :

  • ▫ Phallus conquérant chez le menuisier,
  • Malgré sa taille : gros engin sans esprit aux boules disproportionnées sur le mur des Tardy,
  • Ou lutin malicieux, le nôtre, sur le cercueil ! (Comment le définir autrement ? Un seul trait, enlevé alors que les autres étaient lourds, poussifs, vulgaires!) Enfin bref, j’affirmai qu’aucun de ces membres virils n’étaient de la même famille.

Comment alors me concentrer sur le seul qui m’intéressait ? Comment éliminer les pistes sans issue ?

J’eus alors une idée lumineuse….

24

Hortense, j’avais oublié Hortense. Elle seule pouvait peut-être m’aider dans ma démarche. Elle est native d’ici, comme elle se plaît à le répéter, comme si c’était une qualité admirable. Dire qu’elle est au service de notre famille depuis sa naissance est faux mais dire qu’elle fait partie de la famille n’est pas vrai non plus. A de multiples détails un œil averti voit la différence. C’est elle qui a « délivré » Apolline de mon père Antoine, (ou mon père d’Apolline) un jour d’hiver où personne, ni médecin, ni sage-femme ne pouvait monter tant il y avait de neige. Un record dont on parle encore. Elle était toute jeunette et s’en était très bien sortie, la preuve ! Elle en a gardé pour Antoine une préférence manifeste dont sont, à des degrés divers, jaloux Alicia et Guy. C’est comme ça. Antoine pourrait tuer trois gendarmes, assassiner une vieille dame pour lui dérober ses économies, violer une petite fille, qu’elle garderait son sourire attendri et lui trouverait mille excuses. Comment ai-je été assez stupide pour ne pas l’interroger en premier ?

Il est sûr qu’elle a vu « la chose » même si on ne la voit pas, elle, sur les photos. C’est le propre d’Hortense, être là alors qu’on la croit ailleurs, discrète, effacée et cependant indispensable.

D’après ce que je sais, Mamie et Papy ont recueilli Hortense lorsqu’elle a perdu ses deux parents dans un accident de car. Son père faisait des travaux d’entretien, homme à tout faire, chez nous comme on disait alors. Elle avait dans les 15/16 ans  et était à l’occasion baby-sitter d’Alicia lorsque mes grands-parents sortaient ; ceux-ci l’ont alors hébergée puis l’ont employée et c’est comme ça qu’elle est restée au cœur de notre famille.

Elle a quand même eu sa vie, Hortense : elle s’est mariée, a pondu 2 mouflets ; ils sont loin maintenant. L’un est à Arras, l’autre au Canada. Ils viennent ou elle va les voir de temps en temps, rarement, c’est comme ça. Elle garde, par contre, un contact assez serré avec plusieurs de ses petits enfants. On peut créer des liens sans pour autant se voir souvent.

Hortense ! En plus, elle m’aime, il ne peut en être autrement, je suis la fille de son grand chéri ! J’arrivai, essoufflée à la maison, l’appelai et la trouvai là où elle a élu domicile depuis la nuit des temps, là où tout se passe, se commente, se décide : à la cuisine. Elle m’accueillit comme toujours avec un grand sourire. – D’où reviens-tu ma jolie, tu es en nage. Veux-tu une orangeade ?

– Non Hortense, non, j’ai plein de questions à te poser, il n’y a que toi qui puisses répondre.

Elle n’eut pas l’air très enthousiaste.

– Je vais commencer par le commencement mais d’abord dis-moi ce qui se passe dans cette maison.

– Qu’est-ce-que tu veux dire, petite ? Tu le sais bien que que votre famille ne fonctionne pas vraiment comme les autres.

– Assez de tes bla-bla tout faits, ne sois pas une Sainte Nitouche, tu es au courant de tout. Mamie n’est pas dans son état normal, tu l’as constaté ?

Elle ne répondit pas, alla farfouiller dans le frigidaire, en sortit un sac en papier plein de haricots verts qui débordaient qu’elle posa entre nous sur la table ; puis, à petits pas, elle se dirigea vers le grand vaisselier, prit un saladier, revint s’asseoir en face de moi. Toujours silencieuse, elle déchira brutalement le sac brun, les haricots verts s’étalèrent sur la table. Elle en prit un et commença son épluchage.

– Aide-moi, ce sera moins long.

Le silence s’installa. J’étais si excitée qu’il me fût insupportable et j’eus le tort de changer de sujet.

– Et l’enterrement de Papy ?

– C’est lui qui l’a voulu.

– Je sais, pourquoi ? Papy avait un ego un peu démesuré, il était farfelu mais cela n’explique pas tout.

Elle hésita, reprit une poignée d’haricots verts. Nos gestes étaient réguliers, tantôt l’une, tantôt l’autre, nous les envoyions dans le saladier et cette régularité créa comme une connivence tranquille entre nous.

– C’est à dire que….

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’on entendit des éclats de voix, plus que cela même, des injures qui n’évoquaient en rien une discussion tranquille entre deux être civilisés.

Il y avait la voix de Mamie, furieuse, décidée, extrêmement claire et une voix masculine, injurieuse, vulgaire, brutale. – Je vous dis de ficher le camp, Monsieur, je n’ai aucun compte à vous rendre

– Allumeuse, toutes les mêmes, des salopes. 300 Kms pour ça !

On entendit quelqu’un dévaler les escaliers et claquer la porte. Les vitres de la maison habituées aux orages tinrent bon. Hortense leva le sourcil gauche et continua à équeuter les haricots. J’étais ébahie, non par les faits, mais plus encore par le calme d’Hortense. Je restai figée sur place. Au bout d’un long moment, elle ramassa tous les petits bouts de queue en fit un tas, s’arrêta dans sa besogne. Elle mit alors les deux coudes sur la table, la tête sur ses poings refermés, et me regarda.

– Je vais tout te dire.

La suite m’apprit que j’aurais dû me méfier. Que ce soit Hortense ou quelqu’un d’autre, quand on vous annonce « Je vais tout te dire, » c’est qu’on va garder pour soi une grande partie de ce qu’on a effectivement à dire. Innocente, je fus toute ouïe. – Voila, je ne sais pas par quel bout commencer. C’est que c’est émouvant pour moi dit-elle les larmes aux yeux…jamais tu n’aurais pu deviner…

25

Sa voix se mit à chevroter, elle se leva, alla chercher le rouleau d’essuie-tout, revint la bouche serrée comme si elle avait à nouveau choisi de ne rien dire. Elle enjamba le banc, se rassit en face de moi.

– Ton grand-père, enfin Baptiste était malade depuis longtemps et le savait. Un truc au sang. Je n’ai pas bien compris quoi mais c’était grave, très grave, sans espoir. Ils en ont parlé et reparlé avec Apolline mais tenaient à ce que tout reste secret. Mais tu le sais bien, je sens tout, je sais tout ; alors ils ont dû composer avec moi.

– Papy malade mais depuis combien de temps ?

– Ce n’est pas le plus important.  Hortense ferma les yeux  – 2 ans à peu près. Il a voulu tout arranger, ne pas partir en laissant des trucs inachevés, des non-dits. Il voulait tout régler, tout remettre à plat, avant d’y être à plat pour un bon moment ! C’est de lui et ça le faisait rire, pas moi. C’est que c’est long une vie, il s’est mis à tout ressasser. Ta grand-mère découvrait des choses dont il ne lui avait pas parlé, des choses dont il l’avait éloignée, des choses cachées, un grand déballage. Moi, je n’étais pas d’accord, il y a des secrets qu’il vaut mieux emmener avec soi, mais il y tenait. « Pour qu’Apolline puisse fermer la porte et passer à autre chose, elle doit être rassurée, savoir qu’il n’y a plus rien derrière, plus un détail de ma vie qui viendra l’ennuyer, la chatouiller. »  Ce fût sa première marotte et si je te disais jusqu’où c’est allé….  Ensuite, c’est devenu de la folie. Il en a mis du temps à faire de moi son alliée, sa complice, c’est que je ne voulais pas.  Hortense, il me disait, les gens disent « Untel a refait sa vie ». Tu vois Apolline refaire la sienne ? Elle ne va faire que des bêtises. C’est qu’elle est un peu farfelue ma femme. Des fois, j’ai eu l’envie de partir, de mener une vie, une vie comme tous les autres, pourquoi crois-tu que je sois resté ? C’est que j’aimais sa folie, du reste elle a été un peu contagieuse ! Mais elle est fragile. Il faut que je lui donne un petit coup de main, le dernier.

C’est alors qu’il a voulu l’initier aux nouvelles technologies, comme il disait. Je l’entendais « Apolline, on cherche ensemble ceux qui t’entoureront. Je ne veux pas savoir si l’un d’entre eux prendra ma place, s’il se vautrera dans mon lit, s’il mettra mes pantoufles, cela ne regarde que toi mais je veux qu’à ma mort tu aies le choix et que ne se glisse pas dans tes prétendants un connard »

Mamie pleurait, riait, pleurait encore ! C’est lui qui lui a montré comment faire, c’est lui qui l’a inscrite sur un site de rencontre, l’a aidée à faire son profil. Moi, je n’y entends rien. Apolline a beaucoup pleuré. Au fil du temps Apolline a pleuré de moins en moins puis Apolline n’a plus pleuré du tout ! Au contraire ! c’était devenu un jeu, un sacré jeu. Ça a marché comme sur des roulettes, elle s’est fait plein d’amis.

Tout à l’heure, c’est une erreur, je ne sais pas ce qui s’est passé ; a t-elle voulu agrandir son réseau de prétendants et recommencer toute seule ? Probablement ! Tu as vu le résultat ! Ce qui est sûr, c’est que Papy n’avait pas sélectionné ce grossier personnage.

J’étais abasourdie. Et les autres, Papa, Guy, Alicia étaient-ils au courant ? Je posais la question à Hortense qui se récria. – Je ne l’ai dit à personne, tu penses bien ! Mais il y a quand même des risques, des risques de fuite.

– Ce ne sera pas de moi, je le jure, m’écriai-je

– Non, j’en suis sûre, mais ces sales gamins…

– De qui parles-tu ?

– André-Jean et Pierre-Thomas, pourquoi crois-tu qu’elle les fasse monter dans sa chambre régulièrement ? Un bug m’a t-elle dit. Moi, je ne sais pas ce que c’est qu’un bug mais j’ai compris que c’était comme une panne et qu’il n’y avait qu’eux qui savaient réparer. Il paraît qu’ils sont très calés et qu’ils ont négocié leur silence avec elle. « Je m’en tire à bon compte » m’a t-elle dit. Je me demande bien ce qu’ils lui ont soutiré.

J’essayai de calmer un peu le jeu car s’il est vrai qu’Hortense qui jouait beaucoup avec les jumeaux quand ils étaient petits, ne semble pas les apprécier beaucoup ces temps-ci et le montre !

– Hortense, tu es injuste avec eux, ce sont des ados, ils ne sont pas très participatifs à la vie de famille mais c’est une période ingrate, tu le sais bien !

– Tu as raison, c’est plutôt leur père qui m’énerve. Comment avec des parents pareils, Guy peut-il être si coincé ? Je l’aime, je vous aime tous, mais lui, c’est dur de l’aimer. Par contre, rien ne m’oblige à aimer et surtout à supporter Marguerite ! Elle m’horripile. N’en parlons- plus ! Je pars voir si ta grand-mère a besoin de moi, sois gentille, surveille les haricots verts.

Un coup pour rien, presque rien ! Si ! j’avais une réponse à quelque chose de périphérique : la présence de tous ces vieux messieurs de jour comme de nuit ! Il faut bien que vieillesse se passe ! Se passe ? Mais vers quoi ? Pour aller où ? …Pas de discours philosophiques là-dessus ; la dernière destination… inexistante pour certains, idyllique, inquiétante, paradisiaque pour d’autres.  Il suffit peut-être tout simplement de la définir selon ses souhaits et après d’étayer ses propos de citations de philosophes, de savants, d’hommes d’église.  Bref, chacun fait sa petite cuisine et le temps venu, mange le plat qu’il a préparé !

J’en étais là dans mes élucubrations, debout devant le faitout où les haricots verts bouillonnaient quand les cloches se mirent à sonner à toutes volées accompagnées des sirènes de plusieurs voitures de gendarmerie qui sillonnaient le village. Un vacarme épouvantable, angoissant, qui n’était pas sans rappeler des heures sombres de notre passé dont quelques vieux se souvenaient encore. L’Église et l’État réunis, ce n’est jamais bon. Je hurlai à l’intention d’Hortense : – Je vais voir ce qui se passe, je reviens, ne bougez pas.

26

Et, sans attendre la réponse, je me précipitai dehors et vis de loin des gens courir ; ils s’interpellaient, se demandant apeurés pourquoi on sonnait le tocsin. Aucune fumée dans le ciel ne faisait penser à un incendie. C’est notre obsession l’été quand tout est desséché et qu’en plus le mistral se met de la partie. Fin d’hiver pluvieux donc ni sécheresse, ni mistral, quoi d’autre alors ? Il n’y avait pas eu d’explosion, pas d’éclatement, pas de vibrations, rien qui ne fît penser à une catastrophe du genre Seveso. Sirènes, cloches cessèrent brusquement leur vacarme infernal. Le silence devint oppressant, lourd de menaces. Il reprit une minute après de plus bel. Cela devint terrifiant. Quelle horreur, quelle tragédie s’était abattue sur notre village, sur notre région, sur la France entière pour que sirènes et cloches, se mettent à carillonner ensemble ?

J’arrivai aussi vite que je le pus sur la place de la mairie. Dans la foule, j’aperçus Guy et les enfants, plus loin Alicia et Antoine. Nous nous fîmes de loin de grands gestes de reconnaissance et tentâmes sans succès de nous rapprocher tant il y avait de monde. Le maire, le torse ceint de son écharpe tricolore, une autre sommité que je ne connaissais pas à ses côtés, plusieurs élus, le curé bien sûr et une escouade de gendarmes étaient debout sur une petite estrade montée à la va-vite. Un photographe caméra sur l’épaule circulait entre les groupes suivi d’un grand escogriffe, porteur de perche-son qui interviewait les uns ou les autres, qui à droite, qui à gauche… mais sur quoi ?

Le maire prit la parole et lu très attentivement un texte qu’il avait en mains : – Monsieur le Sous-préfet que je remercie d’être venu avec diligence, mes chers administrés, mes chers amis, vous qui passez dans notre beau village quelques jours de vacances, l’heure est grave et il m’a semblé que..(il regarda alors vers l’église), c’était la seule façon de vous réunir tous rapidement. Il se passe en effet des faits inquiétants et révoltants sur notre petite commune : Victor Grandjean que vous connaissez tous, Victor Grandjean appelé souvent Totor qui est un enfant du pays a disparu hier et n’a pas réapparu. Sa mère, très inquiète, a prévenu les autorités. Aucun indice, aucune piste. Comme certains le savent, Victor est un jeune adulte, un peu handicapé, et nous sommes nous aussi, tous, très inquiets. Je tiens à remercier la gendarmerie de Grandbour dont nous dépendons qui a déjà fait preuve de beaucoup de rapidité et d’efficacité en élaborant l’affiche dont vous voyez ici un exemplaire. Cette affiche va être placardée à la Mairie, dans les commerces, partout. Pour ceux d’entre vous qui ne connaîtraient pas Victor, je vous lis son signalement ; le Maire prit alors l’affiche, la déroula et d’une voix monocorde la lut :

Disparu jeudi 27 avril vers 17 heures, un individu de race blanche, de sexe masculin. 32 ans. Cet homme est handicapé. 1M75, un peu enveloppé. Il était vêtu d’un pantalon de toile beige, d’un sweat-shirt à manches longues rouge et chaussé de baskets. Cet individu n’est pas dangereux. Si vous le voyez, si vous avez des renseignements qui pourraient aider la gendarmerie dans ses recherches, appelez aux heures ouvrables le 12, tapez 2 pour enlèvement puis 1 pour sexe masculin enfin 4, c’est notre département, une opératrice vous répondra.

Le Maire roula l’affiche, la fît passer à son voisin de gauche, le 1er adjoint qui n’est autre que Denis, le mari d’Hortense. Appuyé sur son déambulateur, il fit ce qu’il put, au péril de sa vie, pour saisir le document. Les langues se déliaient, certains disaient avoir vu Totor le matin même, d’autres pensaient que c’était grave qu’il fallait mettre à l’abri tous les enfants mineurs, établir une milice, décider d’un couvre-feu et… je préfère ne pas me souvenir des suggestions complètement folles qui furent faites ; plusieurs discrètement râlaient, tout ce raffut pour « ça », décidément on le voit, les élections ne sont pas loin et il y en a qui commencent leur campagne. Voyant comme un mouvement de repli de la foule, le Maire d’une voix tonitruante, cette fois-ci, rappela les pressés :  – D’autres faits sont à déplorer sur la commune. Faits inadmissibles, révoltants, grossiers , que je qualifierais même de pornographiques : dans de nombreux endroits, sur les murs, sur la devanture de l’épicier, sur les urinoirs de la place du marché, sur la porte du local du foyer du 3em âge, sur le plongeoir même, plusieurs détraqués, des fous, des inconscients, des obsédés oui, je maintiens des obsédés ont décidé de vandaliser notre beau village. La première manifestation de ce délire a eu lieu avant hier ; Étienne Tardy a découvert en fin d’après midi qu’on avait tagué le mur de sa propriété en y dessinant un… membre viril, un sexe d’homme si vous préférez avec..avec tout son… matériel. Il a porté plainte immédiatement. En une seule nuit, l’épidémie a gagné tout le village et c’est partout qu’on a retrouvé ces ignominies. Grands, petits,…

Francis l’employé municipal le tira alors par la manche et lui chuchota quelques mots à l’oreille ; le Maire reprit son discours : – Je disais donc que Francis Moine, responsable de la voirie, des fontaines, des espaces verts, employé municipal qui a succédé à son père me dit en avoir dénombré à cette heure 47, tous avec leurs attributs, de toutes tailles, de toutes couleurs ; certains même avec des … Il se tourna vers Francis comme s’il était estomaqué, – Certains, il me le confirme, avec des petites ailes, d’autres ressemblant à des chenilles, un autre coupé en rondelles, en forme de champignon, de parapluie, avec des yeux, des barbes, que sais-je ; pire encore sur l’église elle-même, un sexe en croix surmonté d’une auréole. Une femme se mit à rire, suivie de plusieurs autres personnes.

– Non, mes chers compatriotes, ceci n’est pas acceptable, ceci n’est pas une plaisanterie ; je suis atterré devant tant de bêtise. J’en appelle à votre esprit civique, aux valeurs que nos anciens nous ont inculquées. La République a honte de nous ! Retrouvons ces malades, faisons leur payer leur inconséquence et ne leur donnons pas le plaisir d’avoir réussi. Que chacun cache, détruise, retire ces horreurs, ces délires pornographiques dès qu’il en voit un. Je vous remercie. Vive Saint Isis – Vive la France

27

Seuls les garçons s’amusèrent beaucoup au cours du déjeuner. C’était à qui ferait la blague la plus idiote ; un double sens, même et surtout, s’il était scabreux les mettait en joie. Guy et Marguerite tentèrent vainement de camoufler l’imbécillité de leurs rejetons, rien n’y fit. Mamie les regardait d’un œil désabusé comme si personne n’y pouvait rien changer. Le découragement nous prit. Plus personne ne tenta d’alimenter la conversation à l’exception de Tata Pâquerette qui, pendue au téléphone quasiment toute la matinée (le tocsin l’ayant interrompue) avec son cher « LOV », entreprit de nous faire un cours sur Freud. Elle surprit des regards, des gestes, qui en disaient long sur l’intérêt que nous portions à ses propos.

– Je vous rase, c’est ça, vous vous moquez, c’est facile ; vous êtes bien dans vos petites vies toutes droites, bien tracées ; vous ne vous posez donc aucune question ?

Cette attaque brutale et assez surprenante nous réveilla ! Elle prit alors la voix forte et détachée de quelqu’un qui parle à des demeurés et entend bien être compris : »– La joie de satisfaire un instinct rêvé, sauvage, est incomparablement plus intense que celle d’assouvir un instinct dompté ».

Silence dans les rangs. Même le petit, planqué je ne sais où, ne mouftait pas.  – C’est grand, c’est beau vous ne trouvez pas ?

Guy se leva, jeta sa serviette sur la table, lança :  – Je t’en prie, tu es ridicule.

Marguerite devint rouge écarlate et nous toisa : – Et vous ne dîtes rien, vous tous ? Il peut m’insulter et le faire devant mes enfants, personne ne bronche.

J’essayai de limiter les dégâts :  – Ce n’est pas ça Tata, tu le sais bien mais nous sommes tous encore abasourdis ; cette foule, le discours du Maire, ces…

– 47 me coupa en éclatant de rire André-Jean.

La violence de la gifle que lui asséna sa mère fût telle qu’il tomba sur son frère. Celui-ci hurla, il venait de manquer de se perforer le palais avec sa fourchette. Comment faire comme si de rien n’était ? Malgré les deux gamins qui se levaient pour sortir de table, je continuai ma phrase : – Mais non, ces journalistes, ces officiels, le Sous-préfet…

– Faux-cul, me jeta alors Tata Pâquerette pendant que l’un des chers petits arrivé à la porte jetait un : – 48 avec celui de Papy.

Cette algarade, contre toute attente, ne déplût pas à Mamie, son œil une fois de plus se mit à frisotter.  – Vite, un bon petit café que nous prendrons pour la première fois de l’année sur la terrasse, il fait si beau !

Elle se tourna vers Hortense  – Dommage de ne pas y être allées ! Viens avec nous, au diable la vaisselle et toutes ces obligations terre à terre et se tournant vers Antoine et moi  – Ces deux-là sont à peu près normaux, ils nous raconteront l’allocution du maire et tout le reste, c’est follement excitant.  Antoine, dis-moi, ai-je bien tout compris? Dis-moi que « oui » ! Que c’est drôle ! Baptiste, Baptiste qui n’est plus là, quel dommage! 47 ? 47, j’ai bien entendu ?

– Bien plus, dit mon père ; au retour, après l’allocution du Maire, on aurait cru la chasse aux trésors. Si vous les aviez vus, ils cherchaient tous s’il n’y en avait pas d’autres ; au moins trois ou quatre fois, j’ai entendu des voix hurler, « J’en ai un » ou « J’ai trouvé » et tout le monde se précipitait. J’en soupçonne même d’en avoir rajoutés.

– Je veux y aller, sortons, allons voir de plus près, faisons le tour de la maison, pourquoi n’aurions-nous pas droit à un petit… « loustic » !

Antoine se mit à rire.  – C’est comme ça que tu appelles ce genre de chose, Maman ?

– Excuse-moi, cela m’a échappé, ton père… Et puis tout ceci ne te regarde pas, garnement ! Où est Alicia ?

– Journée de Thalasso, grand luxe, papouilles, massages et tout le reste. Elle aussi aurait adoré. Elle a manqué quelque chose.

Mamie releva la tête  – Vous êtes sûrs que ce n’est pas elle qui… Elle ne continua pas sa phrase.

– Non, Mamie, ce n’est pas elle.

C’était Teddy qui lui répondait;celui-ci, nous l’avions complètement oublié.

– Mon Dieu tu es là, toi ? Ne le prends pas mal, tu n’es jamais là, donc tu..et puis je m’embrouille, tu es grand ! Cet apôtre dit-elle en montrant Antoine, avait déjà un môme à ton âge, et ce môme c’était ta sœur ! Mais qu’est ce que je raconte, tout cela n’a aucun rapport, tu es là, eh bien tu es bien là ! Et pourquoi  ce ne serait pas Alicia ? Elle nous en a fait bien d’autres ! C’est une artiste.

Quand Mamie dit le mot « Artiste » plus aucune norme, plus aucune retenue n’existe. L’artiste par nature est un être de génie (qui quelque fois, convenons-en, ne reste que potentiel), il échappe donc complètement aux règles applicables au commun des mortels.Teddy qui était enfin, aux yeux de la famille, un adulte reconnu apporta un argument irréfutable :  – Hugues ; jamais il n’aurait pu être complice de pareille chose.  Ce n’était pas la peine d’en rajouter plus.

Mamie soupira, questionna du regard Hortense, qui ouvrit bouche et mains montrant par là même son impuissance.  Elle se tourna vers nous.  – Autant que vous soyez prévenus avant les autres : je vais mettre un écriteau sur la glace de l’entrée ; qu’en penses-tu Hortense ? Se donneront-ils le mal de le lire ?  Revenant à nous:  – Après-demain soit dimanche, je vous informe que j’ai invité quelques amis pour le thé. Des personnes que vous ne connaissez pas. Alors, pas d’intérêt pour vous. J’aimerais que vous preniez vos dispositions pour…

28

Mamie nous regarda les uns après les autres dans les yeux : – Oui, que vous preniez vos dispositions pour ne pas être là. Ceci concerne aussi Guy et sa meute ; qu’il les emmène manger une crêpe ou au cinéma. Ce n’est pas mon affaire. Comment prévenir Alicia ? Aucun de vous ne sait où elle est ? Elle réapparaîtra bien sûr mais cela m’ennuierait que ce soit dimanche, je voudrais vraiment être tranquille. Pour réapparaître, Alicia fit un come-back inattendu, tonitruant le soir même mais c’est une autre histoire.

Hortense, aux côtés de Mamie, avait la mine renfrognée de quelqu’un qui n’approuve pas . En attendant nous étions perplexes, c’était bien la première fois que Mamie prenait de telles précautions. Pourquoi ? Qu’avait-elle mijoté ? Une autre énigme à résoudre, probablement moins difficile que celle dans laquelle j’étais enlisée mais j’avais toujours le même joker : Hortense ! Je proposai à Teddy d’aller faire un tour de village ; il sauta sur l’occasion et nous partîmes bras dessus, bras dessous ; nous avions tant de choses à nous raconter. Antoine nous rattrapa.

Village sous le choc. Il est vrai que l’allocution du Maire, l’arrivée de tant d’officiels, les faits eux-mêmes, tout concourrait à créer une ambiance inhabituelle. Des avis de recherche étaient placardés partout. Victor, à qui personne ne prêtait attention quand il était là parmi nous, manquait tout d’un coup à tous et alimentait les conversations. Enfin, il ne les alimentait que le temps d’un instant, l’autre sujet de conversation passionnait beaucoup plus les gens. Il y avait la queue dans tous les commerces, ce n’était pas dû à la reprise économique tant espérée par nos politiques, loin s’en faut ! Curieux, amusé, horrifié chacun s’était trouvé une bonne excuse pour descendre au village acheter une bricole et pouvoir ainsi commenter l’événement.

C’est ainsi que le charcutier oubliait de replier le papier dans lequel gisait une malheureuse tranche de jambon car, les mains sur les hanches, il vitupérait ; sa vitrine avait été ornée de trois petits cochons se tenant par le bras et dansant. Vêtus uniquement de leurs petites casquettes à pompon, le reste on peut l’imaginer. Bien sûr, il avait tout retiré mais fulminait car un journaliste avait eu le temps de prendre une photo. – S’il la publie, je le tue, c’est une atteinte à la vie privée, menaçait-il – Coupe-lui les couilles, c’est plus d’actualité ! lança Simon, le garde-champêtre.

Quelques dames, chic bon genre, serrèrent les lèvres pour ne pas rire ! Elles ne se plaignaient pour une fois aucunement d’avoir à attendre leur tour, trop heureuses d’être au spectacle. – Ne te plains pas, continua Simon, sais-tu que sur le mur d’angle de la pharmacie, il y en a deux ; impossible à retirer, il va falloir repeindre le mur.

– Que représentent-ils ? demanda une petite vieille dame très poliment qui s’était assise sur la seule chaise à côté de la porte d’entrée et qui, très aimablement, laissait passer tous les clients devant elle.

– L’un est avec un préservatif, je vous passe les détails, l’autre avec de grosses lunettes.

– Ah oui, pourquoi ? demanda la vieille dame

– Peut-être parce que le pharmacien est myope comme une taupe, peut-être parce qu’il vend des lunettes, qui sait ?

Cela sembla satisfaire la vieille dame qui d’une voix chevrotante rajouta : – Moi, si j’avais dû en dessiner un, je sais ce que j’aurais fait.Silence complet dans la charcuterie ; la vieille dame jeta un regard un peu perdu autour d’elle. – Oh pardon, je m’égare. Je vais me sauver maintenant. Elle n’en fit rien, elle était aux premières loges pour ce qui était des cancanages et entendait bien y rester.

Chemin faisant, nous rencontrâmes Tata Pâquerette qui, au risque de trébucher, lisait un livre qui semblait la passionner.

– Qu’est-ce que tu lis, Tata ?

– Madame Bovary, c’est LOV, qui me l’a conseillé. Quelle histoire ! Écoute ça, c’est sublime :  « Ils se regardèrent et leurs pensées, confondues dans la même angoisse, s’étreignaient étroitement comme deux poitrines palpitantes » C’est magnifique, tu ne trouves-pas ?

– Viens avec nous, nous allons prendre un verre au bistrot.

– J’en viens, il n’y a pas de place, on se croirait à la sortie de l’église, le jour de Pâques, je n’ai jamais vu tant de monde. On ne parle quasiment que de cette malheureuse affaire.

– Victor ?

– Penses-tu ! Il peut bien mourir, tout le monde s’en fout. Au fait, où est Simon-Jacques ? Je n’aimais pas du tout qu’il joue avec cet homme. Il était étrange, tu ne trouves pas ? C’est curieux, j’avais comme un pressentiment, une intuition, je n’avais pas tort. Louche ce garçon ! Jouer avec un gamin de 6 ans, je n’aime pas ça. Dans tout malheur, il y a du bon, je suis tranquille aujourd’hui.

J’explosai : – Tata, tu te rends compte de ce que tu dis ? On le connaît tous Victor, c’est « notre » handicapé, il ne ferait pas de mal à une mouche. Qu’il disparaisse, qu’il ait été enlevé, que sa vie soit en danger, tu t’en fous ?

– Si tu le prends comme ça ! On voit que tu n’as pas eu d’enfants. N’en parlons plus.

Atterrée, je ne répondis rien, elle continua : – Bon, je rentre. Le comportement de Guy est inacceptable, tu ne trouves pas ?

– Ah non, Tata, pas maintenant par pitié. Bonne lecture !

Je courus rejoindre Antoine et Teddy qui avait passé leur chemin. Effectivement, le village entier semblait s’être donné rendez-vous. Chacun y allait de sa théorie. Beaucoup regardait leurs voisins avec suspicion. Il ne faisait aucun doute qu’un nombre si important de ces « envahisseurs » ne pouvait être l’œuvre d’une seule personne. Certains étaient vraiment très élaborés, d’autres lancés à la volée, d’autres enfin sans intérêt aucun mais ils étaient là, prenaient leurs places. Y avait-il un ordre ? Un message secret ? A quoi devions-nous nous attendre dans les prochains jours ? Enfin, Papy était-il celui qui avait initié la chose ou était-il complètement innocent et n’était-ce qu’un concours de circonstances?

29

Que se passait-il donc ? Chaque jour semblait être calqué sur le précédent : temps magnifique suivi d’un orage. C’est ce qui apparemment se préparait encore aujourd’hui. De gros nuages noirs venus de je ne sais où s’amoncelèrent à l’horizon. D’autant plus terrifiants que le soleil passa derrière et qu’ils les auréola d’une lumière effervescente prenant alors une allure fantomatique. L’orage, passe encore, pensai-je mais quel bouleversement annonçait-il ? Nous sommes rentrés de notre balade au pas de course, suivis en cela par bon nombre de badauds encore à la recherche de ces jolis petits dessins qui décoraient à merveille notre village. Dans l’entrée, comme elle nous l’avait annoncé, Mamie avait mis un écriteau et son message en belles lettres pleines et déliées, écrites probablement à l’encre de chine, était sans équivoque :

Famille et amis réunis,    C’est le début des ennuis,    Dimanche de 16 heures à 18 heures,    Si vous pouviez être ailleurs…,    Je reçois mes amis. Merci.    Mamie

On ne pouvait être plus clair ! Les commentaires allèrent bon train. Guy s’en offusqua : – Comment cela, nous mettre à la porte de la maison familiale, Mamie est tombée sur la tête, jamais Papy n’aurait osé faire ça.

– Bien sûr lui rétorqua sa femme, il faisait salon au bistro ou chez une de ses maîtresses !

– Comment peux-tu dire une chose pareille ? Il n’y a pas de doute, Maman retombe en enfance ; la preuve, nous l’avons sous les yeux, regardez cette prose et cette écriture de débile.

– Tu es vraiment pour la liberté individuelle ! rétorqua sa femme sur un ton qui nous surprit tous. Enfin, si elle en a envie d’être tranquille, c’est son droit. Pourquoi tout vouloir régenter ? Elle est chez elle, ne l’oublie pas. Devine ce que j’ai trouvé chez Flaubert ? Madame Bovary, tu connais ? Chaque notaire porte en lui des débris de poète, j’ai cru mourir de rire quand j’ai lu ça !   Tata se retourna vers nous : – Des débris de poète, débris sur débris plutôt !

Je cherchai comment faire cesser cette nouvelle dispute quand Alicia entra en trombe suivie de très près, nous ne le savions pas encore, d’Hugues, lui même suivi d’encore plus près de Benoît son mari. (Benoît mari d’Alicia, car Alicia est mariée, détail !)

– Où est Maman, il n’y a qu’elle pour calmer Benoît, il veut casser la gueule d’Hugues, il veut …c’est horrible ! Où est Maman ?

Antoine courageux se mit en travers de la porte. – Calme-toi, qu’est-ce-que c’est que cette histoire ?

– Benoît savait que j’étais ici pour l’enterrement de Papa ; ce n’est quand même pas de ma faute si Papa est mort et s’il n’a pas pu venir ; toujours est-il que j’étais en plein désarroi, j’avais besoin d’être secourue, alors j’ai demandé à Hugues d’être là, tout simplement là. Quoi de plus normal ? Il a quand même été presque mon mari lui aussi. Nous revenions de la Thalasso, géniale, vraiment géniale ; Pâquerette, toi qui as tendance à l’embonpoint vas- y ! un bonheur !

– Moi, grosse ?

– Ce n’est pas pas ce que j’ai dit. Mon Dieu vous les entendez, ils arrivent. Antoine, je t’en supplie, tu es un homme, tu es mon frère, sépare-les ; fais-lui comprendre à cette brute qu’Hugues était en mission, c’est ça : en mission. Guy, tu es mon frère aussi, oublie ton parapluie, sauve-moi !  Elle se tourna vers moi et d’un coup d’œil me montra l’étage :  – Va arranger là-haut nos petites affaires, vite, vite. Mets Hugues dans la mansarde, il y a un lit, il comprendra. Fais au mieux, retire ses trucs dans la salle de bain, je te fais confiance… Les deux belligérants arrivèrent à ce moment-là. Hugues avait la chemise à moitié arrachée, Benoît les yeux exorbités, les enfants suivaient derrière alertés par le bruit, ils se disaient qu’il se passait enfin quelque chose d’intéressant dans ce bled pourri où on les avait obligés à venir. Il paraît que pour une fois Guy et Tata Pâquerette ont été à la hauteur de la situation.(Tout cela m’a été raconté par Teddy que le comique de situation a failli tuer tellement il riait !)  Guy s’est, parait-il, avancé et a salué fort civilement le nouvel arrivé. Celui-ci ne pouvait faire autre chose que de lui rendre la pareille. Ces quelques secondes de trêve ont permis à Hugues de se rajuster autant que faire se peut. On dit que l’habit ne fait pas le moine, faux ! L’habit nous a tous sauvé ; ils redevenaient des êtres civilisés et c’est là, que Tata intervint : – Benoît, quel bonheur de te voir. Alicia était si triste, Papa qu’elle aimait tant ! Comme tu ne pouvais pas venir, c’est nous qui avons eu cette idée stupide de dire à Hugues de l’accompagner. Tu sais, Papa appréciait beaucoup Hugues et c’était réciproque ; il était donc normal qu’Hugues vienne lui dire un dernier adieu. Tu as pu te libérer, c’est vraiment très aimable de ta part, si nous l’avions su… nous regrettons cette initiative et comprenons ta surprise. Mais, comme on dit « aux grands mots, les grands remèdes ». Au fait, je viens de redécouvrir Mme Bovary, de Flaubert, tu l’as lu au lycée comme nous tous, sais-tu que c’est d’une modernité…  Guy l’interrompit, l’orage était passé, il pouvait reprendre son rôle habituel :  – Personne ne le l’a dit mais ta Mme Bovary, tu peux te la mettre…

Les jumeaux éclatèrent de rire ; je les entendis de là-haut où tout était en ordre, les brosses à dent où il le fallait, le foutoir d’Alicia là où elle était censée l’avoir laissé et les effets d’Hugues dans la mansarde, lit défait ! je descendis et jouai mon rôle : la surprise, voire même la stupéfaction de les trouver tous là ! Quel bon dîner familial en perspective. Il convenait quand même de prévenir Mamie de la présence de son gendre, c’est ce que fît Hortense qui n’avait rien perdu et de l’algarade et de la réconciliation. Autre bonne surprise, l’orage attendu était, comme il se devait, allé éclater ailleurs.

Si les affaires se sont arrangées momentanément en ce qui concerne notre famille, le jour suivant nous réserva bien d’autres surprises. A dire vrai, nous nous en serions tous passés, un peu fatigués de ces passes d’armes continuelles entre les uns et les autres. Et Mamie dans tout cela, que nous réservait-elle ? Et mon enquête ? Point zéro ! La multiplicité des auteurs de tags rendait impossible l’identification d’un seul. Je ne perdais pas cependant espoir qu’un fait nouveau retourna la situation…En effet…

30

France 2 Journal Télévisé, nous faisions le grand titre. Mais pourquoi donc n’y avait-il pas eu un épisode de plus dans la guerre froide, l’explosion d’une centrale nucléaire quelque part, les amours contrariés de notre Président, que sais-je ! Non, il était dit que, ce qui n’était au départ probablement qu’une plaisanterie, (d’un goût douteux, j’en conviens) devenait un cauchemar. Des paparazzi partout, perchés sur les arbres, cachés dans les bosquets envahirent le village. Ils essayaient de prendre en flagrant délit un ou plusieurs auteurs de cette floraison de sexes dressés qui s’épanouissait comme blé au soleil. Il y en avait partout !

Un détective ressemblant à s’y méprendre à Colombo assura que dans la journée il trouverait les auteurs de cette énorme farce. Il avait, assurait-il, une piste de taille. Figurez-vous qu’il avait suivi le facteur dans sa tournée et que, sur toutes les portes où ce valeureux fonctionnaire s’était arrêté, on retrouvait le même petit sigle. Delà à dire que le facteur était l’auteur de la centaine, peut-être plus, de dessins de la chose, il n’y avait qu’un pas ! Des cars entiers, pleins de curieux, envahirent le village et déversèrent dans les ruelles des flots de rigolos, appareils photo en bandoulière!.

Un sociologue renommé, Jacques Bourdin, fût interrogé ainsi qu’un philosophe et un évêque. Il affirma qu’il fallait voir là une expression populaire spontanée tendant à prouver que les opprimés, par leur naissance ou leur éducation, relevaient la tête et constituaient une force invisible mais agissante. Il fût désavoué par le philosophe qui n’y voyait que la quête absolue du bonheur, quant à l’évêque, il attendait que le Vatican se prononce, la nudité d’Adam était-elle un rappel du péché originel ? Il est vrai que ce qui le gênait dans cette théorie, c’est que le corps entier ait disparu au bénéfice (si l’on peut dire!) du seul organe qui différencie l’Homme de la Femme. Cela fît réagir très fortement, une femme, oui c’était une femme, qui cheveux courts et regards perçants hurla au scandale dénonçant le sexisme avéré de toute cette affaire montée en épingle car il n’y avait de sexes que des sexes d’hommes. Les médias se seraient-ils dérangés s’il y avait eu autant de sexes de femmes que de sexes d’hommes ? Elle parla de parité, mais alors comment la faire respecter ?   « Femmes de tout pays, relevez la tête, n’acceptez pas qu’encore une fois, nous ne soyons pas représentées, agissez »

Cela me fit craindre le pire ! Si nos murs devaient s’orner de vulves, où cela nous mènerait-il ? De plus, picturalement, cela me semblait plus difficile. On verrait bien, car quelques hystériques n’allaient pas tarder à débarquer après cet appel si convainquant ! C’en était trop ; je décidai de rester à la maison, de ne plus bouger et d’attendre qu’enfin le soufflé soit retombé. C’était sans compter sur Mamie qui , pour une fois, ne prit pas son petit déjeuner au lit et vint le partager avec nous.   – Est-il possible d’installer le téléviseur du salon dans la cuisine, nous suivrons plus à loisir le feuilleton ?   Ce que Mamie veut, Dieu le veut. Antoine fût désigné pour la tâche, erreur une fois de plus de casting car mon pauvre père n’est pas bricoleur pour un sous. Il ne s’en tira pas si mal après avoir dévalisé le quincaillier du coin et transformé notre sweet home en une araignée géante. Des fils, des câbles, des rallonges partout, le tour était joué, la TV prit sa place au-dessus du frigo et resta, sur ordre de Mamie, allumée en non-stop toute la journée.

– J’ai une course à faire, importante, vous me raconterez la suite. Hortense, écoute-moi, je compte particulièrement sur toi car mes enfants et leurs enfants sont tous des irresponsables. Tu m’informeras à mon retour. J’aimerais quand même savoir ce qui se passe dans mon propre village. On ne me dit jamais rien.

Elle partit d’un petit pas décidé et revint dans la minute.  – Quel est le petit malotru qui a osé orner ma deuch d’horreurs inqualifiables. Appelez André-Jean et Pierre-Thomas, je veux les interroger. Si c’est eux…si c’est eux…

31

Mamie ne termina pas sa phrase, ce qui laissait augurer des punitions exemplaires. Les jumeaux qu’Hortense était partie chercher, arrivèrent en traînant la patte.   – Qu’est-ce qu’on a fait encore ?

– Une seule réponse : oui ou non. Est-ce vous qui avez tagué sur une portière de ma deuch un pathétique sexe d’homme?

Elle se tourna vers nous et explosa :   – Pourquoi ai-je eu droit à un sexe en berne? Je me le demande bien ! Je le sais que je ne suis plus de première jeunesse, inutile de me le rappeler ! Venez voir, venez voir tous, la Bérézina, le fiasco total, une honte, ces choses qui pendouillent et ces testicules qui se ratatinent !   Est-ce vous oui ou non ? Vous ne répondez pas ? Et bien petits trous du cul, je m’en fous, dîtes-vous bien que je m’en fous, que ce soit vous ou d’autres chenapans, vous êtes tous les mêmes ! Redressez-moi ça, c’est un ordre car si braquemart il doit y avoir, je veux qu’il soit triomphant. Je refuse de sortir en ville, je serai la risée de tous. Ils disent à la TV, qu’on n’a jamais vu pareille création, que cela rejoint l’art, que le sexe est mis à l’honneur et moi, je n’y aurais pas droit. Ingrats que vous êtes ! Au travail et vite ! Faisons honneur à notre maison !   Jeanne, accompagne-moi, je n’attends pas qu’ils aient fini ces petits branleurs, je suis pressée et toi, Antoine, tu les surveilles, je veux du beau, du grand, du vivant !

Tout le long de la route, elle vitupéra :     – M’avoir fait un coup pareil alors que la maison est quand même connue pour exceller dans ce genre de chose. Quelle image on aurait eue si j’étais sortie avec cette horreur? On nous traiterait de minables, de moins que rien, et on aurait raison. Mon pauvre Baptiste doit se retourner dans sa tombe. Il n’y a plus d’enfants, je te le dis, il n’y a plus d’enfants. Personne pour reprendre le flambeau.  Elle s’interrompit puis se parlant comme à elle-même :   – Un temps j’ai cru qu’Alicia (une de mes tantes) prendrait la relève, je me suis trompée… Hier, elle a été lamentable. Pleurnicher parce que deux hommes se battent pour elle, quelle honte ! De mon temps … Ils s’entre-tuaient, quel spectacle ! On dira ce qu’on voudra, c’était le bon temps !

Avance petite, nous avons perdu du temps ; que de monde sur cette route. Cette affaire, c’est bon pour le tourisme, les affaires vont reprendre. Au retour, on passera par la petite route, personne ne la connaît heureusement.

– Nous serons à Grandbour (chef lieu du canton, c’est là où Mamie a fait fureur il y a quelques jours) dans un bon quart d’heure, où veux-tu aller exactement ?

– A CC

– CC ?

– Oui, Câline et Coquine, tu ne connais pas ce magasin ? ils ont de très jolies choses, je te montre le chemin. Tu pourras aller te garer sur la Place du marché ; attends-moi au café, à l’angle de la rue de la République. J’en aurai peut-être pour un petit moment, c’est qu’à mon âge vois-tu, les déshabillages, essayages, rhabillages sont plus longs. Sois patiente,  je reviendrai, c’est sûr et…j’aurai payé ! Je te le jure !

Elle resta quelques secondes silencieuse, ses yeux se mirent à frisotter (aille – aille -aille)   – Je crois que je vais bien m’amuser !

Elle revint plus de deux heures après, des sacs rose-fluo dans les mains. (No comment ! Par pitié !) La deudeuch était garée dans l’allée, juste devant la maison. Les jumeaux à qui Mamie avait donné ses recommandations s’en étaient donnés à cœur joie. Elle fit le tour de la voiture, une fois, deux fois, s’arrêta.  – Tu ne crois pas que c’est un peu trop cette fois-ci ? Avaient-ils besoin de rajouter tous ces détails ? et puis la couleur ! Cette couleur ! On ne va pas passer inaperçus. Il va falloir que je réfléchisse. A ton avis qu’en aurait pensé Baptiste ?

– Un peu plus de sobriété n’aurait pas nui. Je crains que ce ne soit un peu vulgaire.

Je savais en utilisant ce mot-là que je touchais Mamie au plus profond d’elle-même car, toute notre enfance, elle nous avait seriné que tout était affaire de contexte, que la grossièreté la plus grande pouvait être proférée mais qu’en aucun cas la vulgarité ne devait être de mise. Bien joué ! Affaire classée !

– C’est bien ce que je crains en voyant leur chef d’œuvre ! Ils sont quand même sacrément doués, j’admire ! Dis-leur que la gloire est éphémère, que j’ai apprécié et même contemplé leurs réalisations, la première comme la seconde, mais que je leur demande de tout retirer. Un point, c’est tout !

Le journal télévisé était fini ; une jolie blonde interviewait des personnes sur leurs vies, leurs amours. Mamie, debout, ses paquets à la main, jeta un coup d’œil sévère, attendit une minute ou deux ; une grosse femme, assise dans un fauteuil rouge, la jupe relevée lui boudinant les cuisses expliquait les larmes aux yeux que s’il voulait revenir (nous avons toutes deux supposé que c’était son mari) elle lui pardonnerait, Mamie émit un « pfuitt » réprobateur et éteignit la TV.

Nous eûmes beau appeler, il n’y avait apparemment plus personne dans la maison, où diable donc étaient-ils passés ?

32

Je trouvai sur mon bureau, bien en évidence, une enveloppe à mon nom et l’ouvris. A l’intérieur une lettre :

Ma grande sœur chérie

Nous n’avons pas eu le temps de beaucoup bavarder et crois-bien que je le regrette. On ne refait pas le passé ; il nous faudrait des jours et des jours pour tenter de combler ce manque énorme ; rien ne suffira. A l’époque, je pense que nos parents ont cru bien faire. Chacun a pris sa part. Maman s’est jeté sur moi, j’étais son petit, son bébé et Antoine fût sûrement, lui aussi, content de son sort. Père et fille, cela ne pouvait que marcher ; de plus, je m’en souviens très bien, tu étais plus belle que belle, quelle valorisation pour un macho comme notre paternel. Il reste des zones d’ombre qui me hantent auxquelles nous n’aurons peut-être jamais de réponse. Pourquoi maman haïssait-elle Papy ? Car elle le haïssait. Il n’y a qu’une réponse plausible mais pour rien au monde, je ne veux la voir écrite noir sur blanc. Papa savait-il ? Ou ne savait-il pas ? dans tous les cas, ce n’est pas glorieux. Si c’est non, il a tout du benêt de service, si c’est oui, comment a t-il pu garder des relations aimantes avec lui ? Hortense sait peut-être quelque chose, le temps est passé, je ne l’ai pas interrogée. Voila, tu sais tout et devines la raison qui a fait que je ne suis pas venu à son enterrement ; je ne le regrette pas.  Et mamie là-dedans ? Elle est si « particulière »! Cela cache t-il autre chose ?  Des souvenirs, j’en ai de merveilleux avec lui, c’est bien ce qui m’ennuie car je ne peux pas tourner la page et dire que c’était un salaud. (Si c’en était un,  car il reste quand même un doute, aussi menu soit-il).« Mes affaire » dont tu n’es pas dupe m’ont retenu à Paris à l’allée, elles réclament ma présence au retour. Je pars donc.

Tu dois être un peu dépassée dans ton enquête, il faut dire que cette génération spontanée de pines (appelons un chat, un chat) est assez amusante. Je t’enverrai les photographies de la deuch, elle a fait sensation quand les deux gamins sont allés faire un tour avec! Sur une des portières, un malheureux sexe en berne, celui-là même qui avait entraîné la fureur de Mamie sur l’autre un grand, beau sexe triomphant. Il n’y en avait plus que pour eux ! Moralité : que le sexe soit glorieux ou pas, il fait toujours rire. A tout coup, ils vont faire la une des journaux ; leur idée de fanions dépassant des portières avec indiqué AVANT et APRES était géniale ! Ils étaient les premiers et les seuls à signer leur œuvre, tu parles si ça a fait un effet bœuf ! (Si tu peux me dire d’où vient cette expression, je t’en serais éternellement reconnaissant!)

Redevenons sérieux, je serai parti quand tu liras cette lettre, espérant vraiment te revoir très vite. Je t’embrasse .   Dois-je signer en prenant une jolie écriture enfantine :

« Ton petit frère qui t’aime »

P.S Tu te débrouilles avec les autres! Raconte leur ce que tu voudras ! Et dis à l’affreux petit, au prénom improbable que j’oublie toujours, de dormir la nuit. Sa chambre était au dessus de la mienne, quel barouf !

La lettre à la main, Je m’écroulai sur une chaise. Que Teddy soit parti vivre sa vie, je n’avais aucun commentaire à faire là-dessus. Un jour viendrait peut-être où nous pourrions tisser des liens plus solides ; je n’y croyais plus trop, il ne faut pas se leurrer, l’absence lisse jour après jour les sentiments pour, en fin de compte, réduire la communication entre deux êtres à des platitudes, des banalités qui les étouffent. Ce n’était pas tout à fait le cas aujourd’hui, Teddy lâchait une bombe et s’en allait comme si de rien n’était. Comment devais-je le prendre ? La tête me tournait. Tout mon passé d’enfant, de jeune fille remontait mais ce n’était que des éclairs, des flashs.

Papy et nous, les rires, les pique-niques, Maman, magnifique, heureuse, sa nichée contre elle, nos bras autour d’elle, son sourire éclatant. Et puis tout d’un coup, l’éclair, la déchirure, les parents qui se parlaient, mais qui s’arrêtaient net de parler quand j’arrivais, quelques scènes, des chuchotements, des mots lancés comme des projectiles, des mots qui assassinent, et puis leur séparation, brutale, incompréhensible pour moi, pour Teddy aussi je pense, parti de l’autre côté de l’atlantique. J’avais Sébastien (Le fils d’Alicia), mon cousin, mon complice, c’est lui qui m’a aidée à vivre et pourtant ce n’était pas facile car son sac à dos était plein lui-aussi. Une mère là et néanmoins absente. Une mère fusionnelle qui le serrait contre elle à l’étouffer surtout quand il y avait quelques témoins, une mère qui pouvait l’emmener dans des endroits les plus étranges, à des expos, des dîners où il était le seul enfant mais une mère capable aussi de l’y oublier complètement. Un jour, elle ne se rappela de lui que trois jours après l’avoir laissé devant un magasin en lui disant qu’elle n’en avait que pour une minute, c’est dire ! Un gosse idolâtré et dans le même temps abandonné. Des nounous, des baby-sitters inconnues qui débarquaient, repartaient. Des pères autant qu’il en pleuvait, provisoires il le savait, alors il ne s’attachait pas. On a passé le gué de l’adolescence ensemble et puis il est mort. Un accident, idiot comme beaucoup d’accidents. Je me suis toujours demandé pour qui avait été sa dernière pensée. Sa mère ? Moi ? C’est idiot n’est-ce-pas de se poser pareille question. Toujours est-il que j’avais tout perdu, mon complice, mon alter-ego, mon frère . – Aujourd’hui j’ai besoin de toi, me suis-je entendu dire.   Et c’était vrai.

Impossible de partir à la plage et de marcher, marcher, marcher encore, ce qui est en général ma meilleure médication, elle était envahie de curieux. Il y en avait même qui avaient planté des tentes. Quand donc tout cela s’arrêtera t-il ?

Je descendis à la cuisine pour me faire un café et ne trouvai que Simon-Jacques, un panier à la main plein de petits gâteaux et de fruits ; une plaquette de chocolat en dépassait.   – Que fais-tu là ?

– Ils sont tous partis, la vieille Mamie est dans sa chambre.

– Tu dévalises la maison ?

– J’ai faim.

– Il y en a pour un régiment ! Et ta mère où est-elle ?

– Elle pleurniche sur son lit.

– Que s’est-il passé ?

– Rien, c’est son livre qui la fait pleurer.

– Tu m’en diras tant !

Si j’avais su ce que cela annonçait car, pour un scoop c’en fût un!

33

Hortense arriva pestant contre tout. Le temps qu’il lui avait fallu pour aller jusqu’à l’épicerie, « Comme si ce matin, au lieu de s’acheter de la lingerie, elle n’aurait pas mieux fait de racheter du thé », et ces gens qui sont fous, et le monde qui marche sur la tête… Pire que ça, les caprices de Mamie après ceux de Papy, non c’est trop ! Je la laissai sortir de son filet à provision ses emplettes.

– Ah ils ont fait fort les jumeaux ! Leur petite virée avec la deux CV d’Apolline, c’est dommage que tu aies manqué ça ; un réel succès, de quoi alimenter toutes les commérages. Impossible de trouver Guy pour les arrêter, quant à Marguerite, son téléphone vissé à l’oreille trois heures durant ! Devine avec qui ?

– LOV

– Il porte bien son nom celui-là. Elle roucoulait, une midinette. Cette semaine est un cauchemar, dis-moi que je rêve, que je vais tout d’un coup me réveiller et que tout sera enfin normal ; une petite vie tranquille, je n’ai envie que de ça, une petite vie tranquille. Et voilà maintenant que j’ai tout à préparer pour demain ! Madame reçoit, Madame s’en fout que je n’en puisse plus , Madame ne pense qu’à elle. Ce n’est pas faute de lui avoir demandé de repousser sa sauterie à la semaine prochaine ; tu sais ce qu’elle m’a répondu : « Il faut battre le fer quand il est chaud » Le fer, quel fer ? Je n’y comprends plus rien.

– Assieds-toi, Hortense ; un thé, ce n’est pas une affaire ; il y a combien d’invités ?

– 7 je crois mais avec elle, entre aujourd’hui et demain, tout peut changer !

– Tu les connais ?

– Un peu, certains. Ça aussi une idée de Baptiste. On en a marre, marre, trois fois marre des idées de Baptiste, il est mort, trois pieds sous terre, qu’il y reste ! Si ces petits crétins ne l’avaient pas aidée…

– Je n’y comprends rien, qui donc ?

– Apolline, ta propre grand-mère bien sûr ; fais un effort, je t’ai pourtant tout raconté : c’est la relève qu’elle recrute et pour ne pas perdre de temps, elle fait un « casting ».

– Un casting ?

– Oui, je crois que c’est le mot qu’elle a employé. Tous ensemble et que le meilleur gagne.

– Ah non, je n’y crois pas !

-Tu ne sais pas ce qu’elle m’a dit « Tu vois Hortense, moi je fais les choses dans l’ordre. Pour Baptiste on a fait fort, on lui a fait une bonne surprise. Paix à son âme maintenant!  A mon tour maintenant !

Je devais avoir la bouche ouverte comme un triton hors de l’eau ; désorientée face à cette suite d’énigmes auxquelles je ne pigeais rien. Hortense continua imperturbable : – J’en ai trop dit, autant que je te dise tout : Baptiste, tu le sais, c’était un fieffé cavaleur. Apolline l’aimait, elle a toujours passé sur escapades car, bien sûr, les choses se disaient ; elle ne voyait, n’entendait rien comme les vieux sages. Son Baptiste lui revenait toujours, c’est ce qui comptait. Bref, le Baptiste veut se faire une conscience irréprochable avant de passer de l’autre côté.   « Apolline, je te dois la vérité » Elle l’a arrêté tout de suite, n’a rien voulu entendre, du moins de sa bouche et pour lui montrer que non seulement elle savait, mais qu’elle lui pardonnait, sans le lui dire, surprise, elle a invité toutes ces créatures (du moins celles qui sont encore en vie et celles qu’elle a identifiées) à un dîner. Elle m’a mise dans la confidence, on a fait de jolis cartons d’invitation ; tiens, je te le lis, j’en ai un dans ma poche de tablier.

Nos chemins se sont croisés un jour, la vie s’envole, dans quelques semaines je ne serai plus là, fais moi le grand plaisir de venir dîner avec moi une dernière fois le mardi 12 avril à 20 heures.

Toutes ont cru que c’était à elle, et à seule, que s’adressait le message ; et toutes ont cru bien évidemment qu’Apolline ne serait pas là. Le jour J, sur les douze que nous avions repérées et invitées neuf sont arrivées dans leurs plus beaux affûtiaux. Je ne te dirai pas leur nom, conscience professionnelle oblige ; je les ai reçues et invitées à passer directement à table. La tête de Baptiste à qui nous avions annoncé un simple dîner d’amis quand la première est arrivée, puis la seconde, puis les autres ! Que des belles femmes, pour ça il avait du goût ! De tout âge, tu t’en doutes, aucune n’était de l’année ! Je croyais qu’elles allaient s’étriper, que Nenni elles ont joué le jeu. Il faut dire que j’avais préparé un punch qui leur a ôté toutes leurs inhibitions, toutes leurs rancœurs aussi. Ce n’est que lorsqu’ils ont tous trinqué à la vie, à la mort, à l’amour qu’Apolline a fait son entrée. Entrée remarquée !

Chacun d’un côté de la grande table, ils ont présidé, ces dames réparties autour d’eux. Ah ça avait de la gueule ! Apolline a fait un petit laïus qui fût très applaudi, ton grand-père aussi annonçant son départ vers un monde que l’on dit meilleur. Il y a eu de l’émotion, des larmes, tout y était !  Et voilà qu’on recommence ! un thé, un thé pour départager les prétendants de madame ! Je n’y crois pas, d’autant plus qu’on ne me la fait pas, je vois tout, j’entends tout, il y en a un qui a un petit tour d’avance. C’est triché!  Dans tous les cas, si ça devient une habitude, je rends mon tablier !

La tête entre les mains, je murmurai : – Je n’y crois pas, je n’y crois pas !

Hortense se mit à rire.  – Et si ma belle, il va falloir que tu t’y fasses. Il n’y en a pas un pour sauver l’autre. Du même bois qu’ils étaient !

– Hortense, réponds-moi, Baptiste aurait-il tenté de flirter ou plus avec ma mère, avec Valentine ?

On aurait dit qu’un vent glacial s’était engouffré dans la cuisine. Hortense trébucha, se rattrapa à la table. Elle hocha juste la tête en signe de dénégation.

– Non ou oui, Hortense réponds-moi !

– Doux Jésus murmura t-elle ; je ne sais pas, je ne sais rien, je ne veux rien savoir.

Elle ne dit rien d’autre malgré mes questions de plus en plus pressantes. Ne rien dire, c’est consentir. Je me refusai néanmoins d’y croire: la suite? Vous la découvrirez plus tard…comme la vérité du reste!

34

Au dîner Alicia annonça qu’Hugues repartirait demain. Quelqu’un avait-il les horaires de train ? – Jeanne, pourras-tu l’emmener à la gare ?

– Impossible, j’ai trop à faire.

La bouche d’Alicia s’ouvrit en cul de poule ; habituée à ce que l’on satisfasse ses moindre désirs, elle ne comprenait pas ce qui se passait. Elle réitéra sa demande auprès d’Antoine, puis de Guy et de Marguerite qui, les uns comme les autres, refusèrent.

– Ce que vous êtes vieux jeu ! Je ne vais quand même pas demander à Benoît; au premier tournant, ils vont encore se battre. Bon, personne ne veut l’accompagner, c’est moi qui le ferai. Quelle mentalité de petits bourgeois étriqués. Vous êtes tous minables. Mon Dieu, j’y pense, demain c’est Dimanche, pas de TER .  Et se tournant vers Hugues, champion de masochisme, car supporter ce qu’il a supporté est bien au delà du normal : – Ne  t’en fais pas, Hugues, je te raccompagnerai jusqu’à chez toi puisqu’ils sont tous de sales égoïstes.

– Je te l’interdis.   C’était Benoît qui se rebiffait.

– Comment ça, tu m’interdis quelque chose ? Ah ça mon petit bonhomme, ce n’est pas un langage qu’on emploie avec moi.   Se dirigeant alors vers Hugues jusqu’à lui mettre la main sur l’épaule (inutile de dire dans quel état il était!) :  – Voilà comment tu es récompensé ! Tu as eu de la compassion, tu m’as aidée dans cet horrible moment et tout le monde l’oublie ! Et se tournant vers Mamie – Quand ce sera ton tour, Maman, je mourrai aussi de chagrin ; eh bien à ce moment là, écoutez-moi bien, j’irai chercher Hugues, c’est le seul qui me comprenne, capable de me donner sans compter un peu de soutien, de générosité.  Elle nous toisa tous, s’arrêta sur son mari :  – J’ai dit que je le raccompagnerai, je le raccompagnerai, ne t’en déplaise. Après j’irai retrouver la sérénité pendant quelques jours au Monastère d’Eulalie la très Sainte ; ne cherchez pas à me joindre. Je n’ai aucune considération pour vous et encore moins pour toi, Benoît. Tu n’as aucune morale. Hugues aide ta femme dans l’adversité, tu trouves ça normal, pas un mot de remerciement, je rêve ! Les larmes aux yeux, elle rajouta :  – Ah j’ai trop de peine. Découvrir que j’ai une famille pareille, égoïste, asociale . Quelle honte !

Après le dîner, quand Mamie demanda aux jumeaux de monter dans sa chambre, tout d’un coup je fus submergée par une colère que je n’avais pas vu venir : – Ça suffit, il y en a 7 !

Mamie resta de marbre puis à voix douce me répondit :-Tu n’y es pas ma petite,  c’est du blog dont il s’agit; du reste il faudra que je t’en parle ; je n’arrive plus à l’ouvrir ; en plus j’ai une propo, je ne sais pas quoi et comment répondre. Regards vers les garçons : – Zou, remuez-vous, il faut que je vienne vous chercher par la peau des fesses ?  Les deux gamins se levèrent et la suivirent.

Qui a dit, il n’y a pas longtemps que le monde marchait sur la tête ?

– Je peux sortir de table, Maman s’il-te-plaît ?  Personne n’en crut ses oreille ! D’abord le petit était à table, en général il était dessous ; ensuite, il demandait poliment à en sortir. Un rêve ? Une hallucination ?

6em jour

Dimanche…c’est une tradition, moi qui ne suis pas pratiquante ailleurs, quand je suis ici, je vais à la messe. On y rencontre tout le monde, c’est une façon de renouer avec notre enfance.  C’est stupide de le dire mais j’avais besoin d’aide, de réconfort et il n’y avait que Dieu pour en dispenser car s’il avait fallut que je compte sur cette famille de zinzins… Il y avait du monde ; chacun se préparait à subir les foudres de notre bon abbé et nous fûmes servis. Il faut dire que sa semaine avait été rude.

L’enterrement de Papy et cet affreux article dans le journal local hurlant au scandale suivi d’un autre scandale, ô combien plus grave, la floraison spontanée de ce que vous savez partout. Bien sûr, elle n’avait pas épargné l’église à tel point que Monseigneur Gerlurme était venu en personne prêter main forte à notre Maire et aux autorités. Les choses ne s’étaient pas arrangées depuis, loin s’en faut ! Elles n’avaient fait qu’empirer. L’arrivée de tous ces messieurs, cols blancs ou violets semblait avoir excité l’imagination de beaucoup. Après la crucifixion d’un magnifique braquemart auréolé, nous avons eu droit à un chemin de croix…rien que ça ! plusieurs de ces petites choses, marchant la tête recourbée accompagnées d’une femme relevant sa jupe et montrant son postérieur (Marie-Madeleine?) et d’une autre les yeux au ciel serrant dans ses mains pieusement jointes l’organe monstrueux d’un affreux romain muni de sa lance.  Bien sûr, tout cela avait été lessivé à grande eau ; il n’en restait pas moins que des photos circulaient…

Autour de l’église, des marchands du temple avaient dressé leurs tentes et vendaient en plus des hot-dogs, des brioches en forme de… . Le boulanger, notre boulanger qui bouffait du curé à longueur de temps était furieux de cette concurrence car il avait à sa façon préparé la sortie de la messe. Ses baguettes étaient ornées à une seule extrémité, tiens donc, de jolies boules dorées ; les éclairs au chocolat, ses religieuses (!) et bon nombre de ses gâteaux n’échappaient pas à cette soudaine expression d’un art contestable.  Finalement, à mon sens, c’était une bonne idée que chacun donne libre cours à sa créativité.  Il arriverait bien un jour où trop serait trop et où les choses naturellement rentreraient dans l’ordre. Vous verrez très vite que…non!

35

L’office commença comme d’habitude sauf que notre abbé sortit de la sacristie au pas de charge, des flammes lui sortant des yeux, il serrait les dents, fronçait les sourcils. Pour ce qui est de l’homélie, nous nous en souviendrons. Comme vous le savez, toutes les églises prêchent la solidarité, l’entente, l’amour et, pour que Dieu ne soit pas un être inaccessible, ses représentants depuis longtemps ne montent plus en chaire comme autrefois. Cette fois-ci, vous le devinez, toujours au pas de charge, il y monta. Silence absolu dans les rangs et après, pour dire les choses telles qu’elles ont été, il nous engueula de belle manière. Il hurla :  – Sodome Gomorrhe, il y a des limites à ne pas franchir, la châtiment de Dieu a été exemplaire, préparez-vous à votre tour à en subir les foudres .

Jamais nous ne l’avions vu dans une colère pareille, nous promettant le diable pour la vie éternelle si, immédiatement, nous ne réagissions pas! Que l’Église, son église ait été la cible de mécréants, de jean-foutres, de blasphémateurs était un scandale. Il nous appartenait, à nous ses ouailles respectueuses, d’établir des rondes, de monter une force active et de chasser ces provocateurs ! Et puisqu’il fallait employer les grands moyens, il faisait grève ! Non, plus aucun baptême, plus de mariages et plus d’enterrements tant que la Maison de Dieu serait profanée car « N’était-ce pas au cours d’un enterrement que tout avait commencé » (son œil chercha alors dans la foule un représentant de notre famille ; le scandale n’avait-il pas germé à l’enterrement de Papy) ; je me fis toute petite, retenant ma respiration, priant Dieu et tous ses saints de me rendre momentanément invisible. Sympas, ils me rendirent ce service.

La TV était là, interviewant qui le voulait et tous le voulaient, vous pensez bien : passer à la TV ! . Chacun y allait de son hypothèse, quelques-uns à mots couverts, disaient sans le dire que leur voisin pour une raison inconnue était sorti cette nuit, ainsi que la nuit précédente… Beaucoup, l’œil égrillard, pensaient savoir quelque chose mais ils n’étaient pas des délateurs, les grenouilles de bénitier se signaient, les mères de famille avouaient leur impuissance, que dire à leurs chers bambins ?

Et le ciel qui nous avait envoyé ces derniers temps pas mal d’orages était d’un bleu absolu permettant ainsi les balades en famille dans toutes les ruelles du village, les pique-niques sur la plage. Le bar du village regorgeait de monde. L’hôtel de la plage affichait complet. On disait que le Maire avait dû, en milieu de journée, ouvrir le gymnase pour permettre à la Croix-Rouge de soigner ou de donner de l’eau et quelques nourritures terrestres à quelques imprévoyants pensant tout trouver sur place.

Je rentrai à la maison non sans voir acheté quelques brioches. Prudente, j’avais demandé en allant à la messe, au boulanger, Monsieur Tétar de m’en mettre deux de côté … Sans nul doute, Antoine allait adorer. Il fallait voir leur nouvelle forme!

Une fumée épaisse sortait de derrière la haie, c’était Mamie qui brûlaient des lettres, quelques objets dont l’écritoire de Papy, ce qui ressemblait à des cahiers intimes, des boites de médicaments, bref, le grand rangement de printemps ! – Enfin Mamie, qu’est-ce que tu fais, c’est dangereux, tu vas mettre le feu à la colline.

– Ne t’inquiète pas ma fille, il faut faire place nette.

– Place nette ?

– Nouveau et probablement dernier versant de ma vie, je ne veux pas le louper… Et elle ne l’a pas loupé, vous le découvrirez plus tard!

36

Je pris Mamie dans mes bras ; elle était toute frêle, un petit oiseau ; (non, je n’oublie pas ce que ce petit oiseau est capable de faire!) je la serrai fort, fort et je l’embrassai dans les cheveux (elle est beaucoup plus petite que moi) ; cette fois-là, ils sentaient le feu de bois et non pas son parfum à la verveine habituel… Il n’y avait que des platitudes qui me venaient en tête : – Ne dis pas des choses comme ça, tu seras ma mamie encore longtemps

– Jusqu’au jour où vous en aurez assez et où vous me ferez un bon petit plat de champignons.

– Mamie, où vas-tu chercher cela ?

– Pas si loin, pas si loin, d’autres l’ont fait ! Et je les comprends.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Ma fille, quand on sait que l’autre est sur le toboggan et, que la grande faucheuse l’attend, quand on sait aussi qu’on n’aura pas la force de l’accompagner jusqu’au bout et quand on sait qu’il a bien réglé ses affaires, crois-moi, c’est facile.

– Mamie, tu veux dire que…

– Je ne veux rien dire et encore moins avouer, je veux juste me dégager d’un passé qui me colle aux pieds, c’est pourquoi, je brûle tout ça. Je l’ai aimé ton grand-père. Je suis passée sur beaucoup de choses, sur trop de choses, je ne me sentais pas de vivre sans lui jusqu’au jour où, il y a eu comme un déclic, une évidence. Il faut dire que tout ça, elle me montra la table dressée dans le jardin pour la réception de ses invités, c’est une idée de lui, je ne fais que lui obéir ! Son œil se mit à frisotter. – J’avoue que j’y prends un certain plaisir mais, c’est à moi maintenant, de prendre ma destinée en mains. Elle me regarda puis changea complètement de sujet : – Je suis contente que Teddy soit venu, je suis sûre que vous vous retrouverez, tôt ou tard. Vous renouerez, oublierez le passé ; il est encore temps, vous êtes jeunes. Valentine était une perle. Elle marmonna : – Du gâchis tout ça, du gâchis. Il reste un dernier carton, après j’ai fini, veux-tu avoir la gentillesse d’aller le chercher dans ma chambre ? Je remontai l’allée dans le jardin très perturbée. On le serait à moins.

Hortense quand elle me vit passer me sauta dessus. – Jeanne, Jeanne, Marguerite…

– Qu’est-il arrivé ? calme toi !

– Une Alfa-Romeo rouge, décapotable.

– Oui et alors ?

– Marguerite a fait ses valises ; elle est partie.

– Quoi ? Tata Pâquerette a pris la poudre escampette ? Mais avec qui ?

– Un bel homme, les cheveux un peu longs, bouclés et des petites lunettes rondes, genre intello. Attends , attends, elle lui a sauté dans les bras ; je vais me rappeler de son prénom, je vais m’en rappeler. Elle se mit la tête entre les mains, fronça les sourcils, rien n’y fit. Elle baissa les épaules contrariée. – Demande aux jumeaux, ils semblaient le connaître. André-Jean, Pierre-Thomas, où êtes- vous ? Elle répéta en hurlant : – Les garçons venez !

– Qu’est ce qu’il y a encore ?

– Le type, le type qui est venu chercher votre mère, c’est qui ?

– Ben, LOV.

– Ce n’est pas ce qu’elle a dit, c’était plus long.

– Ouais, bien sûr, Louis-Olivier.

– C’est ça, c’est ça ! Qu’est-ce qu’on va faire. Elle les a laissés, dit-elle, en regardant les jumeaux qui repartaient tranquilles à leur jeu. – Et le petit en plus, je ne sais même pas où il est !

Je m’informai alors de Guy ? Etait-il au courant ?

– Ils se sont encore chamaillés ce matin. Il faut dire que Guy n’y est pas allé avec le dos de la cuillère, il l’a traitée d’emmerdeuse, ça c’est classique mais aussi de grosse vache, ce n’était quand même pas très gentil…Elle s’est mise à pleurer comme d’habitude et est partie téléphoner. Voila le résultat… En tous les cas, c’était un bel homme ; à choisir…..

– Hortense !

– Pour ce que j’en dis ! Qu’est-ce qu’on fait maintenant avec les petits ?

– Attends, chaque chose en son temps, j’apporte son carton à Mamie, je reviens. Elle les a vus partir ?

– Bien sûr, il klaxonnait comme pour un mariage. Quand même, c’est exagéré !

Mamie était déjà occupée à son feu quand Marguerite est passée dans l’allée avec sa valise et qu’elle lui a lancé : « Vous pouvez le garder votre fils, j’en ai ma claque » ; tu ne devineras jamais ce que Mamie lui a répondu « C’est tout ou rien, prends les gosses aussi » Mais elle ne les a pas pris…

Hortense s’effondra sur un tabouret et c’est comme ça que je la retrouvai cinq minutes après. – Hortense, occupe-toi du thé de Mamie, j’assure pour les mômes. Quand Guy reviendra, il prendra ses responsabilités.

37

Quel Dimanche ! Alicia partit raccompagner Hugues chez lui, non sans avoir pesté contre l’égoïsme de tous les membres de cette famille qui l’y obligeaient, Benoît (c’est son mari) très en colère , il y avait de quoi, me suivait comme un caniche.

– Elle disparaît, réapparaît avec toujours des histoires à dormir debout, il arrive un moment où ce n’est plus possible. Ses crises mystiques deviennent de plus en plus nombreuses, aucun monastère de la région ne lui est inconnu. Non, pas à moi, je n’y crois plus. Une fois, deux fois dans une vie entière, c’est acceptable ; c’est me prendre pour un jobard ; aucun homme ne supporterait cela! Tu es d’accord avec moi ?

Je n’allai pas lui donner raison et envenimer encore plus la situation. Alors, j’allais, je venais, je donnais un coup de main à Hortense ; il continua à me suivre.  – D’autant plus qu’elle en revient en pleine forme ; la dernière fois qu’elle m’a fait le coup bronzée comme un pruneau. « J’ai lu dans le cloître tous les jours »…tu parles !Tu as déjà vu des pin-up à poil chez les Maristes? Je n’en peux plus. Qu’est-ce que tu ferais à ma place ? La laisser ? elle n’a aucun moyen d’existence ; ce ne sont pas les cours particuliers de yoga qu’elle donne qui suffiront. A propos de ces cours, je les trouve aussi un peu trop particuliers. Ta tante va me rendre fou comme elle a rendu fous les autres mais, mais elle est si attachante.

Guy apparut. Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre ; l’adversité engendre la solidarité mais c’était un langage de sourds ; chacun expliquait à l’autre qui s’en foutait royalement que sa femme avait pris la tangente. Tous deux s’accordaient sur le fait qu’ils n’y voyaient vraiment aucune explication. N’assuraient-ils pas le pain quotidien, la stabilité, l’honorabilité.

Alicia reviendrait, c’est sûr, au domicile conjugal, un beau matin et il était fort à parier que Marguerite en ferait de même. Planter là son mari, ce pourrait n’être qu’un péché mignon (qui, pour elle, relevait quand même de l’exploit) mais abandonner ses enfants, elle n’en avait pas la carrure. Quant à l’Adonis, son alfa cabriolet rouge n’était pas conçue pour une famille nombreuse aussi charmante soit-elle!

Guy releva la tête, bomba le torse, appela ses rejetons :  – Mamie a besoin d’un peu de tranquillité, je vous emmène à la crêperie. Que tout le monde soit prêt dans ½ heure ; en ordre de marche moussaillons !  C’était tellement ridicule que cela ne fit rire personne, encore moins les intéressés qui tentèrent par tout moyen d’échapper à la corvée. Les grands prétextant une partie de jeux vidéo en réseaux et qu’il n’était pas possible de faire faux bond ; Simon-Jacques piaillant qu’il ne pouvait pas laisser son copain. Chacun crut qu’il faisait allusion à son Doudou, une chose informe, puante qu’il n’avait pas le droit d’emmener ni à la cuisine, ni dans les pièces de réception et encore moins dans les lieux publics. Marguerite avait interdit qu’on le lavât, c’eut été couper ce petit de son enfance, de ses racines ; LOV était de son avis. Son père se retourna vers moi, fallait-il faire preuve d’autorité ou être, pour une fois, magnanime ? Les circonstances ne permettaient-elles pas qu’on fit une exception à la règle. Il n’était pas temps de consulter les ouvrages de Dolto dont sa femme lui rabattait les oreilles. Ne sachant que faire, voyant le gosse taper des pieds, puis se rouler par terre, il abdiqua.

– C’est bon, tu peux l’amener.

Le petit ressuscita, en un bond fût debout, se précipita vers la maison, leva la tête vers sa chambre et hurla :- Tu peux venir. On va à la crêperie.

Nous nous regardâmes Guy et moi, un peu interloqués. Régressait-il déjà ? Perdre sa mère, si jeune, entraînait-il des dommages psychiques si rapides et si importants ?

– Descends, j’te dis, n’aie pas peur Totor, ils sont d’accord.

La foudre, toujours elle, serait tombée sur nos têtes que cela n’aurait rien changé. Nous étions pétrifiés. Avions-nous bien entendu ? Mirage auditif ? Guy avait la tête levée vers la chambre de Simon-Jacques, bouche ouverte, œil écarquillé. Attendait-il une apparition ? Et cette apparition pouvait-elle être celle de Victor, le disparu, le demeuré ? Non, non ce n’était pas possible, pas ça, par pitié, pas ça ! Silence total, pas un mouvement, seules nos poitrines qui se soulevaient, respiration oblige.

C’est un appel à l’éternel « Dieu du Ciel » et un bruit de vaisselle cassée qui nous sortit de notre stupeur. Une silhouette se dessinait dans l’encadrement de la porte, descendait les quelques marches, se dirigeait vers nous. Non, aucun doute n’était permis, c’était bien Victor. Il venait de croiser Hortense, son plateau à la main. Guy chancela, regarda son fils, regarda Victor, regarda à nouveau son fils, ouvrit à nouveau la bouche sans qu’aucun son n’en sorte, me regarda, encore, comme si je pouvais d’un coup de baguette magique faire disparaître tous les personnages de cette scène inimaginable et s’effondra dans un fauteuil de jardin que le destin dans sa grande générosité avait posé là. Il se prit la tête entre les mains, je fus la seule à entendre parce qu’à côté de lui : – Non, je n’y crois pas, pas ça, pas lui !

Victor, dépenaillé, pas rasé, hirsute et Simon-Jacques s’amusaient déjà comme des gamins ; Victor faisait de grands mouvements avec ses bras et ses jambes, ce qui n’avait rien d’étonnant s’il était resté deux jours enfermé dans la chambre de son copain.

– On y va, on y va hurla Simon-Jacques ; moi, j’en veux une au chocolat.

Il fallait agir. J’en pris l’initiative, Guy étant dans l’incapacité totale de faire quoique ce soit. Victor calmé avait repris sa corde et faisait des nœuds. Le petit courrait autour de nous comme un zébulon.

– Il faut prévenir la gendarmerie et sa mère.

– Ah non, Jeanne, on va avoir les pires ennuis, enlèvement, séquestration.

– Rien ne nous oblige à dire toute la vérité, personne ne l’a vu ici.

– Simon-Jacques ?

– Guy, arrête un peu, personne n’interrogera un gamin de 6 ans et ce n’est pas Victor qui dira quoique ce soit, il ne parle pas….

38

– Il faut se rapprocher au plus de la vérité nous dirons que nous venons de le trouver chez nous, que bien sûr nous lui avons donné les premiers soins, à boire et à manger, qu’il s’est précipité dessus et semble en tout état de cause en bonne forme. Appelle Hortense, qu’elle adapte sa version si elle est interrogée.

– Mais, mais…

– Mais quoi, redresse-toi, l’important, c’est qu’on l’ait retrouvé, qu’on cesse les recherches ; affaire classée pour les flics. Tout le monde est content.

– Mais qui sait ?

– Appelle les grands.

C’est ce qu’il fît. La réponse ne se fît pas attendre, – On ne veut pas y aller, on reste ici.

– Bon, j’y vais, je vais voir l’étendue des dégâts.

Je revins deux minutes après, Guy était dans le même état d’hébétude, le petit le tirait par le bras.   -Tu as promis, tu as promis….  Je le cueillis au passage.  -Viens ici, toi ! Écoute-moi bien. Victor, il doit aller voir sa maman qui pleure tous les jours parce qu’elle ne l’a pas vu et c’est à cause de toi, alors ta crêpe, elle attendra un peu. Papa va le ramener chez lui et après vous irez à la crêperie. Et seulement, si sa maman le veut bien, il ira avec vous. D’acc ?

Je me retournai vers Guy :  – Là-haut, rien vu, rien entendu. Je leur ai dit qu’on avait retrouvé Victor dans le jardin, aucune réaction. Je file à la gendarmerie et les préviens que par mesure humanitaire et, pour ne pas ameuter toutes les populations surtout en ce moment, tu l’as ramené immédiatement chez lui. Filez tous les trois. Guy se releva. Il avait pris quinze ans d’un seul coup ! J’eus pitié de lui :  – Va boire un coup avant et ne reviens pas avant 18 heures, Mamie oblige !

Ce n’était pas fini, alors qu’ils étaient dans la voiture, le petit se mit à hurler :  – Ses feutres, on a oublié ses feutres.

– Trop tard, je les lui apporterai demain ; filez !

Avant de partir à la gendarmerie, il me fallut m’assurer de quelques détails et veiller à effacer, s’il y en avait, les traces qu’aurait pu laisser Victor.  Quatre à quatre je montais dans la chambre du petit. Horreur ! Des paquets vides de chips, de gâteaux partout, des épluchures de bananes, des trognons de pommes. Mais qu’avait donc foutu Tata Pâquerette ? Moi qui croyais que les mères, le soir, lisaient des histoires à leurs gosses et leur faisaient des câlins ! Erreur ! il y en a d’autres qui pleurnichent en lisant des livres sulfureux ! Victor était probablement resté là deux jours et personne ne l’avait remarqué ! Famille je te hais! Le pire était dans la petite salle de bain attenante, apparemment il s’étaient tous les deux servis de la douche comme de toilettes, je vous passe les détails ! Quant à la déco ? S’étaient-ils inspirés de ce qu’ils avaient vu en ville ou, et je le craignais, en avaient-il été les instigateurs, nous ne le saurons probablement jamais. Seul un mur heureusement s’ornait de ce membre dont je ne veux plus entendre parler. Les autres y avaient échappé ; l’explication était simple, il n’avaient plus de munitions et avaient dû se contenter, la bombe vide, des feutres et crayons de couleur que le petit avait dans sa trousse ; ce qui avait épargné les autres murs.

Je n’eus pas le temps de faire des études comparatives mais, à coup sûr, il y avait des ressemblances entre celui qui avait fleuri sur le mur des Tardy et celui que j’avais sous les yeux. Il n’était plus temps, non plus, de remettre cette chambre en état. Dans une demi-heure, compte-tenu de la circulation, Guy rendrait Victor à sa mère, il fallait que j’aille vite à la gendarmerie pour éviter un débarquement à la maison, pendant le thé de Mamie, avec les risques que cela comportait inévitablement. Un gendarme zélé voudrait peut-être faire le tour de la maison!

– Hortense, avant l’arrivée des jules de Mamie, si tu peux aller voir et arranger la chambre de Simon-Jacques ce serait super. N’oublie pas, Totor, on l’a trouvé aujourd’hui, dans le jardin et Guy l’a ramené immédiatement chez sa mère. Toi, tu n’as rien vu, rien entendu, juste tu le sais parce que Guy et moi, on te l’a dit. O.K ? Je file à la gendarmerie.

Je suis rentrée fort tard et n’ai dérangé personne pendant le fameux thé vu qu’il y avait vingt personnes devant moi qui attendaient pour porter plainte pour dégradations, pour vols (les pickpockets s’en donnaient à cœur joie) pour je ne sais quoi. J’eus droit cependant à un traitement de faveur, la priorité des priorités quand, au planton de service qui essayait vainement de calmer les victimes, j’annonçais calmement que moi, je venais pour la disparition de Victor, que j’avais une bonne nouvelle, que nous l’avions retrouvé sain et sauf et ramené sans plus attendre chez sa mère. Curieusement toute la foule se calma, espérant entendre des détails supplémentaires. Le reste est sans surprise. Déposition…pendant laquelle ils téléphonèrent à Mme Grouiller, la mère de Victor, qui, en sanglotant, leur confirma mes dires. Victor était bien chez eux, sain et sauf. Déposition prise par le gradé le plus élevé qui ne chercha à aucun moment la petite bête d’autant plus que j’allais au-devant de ses désirs : – Si vous voulez voir où nous l’avons trouvé, il n’y a aucun problème, nous sommes tous dans notre maison familiale pour entourer notre mère et grand-mère très affectée par la mort précoce de mon grand-père. Passez-nous un coup de fil avant, seul mon oncle Guy et moi même avons été des témoins de la découverte de Victor.

Il y eut tout d’un coup des protestations, des injures, je crus à une insurrection, il était 18 heures, la gendarmerie allait fermer, il fallait donc que les personnes encore présentes reviennent demain ou tentent de faire leur déclaration sur internet, elles seraient alors convoquées plus tard. Je fus remerciée du sens civique de notre famille, raccompagnée jusqu’à la porte.

– Il y a des détails à combler, cela est sans urgence puisque l’issue est heureuse. Nous craignions le pire dans ce contexte difficile. Merci de votre aide qui nous a été précieuse.

Je demandai la discrétion la plus grande sur cette malheureuse affaire qui se terminait pourtant si bien :- Ne nous mentionnez pas, nous avons rien fait que notre devoir : raccompagner ce pauvre homme chez lui comme chacun l’aurait fait.

39

Plus calme que notre maison quand je rentrai, il n’y a pas !Hortense, que ferions-nous sans elle, avait tout rangé. Les chaises étaient repliées autour de la table de jardin, il était difficile d’imaginer qu’une dizaine de personnes s’étaient réunies, avaient bavardé et pris le thé ensemble. J’entrai dans la cuisine.

-Tout va bien, tout le monde est là ? Où est Mamie ?

Hortense me fît un signe du menton indiquant l’étage.   – Elle se repose, c’est bien. Tu me raconteras…

– Je ne te raconterai rien, tu verras.

– Comment ça, je verrai ?

– Nous avons un invité ce soir.

– Quoi ? Qui ? Où est-il ?

– Quelle question ! Avec ta grand-mère bien sûr !

– Je n’y crois pas !

– Apolline m’a demandé si on pouvait dîner tous ensemble dans la salle à manger. Léger m’a t-elle dit, à moins que les enfants n’aient une faim de loup. A propos des enfants, « ce serait bien qu’ils dînent avant nous, ils sont si mal-élevés ». Je la cite ! Je ne pouvais pas le présenter comme cela à Guy alors ne t’étonne pas, j’ai organisé une opération TV et sandwichs dans le bureau de ton grand-père, ils sont ravis. Simon-Jacques pleurniche qu’il n’a plus son copain. Guy repart demain, il passe son temps au téléphone avec Marguerite qui l’envoie paître. Il va être dans de beaux draps si elle ne revient pas mais je te donne mon billet qu’elle reviendra. Quelle idiote, elle ne pouvait pas le garder comme amant son LOV, il y en a qui vivent des années entières des doubles vies et qui ne s’en sortent pas plus mal, au contraire, c’est excitant !

– Ben, Hortense, tu en sais quelque chose ?

– Qu’est-ce que tu crois mais qu’est-ce que tu crois donc ? Toute ma vie avec Fernand mon mari ? J’aurais été complètement asphyxiée ; et toute ma vie, en plus, avec vous à mes côtés, vos aventures, vos folies, tu crois que ça ne donne pas envie ? J’ai franchi le pas et je m’en suis très bien portée jusqu’au dîner.

– Quel dîner ?

– Le dîner de Baptiste et de ses conquêtes. Pourquoi crois-tu que j’étais furieuse ? Quand j’ai vu se pointer la rousse, et puis une autre, une grande sauterelle. C’est qu’il m’avait doublée ton grand-père et ça, je ne suis pas prête de lui pardonner. Le salopard. Paix à son âme ? pas du tout !…..Un monsieur très bien ? Pas du tout !…..Un queutard sans morale? oui ! En plus, j’étais ridicule, Apolline savait pour la rousse, la pute du menuisier, et moi, je n’ai rien vu ! Alors quand je l’ai vue se pointer, je voulais la virer mais comment le faire ? Baptiste et moi, on a jamais rien dit à Apolline, ce serait devenu trop compliqué, j’ai tenu ma langue, il m’en a fallu du courage. Bon, c’est de l’histoire ancienne, encore que…  Elle eut un sourire, tout petit sourire au coin des lèvres et ses yeux, oui ses yeux, tout comme ceux d’Apolline se mirent à frisotter. Décidément ! Je n’avais pas besoin d’en savoir plus !

– On n’en parle plus !

– Je n’en reviens pas !

– Je suis trop bavarde, pourquoi te raconter tout ça ? Une vieille baderne, je deviens une vieille baderne. Je l’ai aimé ton grand-père, mais…

Elle n’en rajouta pas plus sur ce thème brûlant faisant dévier la conversation sur le duo infernal Guy et sa femme : – Pour en revenir à Marguerite et à Guy, si seulement ta tante m’en avait parlé, je l’aurais conseillée ! Tu verras, elle va le faire languir mais elle va revenir. Ses robes de chambre en pilou-pilou vont lui manquer cet hiver et le drôle avec sa voiture rouge ne va en faire qu’une bouchée ! Combien tu paries ? Aide-moi, 4 poireaux à éplucher, de la crème fraîche, je vais faire un petit velouté et après juste une pomme de terre au four bien dorée, quelques feuilles de roquette, un petit chèvre et le tour est joué ! En plus, c’est du léger ! Si l’heureux élu n’est pas content, Apolline a ses remplaçants sur les starting- blocks. Et si je faisais une tarte aux abricots, la première de la saison ?

– Hortense, j’ai une question à te poser.

– Non, ma caille, c’est fini, on n’en parle plus !

– Juste une, je te jure, juste une !

Hortense soupira, hocha la tête, s’assit à côté de moi.

– Qu’est ce que tu veux savoir petite ?

– C’est toi qui as dessiné un petit zob sur le cercueil de Papy ?

Hortense partit d’un énorme éclat de rire, se releva du banc et dit : – Je croyais que tu allais me demander bien pire, Non, ce n’est pas moi ! Et je le regrette bien, le salopard, quand j’y pense avec la rousse et l’autre mochedingue, je ne sais pas d’où il la sortait celle-là ; je le saurai un jour, Apolline me le dira. Comme je restai silencieuse, elle réitéra :

– Pas moi, il va falloir chercher ailleurs… T’as du boulot !

40

7em jour

On tient le bon bout, la semaine est quasiment finie ; ce ne fût cependant pas sans surprises. C’est toujours étonnant d’avoir à bavarder au petit déjeuner avec un vieux monsieur, charmant certes, mais inconnu. Encore que….si ce n’était lui, il ressemblait à s’y méprendre à l’ombre furtive que j’avais vue filer à l’anglaise, sous la pleine lune, il n’y a pas si longtemps.

Apolline, qui ne prenait son petit déjeuner que très rarement avec nous, lui imposa sans aucun doute (est-ce pour tester sa résistance?) cette épreuve. Elle était adorable dans son petit déshabillé rose et lui parfaitement assorti. Une robe de chambre beige, en flanelle, des mules d’un beige plus soutenu mais surtout, pour l’un comme pour l’autre, un petit coté égrillard qui, il faut bien le dire, surprenait.

Les garçons n’étaient pas encore levés, il n’y avait qu’Antoine revenu de je ne sais où. Où pouvait-il bien être allé hier, il avait brillé par son absence toute la journée et à quelle heure était-il rentré ? Mystère ! Hortense, comme à son habitude s’activait non sans jeter un petit coup d’œil curieux, chaque fois qu’elle le pouvait, sur Florimond (prénom du : chéri ? Compagnon ? Complice ? Amant  d’Apolline ?).  Guy, des cernes sous les yeux, le visage fermé, l’œil dans le vague semblait ailleurs, tripotant sans fin quelques miettes de pain.  Mamie semblait beaucoup s’amuser.

– Toutes les familles ont leurs particularités, la notre est peut-être un peu plus remuante que les autres. Je n’ai rien caché à Florimond qui, du reste, n’a rien à nous envier. D’après les quelques confidences que vous m’avez faites, dit-elle, en posant légèrement sa main sur la sienne, ce sont des drôles chez vous aussi.

Un petit sourire aux lèvres, comme une gentille Mamie, elle nous regarda tous et continua : – Dommage qu’Alicia ne soit pas là ; Benoît, vous partez ce matin n’est-ce pas ? Auriez- vous la gentillesse de lui faire part, quand vous la verrez bien sûr, de ce que je tiens à vous dire, à tous petits et grands. Elle reprit tranquillement sa respiration et continua: – Que tout soit bien clair entre nous, nous nous sommes séduits Florimond et moi pour mille raisons mais n’avons pas l’intention de tenter de séduire aussi nos familles réciproques. Ce n’est plus de mise maintenant, nous sommes sur l’autre versant et entendons bien profiter de la vie sans que nos familles n’interviennent. Vous êtes tous attentifs, aux petits soins pour moi, vous voilà déchargés. Florimond, êtes-vous bien d’accord avec moi ? La vie est trop courte pour que nous nous enlisions encore dans des histoires de famille sans intérêt ! Donc : liberté pour tous ! Vous pouvez partir. Ne vous en faîtes pas, nous sommes tous deux en pleine forme et pleins de ressources. Florimond me l’a encore prouvé hier, bravo ! Il était loin devant dans le peloton de tous mes soupirants qui s’essoufflaient. Par contre, il n’a qu’un petit défaut qu’il m’a juré combattre, il n’y connaît pas grand chose en informatique. Moi non plus d’ailleurs et c’est un réel problème. A ce sujet, Jeanne, je vais avoir besoin de toi et je crains que ce ne soit urgent.

Antoine crût bon de rajouter : – Il y a des cours gratuits pour les personnes du 3em âge à la Mairie

Je crus que Mamie allait lui sauter dessus et l’étrangler.  – Mon pauvre ami, je n’en suis pas là. Je dis que nous n’y connaissons rien, ce n’est pas à prendre au pied de la lettre, nous ne sommes quand même pas des béotiens, il y a belle lurette que j’ai mes réseaux, que je me débrouille. Baptiste ne rigolait pas avec ça ;« C’est la communication de demain » disait-il.  Comment crois-tu que Florimond et moi, nous avons fait connaissance ? Non, le problème que nous avons est tout autre, nous n’y connaissons rien en programmation, on doit pouvoir se débrouiller sans, mais c’est quand tout plante que c’est la panique. Les bugs, comme disent les garçons ; ils m’ont à ce propos rendu de multiples services. Non, le problème actuel est plus compliqué, il est double. Problème technique et problème de fond. Elle jeta un petit coup d’œil vers Benoît, puis vers Guy.  – S’il y en a que ça n’intéresse pas, vous pouvez y aller.

Benoît releva la tête, hésita, n’était-ce pas grossier de quitter la table familiale ?  Mamie lui adressa son plus beau sourire.  – Je comprends que vous ayez d’autres chats à fouetter. Guy, toi aussi, tu es exempté. Et vous, les gosses, filez ! Bonne nuit ! Ils ne se le firent pas dire deux fois.  Quant à Guy et Benoît, soulagés, ils se levèrent et quittèrent la pièce. Le sourire de Mamie devint triomphant. Devions-nous l’interpréter comme un « enfin seuls » ?

Hortense s’assit à la place de Guy, mit ses coudes sur la table, la tête dans ses mains. – On t’écoute Apolline.

Mamie se tortilla sur sa chaise. – Je ne sais pas vraiment par où commencer. Oh, rassurez-vous, il n’y a rien d’inconvenant mais il faut agir et là, je suis un peu perdue ; peut-être, sûrement aurons-nous besoin de toi, dit-elle, en se tournant vers moi, mais le voudras-tu ?

– Dis toujours !

40

-Voila, il y a trois ans, c’était une période un peu creuse, je m’ennuyais. Baptiste … Elle s’arrêta net. Vous n’avez pas besoin d’en savoir plus, je reviens à mes moutons… donc, je me sentais un peu seule et je me suis dit que ce serait bien d’avoir un blog et d’y raconter ma vie. Ça soulage ! Mais un blog de vieille dame, qui ça peut bien intéresser ? Alors j’ai triché. Juste un peu. J’ai pris un pseudo, me suis inventée une identité et puis après, je m’y suis tenue. Au départ, c’était d’un conformisme ! Mariée, trente ans, deux enfants; j’en ai presque honte, c’est après que je me suis lâchée et puis pas qu’un peu ! Vie de jeune femme moderne qui n’a pas froid aux yeux ni…aux fesses. Les rapports avec les mômes, avec le mari, quelques petites histoires au bureau, ailleurs, en famille. Je me suis prise au jeu, ai fait la guerre aux idées fausses, ai voulu non pas choquer encore que cela ne me déplaisait pas. J’ai voulu surtout tordre le cou à tout ce fatras d’imbécillités qu’on nous enseigne dès la maternelle.

J’osai un  : – Du style Mamie ?

– Il y a tellement de choses… Le bon Dieu, le premier amour, l’école qui formate, qui martyrise, le prince charmant et ses chaussettes sales, les enfants, nos chers chérubins que toute femme normalement constituée, a envie de tuer, d’étriper au moins une fois dans sa vie, les vieux qui nous plombent, le mari qui pue de la gueule et l’amant qui n’est guère mieux ! Je ne parle pas des conneries sur le point G, la jouissance obligatoire et la tyrannie du poids, et de l’image !  Bref, derrière un écran, c’était facile, toutes les semaines, quelques-fois plus, j’envoyais une bombe ! Et quelle déflagration !

– Et alors, tu t’es défoulée ? Tu as des problèmes de conscience ?

– Non, la conscience et moi…. le problème est plus terre-à-terre et c’est là que tu peux m’aider. A ma grande surprise quelques dizaines de personnes ont suivi assez rapidement le blog, ça m’a excitée, j’en ai rajouté ! Ensuite, il y en a eu quelques centaines ; j’en suis à des milliers, des dizaines de milliers. Des investisseurs me cherchent, ils veulent absolument me rencontrer, ils me laissent des messages, me font des ponts d’or pour que j’accepte des pubs, pour que je parraine des manifestations, enfin bref, je suis prise au piège. Je ne veux pas qu’ils me trouvent. Vous pensez…une vieille dame!

Non, non Florimond ne dîtes rien, c’est très gentil à vous. Je suis une vieille dame ! Je ne m’en défends pas.

Baptiste avait bien fait les choses, je crois que ce sera très difficile pour eux d’arriver jusqu’à moi mais il paraît que de bons informaticiens remontent toutes les pistes. Qu’est-ce que je fais alors ? S’ils arrivent à leur fin, quelle désillusion ! ils vont me descendre en flèche et je n’ai pas envie d’arrêter, du moins pas tout de suite. Nous en avons beaucoup parlé Florimond et moi ; ma fille, il n’y a que toi qui puisses me tirer de ce mauvais pas. Tu es jeune, tu n’es pas conventionnelle, tu peux gagner beaucoup d’argent, on partage . Tu es d’accord? Je continue d’écrire, d’alimenter le blog et tu me sauves la vie

– Non, Mamie, tu vas trop vite ; non, c’est non, j’ai ma vie.

– Je me doutais bien que tu n’accepterais pas si facilement. Imagine le scandale si on découvre la supercherie.Tu me vois à la TV…

– Mais moi non plus, je ne veux pas y aller.

– Ne dis pas non sans réfléchir. Parlons-en encore. Antoine, c’est ta fille, c’est une opportunité à ne pas laisser passer ! Hortense, qu’en penses-tu ?

– J’en pense que tu nous fous encore un peu dans la m… comme d’habitude ; vous avez joué comme des enfants Baptiste et toi.

Elle se leva, se dirigea vers la machine à café. – Qui en veut un ? Je suis certaine de ne pas être la seule à en vouloir ! Apolline, ce que j’en dis… c’est à la petite de décider ; s’il y a beaucoup de sous à gagner, moi, je dis qu’il ne faut pas jeter trop vite l’enfant avec l’eau du bain. Maintenant dis-nous la vérité, tu y vas vraiment fort dans ce…truc ?

Apolline baissa les yeux, se gratta la joue, sembla un peu gênée.  – Il y-a des fois où je m’emballe, tu me connais !

– Ok mais acceptable ? Pas d’horreur ? Pas de politique ?

– Non, non rien de ça sauf à la marge quand quelque chose me fait bondir ou que je veux faire réagir !

– Le mieux est que nous nous rendions tous sur ce blog et on verra bien. Toi, dit-elle, en se retournant vers moi, dire « non » sans voir, c’est stupide, tout autant que dire oui uniquement parce que c’est ta grand-mère.

Hortense sortit du tiroir du buffet le petit carnet où elle notait les courses à faire, ce qu’elle ne devait pas oublier, le numéro de téléphone de son dentiste et quelques recettes de cuisine.

– Alors on tape quoi ?

30 ans, je pense, vis et gueule

Hortense maugréa tout en écrivant sur son calepin – 30 ans, je pense, vis et gueule…Rien que ça ? Vous n’avez pas trouvé plus court, plus simple ? En tous les cas, problème en partie résolu, chacun devant ses écrans et on se revoit bientôt. La cellule de crise prend fin, tout le monde peut aller faire sa toilette. Une journée pareille, pas dit qu’on s’en remette ! Florimond, je peux vous appeler comme ça ? Notre famille : c’est ça, vous en avez un petit aperçu.

Les deux hommes que vous avez vus tout à l’heure, Guy et Benoît vivent à peu près la même chose, ils attendent le retour hypothétique de leur femme ; celui-là, dit-elle en montrant Antoine, a disparu hier toute la journée et refuse de dire où il était ; la petite, dit- elle en me montrant, c’est la plus brave, elle fait une enquête qui, sauf erreur de ma part, n’a pas abouti. Quant à Apolline, je ne vous dis rien, vous prenez vos responsabilités !

A présent revenons aux réalités, qui déjeune à midi, qui reste, qui part ? Je suis aux cuisines et j’ai besoin de le savoir. La porte à ce moment-là s’ouvrit brusquement.

42

– Bonjour tout le monde, celui-là part, je l’embarque avec moi.

Mamie faillit s’évanouir, nous étions tous interloqués sauf Florimond que rien semblait émouvoir. Valentine, Valentine là, Valentine en chair et en os. Valentine toujours aussi superbe, taille de guêpe, toujours 90E, sportive, Valentine et ses belles dents, Valentine et son accent incroyable, Valentine en pleine forme…Valentine ma mère qui du doigt désignait Antoine mon père. Voyant notre ébahissement, elle se retourna vers papa :

– Oh le grand…… Elle s’arrêta, ne trouvant pas le mot, (c’était cachottier)

– Il ne vous a rien dit. Une journée à me faire l’amour qui ne m’ont pas fait oublier les dix ans d’absence ! Vous êtes tous d’accord avec moi, il doit se rattraper !

Elle s’approcha de Mamie, la prit affectueusement dans ses bras, l’embrassa. – Eh oui, I come back home with my little frenchy ! Mamy, vous êtes belle, so nice et le Monsieur aussi. Mamy, je le reprends ; je l’ai enlevé une fois, je l’enlève deux et toi, ma fille, viens m’embrasser.

L’heure était à l’émotion, aux retrouvailles. Hortense pleurait comme une madeleine dans son tablier. Valentine interrompit nos ébats : – J’oubliais, il y a une voiture de police dehors, vous les voulez ou je dis qu’il y a personne ?

Trop tard, la porte de la cuisine s’ouvrait à nouveau, le képi d’un gendarme puis bien sûr le corps tout entier apparût. (Ils sont faits comme nous!)

– Bonjour Messieurs, dames, Gendarmerie de Grandbour nous cherchons Mme Apolline Laffond pour lui remettre une invitation à comparaître.

Il hésitait entre Hortense, Valentine et moi et fût tout étonné lorsque Mamie s’avança. – C’est pourquoi mon ami ?

– Vous ? Non, il doit y avoir une erreur, qui est Apolline Laffond ?

– Il n’y en a qu’une ici, c’est moi.

Florimond s’était levé et entourait les épaules de Mamie de son bras rassurant, – Puis-je vous aider Monsieur, Ma ….. mon amie ne se sent pas bien. Les émotions, vous savez… Les femmes sont des être fragiles et notre Apolline n’échappe pas à la règle ! Qu’avez-vous à lui remettre ?

– Fragile moi ? rugit Apolline. Florimond vous êtes un amour mais c’est à moi de régler ce problème. Cet individu s’introduit chez nous à l’heure du petit déjeuner ; jetant un coup d’œil à l’horloge de la cuisine, elle s’aperçut qu’il était déjà midi moins le quart, petit déjeuner qui, j’en conviens, s’est un peu prolongé, j’en déduis qu’il n’a aucune éducation et que je n’ai rien à faire avec lui.

– Mamie, c’est la gendarmerie

– Et alors, qu’est-ce-que ça change ?

– Mamie, ce monsieur a à te remettre un papier, ce n’est pas la mer à boire.

– Ma petite, tu leur donnes ça dit-elle en me montrant son petit doigt et ils te prennent toute entière ; qu’ils soient gendarmes ou non, ils restent des hommes !

– Mamie !!!!

Valentine prit les choses en mains.  – Aux USA, c’est comme ici, ils ont tous les droits, ils arrivent avec leurs uniformes et leurs revolvers mais il faut être plus intelligents.

Elle s’avança, tous seins en avant vers le gendarme qui, courageux, ne recula pas. – Give me this paper.

– C’est qu’elle doit signer le reçu se hasarda t-il à dire

– Parce que ce butor n’aurait pas confiance en ma belle-fille. Belle image que nous donnons de la France. Elle n’est que depuis quelques heures en France que déjà elle voit comme vous vous comportez. Au fait, Valentine, quand es-tu arrivée ?

– Avant-hier soir.

– Comment avant hier? Et tu n’es pas venue nous embrasser plus tôt ?

– Je voulais voir Teddy et pour ce qui est d’embrasser, j’ai embrassé votre fils ; ceci est « personnal » n’en parlons-plus !c’est notre « intimity »

Hortense se leva, défroissa son tablier : – Alors on fait quoi ? Apolline soit sérieuse, signe le reçu, moi je mets un couvert de plus, pour Valentine, pas deux! Et qu’est-ce-que vous lui voulez à Apolline, un jour de fête, il y a vraiment des gens qui n’ont pas de tact.

– Moi, rien, balbutia le gendarme. Je lui apporte une convocation.

43

Mamie prit de nouveau le dessus : – Une convocation ? Et pourquoi je retournerai dans votre gendarmerie, je n’en ai pas que de bons souvenirs, jeune homme, et sachez, en plus, qu’on ne me convoque pas, je viens si je le veux bien.

– Ce n’est pas moi, Madame, c’est le juge

Florimond s’avança. – Apolline, la chose peut être grave, me permettez-vous d’en prendre connaissance ?

– Comme vous voulez mon ami.

Le gendarme tendit alors le papier à Florimond qui sortit de la poche de sa robe de chambre une jolie paire de lunettes, fine, cerclée, argentée. – Voyons donc. Florimond resta impassible tout le temps de sa lecture. Il sourit à Mamie et d’un ton très affable : – Apolline, je crois que, dans un premier temps, il y va de votre intérêt que vous signiez l’avis de réception de cette convocation afin de libérer Monsieur. Ensuite, nous verrons ensemble comment nous préparer à cette formalité.

– Florimond, puisque vous insistez. Et Mamie s’exécuta.

A peine le gendarme partit, mon père explosa : – Maman, qu’est ce que c’est que ce numéro ? Le pauvre bougre fait ce qu’on lui dit de faire. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

– Une broutille, je t’en avais parlé.

– Quelle broutille ?

– Enfin, tu sais bien quand j’ai un peu exagéré. Oui, Florimond, je le reconnais j’ai fait quelques bêtises la semaine dernière. La douleur d’avoir perdu Baptiste, mon mari ; quelques mauvais champignons…et le chagrin de l’avoir enterré.

– Salopard murmura Valentine sans être entendue de Florimond qui continua : – Je vous comprends ma douce, on a dit qu’on n’en parlait plus.

– Bref, j’ai dû avoir un petit dérèglement, une réaction, un contre-coup, toujours est-il que le lendemain de l’enterrement, j’ai, j’ai fait quelques inconséquences, sans gravités mais, quand ils ont un os, ils le rongent, ces chiens !

C’en était trop pour Antoine. – Maman, arrête, je t’en prie arrête !

– Parce que tu prends leurs partis peut-être ?

La convocation passait de main en main et était maintenant dans celles de mon père qui lût : – Tu es convoquée le vendredi 16 juin à 14 heures au tribunal correctionnel d’Aveyroux pour injures, coups et blessures ayant entraîné un arrêt de travail de sept jours, menaces de mort, outrages à agents de la Force Publique dans l’exercice de leurs fonctions.

Mamie se tourna vers Florimond toujours calme et serein (Elle l’a bien choisi, c’est sûr!) – Je crois que j’étais un peu énervée.

– Ne vous excusez pas, cela arrive à tout le monde. Je suis désolé, vraiment désolé d’avoir à vous demander quelques précisions. Peut-être voulez-vous me parler en particulier ?

– Je n’ai rien à cacher à mes enfants, j’ai ma conscience pour moi ; que voulez-vous savoir mon ami?

– Les termes exacts que vous auriez employés dans ce moment d’égarement.

Ce fût un grand moment ; plus Mamie égrenait tranquillement toutes les injures qu’elle avait proférées et qu’il m’est absolument impossible de reproduire ici, plus Hortense se ratatinait sous la charge, plus papa devenait vert, plus Valentine se redressait et la regardait admirative. Florimond, lui, accusa le choc, resta muet quelques secondes, puis il se redressa et se contenta de dire : – Bien, bien, vous n’oubliez rien ma chère ? Ils parlent aussi de coups et blessures, qu’est-ce à dire ?

– J’ai horreur de l’impertinence et croyez-moi l’un d’entre eux l’a été particulièrement! Ils ont commencé, je les ai prévenus ; ils se sont moqués de moi, je me suis défendue avec vaillance. Des pleutres, douillets comme des petites filles.

Elle eut un petit sourire en coin. – Ce sont eux qui ont demandé la trêve ! Un grand gaillard s’est interposé, très beau garçon, une cinquantaine bien portée ; il est sorti de son bureau, n’a dit que trois mots, ils sont tous retournés à la niche sauf bien sûr celui qui pissait le sang. Le nez, ça ne pardonne pas. Les roubignoles non plus. Les autres ? Trois fois rien, je me suis retenue. Si j’avais voulu… C’est bien ce que je vais lui dire à ce juge! Encore que je doute de la justice mais…se battre avec un juge, ça ne se fait pas, n’est-ce pas Florimond ?

-Vous avez entièrement raison, il vaut mieux l’éviter. Pour le reste,je vais voir ce que je peux faire. N’en parlons-plus ; c’est une belle journée, ne la gâchons pas !

44

Nous en étions à la fin du déjeuner quand une voiture passa le portail en klaxonnant à tout-va, freina dans des nuages de poussière ; Alicia en descendit, resplendissante.

– Mes chéris, mes chéris, vous me manquiez trop !

Puis apercevant Valentine, elle poussa un rugissement, se jeta sur elle, l’entraîna dans une valse surprise. – Quelle surprise, quel bonheur ! l’Amérique est à nous, l’Amérique est là, Hourra ! Qu’on débouche une bouteille de champagne ! Benoît, où est Benoît ? (C’est son mari à qui elle fait des tours de cochon sans arrêt et qui en redemande!)

– Il est reparti depuis une demi-heure environ à Paris, vous vous êtes loupés de peu.

– Benoît, mon Benoît ! Quel dommage, il ne connaîtra pas un type formidable que nous avons rencontré Hugues et moi. Figurez-vous qu’il revenait du festival de Crispac et que, pour une raison que j’ai oubliée, il faisait du stop. On ne peut pas être insensible aux stoppeurs. Il faut quand même être courageux pour être sur la route, qu’il neige, pleuve ou vente ; bon, OK ce n’était pas le cas. Je dis à Hugues, « Freine, freine, on le prend ! » Il hésitait. Vraiment, on ne connaît pas bien ses amis, quel manque de générosité ! Il obtempère quand même et vous le croirez ou non, il se met à faire une tronche de trois pieds six pouces. Au début, je me suis dit que ça lui passerait. Eh bien, pas du tout. Que me restait- il à faire ? Je parlais avec Simon (c’est l’auto-stoppeur) par pure politesse, pour que le climat ne soit pas trop froid et, plus nous bavardions de tout et de rien, un mec vraiment bien ce Simon, plus l’autre faisait la tête. J’ai éclaté et je ne le regrette pas,  je l’ai viré de ma voiture. Il verra si c’est si simple de dépendre de la bonne volonté des autres ! En tous les cas, je n’avais plus à le raccompagner et mon Benoît me manquait, alors demi-tour et me voila.

– Et le type ?

– Ben, je n’allais pas l’amener ici sans vous prévenir, je l’ai mis au petit hôtel de la Plage. Heureusement que je connais la patronne, c’est pris d’assaut !

Elle reprit son souffle et continua : – Si Benoît n’est pas là, il y a de la place ; Maman est-ce que je peux inviter quelqu’un ?

– Non, ma fille. Cette semaine a été difficile et bien que Marguerite ne soit pas revenue, Valentine est là, Florimond m’a rejoint. Nous avons besoin de calme.

– Florimond ? Qui peut bien avoir un prénom pareil ? J’adore !

Florimond se leva, s’assura que son pli de pantalon était bien fait, s’approcha d’Alicia, se pencha vers elle et lui fît un léger baise-main. – Mes hommages Madame !

– Mais je vous reconnais, vous êtes passé dans le jardin raide comme la justice l’autre jour !

Sans plus s’occuper de lui, elle se retourna vers Apolline : – Maman, écoute une pauvre âme en peine tu pourrais quand même…je voudrais….

– Va droit aux faits, qu’as-tu à me dire ?

– Rien..Simon qui est seul comme une âme en peine dans ce petit hôtel. N’y a t-il rien de pire que la solitude quand on ne l’a pas choisie ? Je vous le dis, croyez moi : rien !rien du tout !

Mamie faillit rire ; je le vis mais elle se retint. – Non, c’est non ; n’insiste pas. Du reste, toi aussi, il te faut trouver gîte et couvert. Et, ne s’arrêtant pas à la stupéfaction d’Alicia, tout sourire, elle se tourna vers moi :- Donc, tout le monde part ce soir. Ton père et Valentine, Guy et ses enfants, toi aussi, n’est ce pas ?

– Oui,  en effet

-Tu n’oublieras pas de réfléchir à notre « marché » ?

Je fis un signe de dénégation.

– Quant à toi, Alicia, je t’invite vivement à oublier ce nouvel oiseau et à repartir chez toi. Crois-en ma vieille expérience, je suis la sagesse maintenant ;  l’âge m’autorise à te donner des conseils ; alors écoute-bien : « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse »

– Qu’est-ce que ça veut dire ?

– Qu’il faut que tu te calmes. Benoît t’attend.

– C’est bon, c’est bon, bougonna Alicia. Tu as raison, j’ai besoin aussi de faire le point.

Guy ne pût s’empêcher de rajouter : – Et tu vas aller dans ton monastère habituel ?

– Maman, défends-moi, il n’y a que toi qui me comprennes ici. Les autres ont des mentalités de petits bourgeois se mit à sangloter Alicia. Et, toi aussi, tu me rejetterais ?

Cette fois-ci, ce fût Antoine qui monta aux créneaux : – Arrête ton cinéma Alicia, pour une fois, pitié !

-Toi, la fermes ! Tu es heureux, ta Valentine est de retour ! Mais moi…

Mamie se relança dans l’arène. – Alicia, non c’est non ; Florimond et moi avons besoin d’être seuls. Avec Hortense bien entendu !

– J’ai compris, vous jugez sans connaître le pourquoi et le comment.

– On ne revient pas là-dessus dit Mamie d’un ton que nous ne lui avions jamais connu. Elle s’adoucit, sourit : – Je vous propose un petit en-cas dans le jardin à 17 heures et, qu’après, chacun suive son chemin ! C’était mal connaître la suite…

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A 17 heures, nous étions tous là, dans le jardin, à l’exception de Tata Pâquerette qui devait goûter « A la joie de satisfaire un instinct rêvé, sauvage »  Sa joie, était-elle plus intense «  que celle d’assouvir un instinct dompté » ? (sic Mme Bovary dont elle nous rabattait les oreilles avant de disparaître avec son psy). Peut-être le saurons-nous un jour ! En attendant Guy faisait une sale tête. L’idée de se taper les 400 kms pour revenir à Gerbay, en pleine Auvergne, avec les trois gosses, seul dans la voiture n’avait pas l’air de l’enthousiasmer. Taciturne, replié sur lui même, se grattant la tête de temps en temps ou pire faisant des petits bruits de bouche, c’était l’image de la désolation.

Mamie s’approcha de lui et posa la seule question qu’il ne fallait pas poser : – As-tu réfléchi à votre organisation de vie sans Marguerite ?

Il la foudroya du regard.  – Tu es insupportable et comme toujours aux antipodes de la réalité. Comment voudrais-tu que j’y ai réfléchi, elle s’est barrée hier. C’est épouvantable ; le scandale, les qu’en dira t-on, et puis, moi, je travaille, j’ai du boulot, des clients qui m’attendent. La garce ! Je ne peux quand même pas demander à mon clerc d’aller chercher Simon-Jacques à l’école.

– Peut-être les grands ?  si leurs horaires…

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase.  – Tu les as vus, incapables de quoi que ce soit, vautrés partout leurs tablettes à la main. Bel exemple d’éducation ! Des petits branleurs… S’ils ont leur bac cette année, ce sera un miracle.

– Tu as une femme de ménage ?

– Oui, oui je crois ;  je ne sais pas bien ; à la vérité, elles se succèdent. Mais j’ai vu la semaine dernière une espèce de grand cheval, genre armoire à glace avec blouse à fleurs bleues et blanches achetée au marché, un gros chignon, une horreur ; on ne s’est pas dit un mot. La précédente ? oui, elle était sympa et belle fille. Marguerite l’a virée, il paraît qu’elle chantait à tue-tête ; comme si c’était rédhibitoire avec le maniement du plumeau. En tous les cas, elle avait de jolies jambes, tandis que celle-là, des trucs de contention sûrement, d’une couleur marronnasse, non, jamais je ne pourrai…

– Rappelle l’autre, coupa Mamie, elle n’a peut-être pas retrouvé de travail ; ce serait un problème réglé pour le petit, les trajets à l’école, le baby-sitting et les devoirs.

Simon-Jacques, d’où sortait-il celui-là ? se mit à hurler :  – Je veux Alyson, je veux Alyson, elle est super Alyson !

Les deux grands tout d’un coup reprirent vie. Ils n’avaient rien entendu des joyeusetés que leur géniteur avait dit à leur propos et semblaient, pour une fois, assez ouverts. – Pourquoi vous parlez d’Alyson ?

Mamie prenant son rôle de grand-mère efficace très au sérieux leur posa immédiatement les questions essentielles : – Savez-vous si elle est libre et avez-vous ses coordonnées ?

– J’ « chai  pas » grogna André-Jean

Pierre-Thomas fût plus positif :  – Il suffit d’aller au « Rancho »

– Au « Rancho » ?

– Ouais, c’est une boite, elle y est souvent le soir. Y’a même Samir qui peut nous aider.

– Samir ?

– Le mec de la sécurité, lui il a son numéro because il est sorti avec elle.

Mamie soupira d’aise. – Donc, mon fils, le problème est presque résolu ; tu vois, ce n’est pas si difficile. Pour le reste, tu te débrouilleras très bien, je te fais confiance. Si vous partez dans, mettons ¾ d’heure, il sera près de 6H ; ça vous fait arriver à ??? Mamie se mit à compter sur ses doigts. 400 kms, il faut 5 heures, c’est que vous n’avez pas que de l’autoroute. Vers 1 heure du matin, l’idéal pour une boite, la chance te sourit !

– Sauf que ce n’est pas si simple, ils ont faim, toujours envie de pisser.

– Vous allez prendre vos précautions, n’est-ce-pas mes chéris ?

– Et en plus, on est lundi. La boite est fermée.

Mamie, là, resta coite puis eut le dernier mot :  – Quand on veut, on trouve toujours, bonne chance mon garçon !

Pendant ce temps-là, Valentine et moi nous étions mis en bout de table et entrevoyions ensemble le futur.  Valentine avait sorti son agenda et crayon à la main s’emparait de nos vies, ce qui apparemment ne déplaisait pas à papa assis dans l’herbe un peu plus loin.  – Nous voyons Teddy demain ; il va rester quelques jours à Paris ; nous, nous avons un vol après-demain. C’est un peu court pour ton père mais il reviendra d’ici la fin du mois régler ses affaires et t’embarquer. Car, il n’est pas question, cette fois-ci de rester sans contact. Débrouille-toi, prends des vacances, tout est une question de timing. Mamie n’a pas besoin de toi, elle est à ses amours ! Ah les Françaises… Quant à son blog, tout cela peut attendre un peu. J’y ai réfléchi, c’est ton affaire, mais ce serait bête de laisser passer une telle opportunité.

Hortense faisait des va-et-vient entre la maison et le jardin avec des plateaux dont le contenu semblait délicieux : petite charcutaille, fromages et pâtisseries diverses. Personne ne songeait à l’aider. Encore moins Alicia qui s’installa à l’autre bout de la table, faisait la roue autour d’un grand escogriffe, le fameux Simon, qu’elle était allée rechercher à la plage et avait jugé bon d’inviter. Mamie l’avait accueilli froidement par un : -Vous n’êtes pas vraiment le bienvenu, Monsieur.

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Bien entendu, en gentleman qu’il n’était pas vraiment, il s’était récrié qu’il partait immédiatement au grand dam d’Alicia qui lui avait juré que c’était une plaisanterie !- N’est-ce-pas Mamie, tu la fais toujours, mais elle n’est pas très drôle ! Enfin bref, il était là…Florimond un peu plus loin, assis, dans un fauteuil méditait.Les valises et les sacs étaient entassés devant le portail d’entrée.Hortense du haut des marches nous appela : – Le goûter est prêt, le thé, les boissons, venez ; Mamie veut vous dire un petit mot.

Nous nous sommes tous retrouvés autour de la table, celle qui avait été le témoin de tant de choses : des vacances où nous nous retrouvions tous, jeunes et insouciants ; des réunions de famille, mariages, enterrements : Julien et maintenant Papy. C’est, sur cette vieille table en fer, à la couleur autrefois verte que je faisais mes dictées et, pire encore, sous le regard de Papy qui se rachetait une conduite, mes devoirs de vacances. Pendant quelques minutes, submergée par l’émotion, je me suis un peu déconnectée de la réalité. Mamie m’a sortie de ma rêverie.

– Mes chers enfants, prenons le thé si vous le voulez bien dans ce jardin, sous ce tilleul que, vous le savez tous mais il est bon de le rappeler, Emile, le père de papy, planta avant de partir à la guerre dont hélas il ne revint pas. Nous sommes tous tristes, Papy n’est plus là, mais vous avez ici avec lui tant de souvenirs d’enfance qu’il restera toujours présent.

Florimond va me tenir compagnie et Hortense veillera sur nous, vous voilà rassurés ; c’est cela rassurés. Partez donc tranquilles. Dans deux grands mois, ce sera le plein été, revenez, la maison comme toujours vous est ouverte.

C’en était donc fini, nous allions nous quitter. Il était dit que j’avais failli à ma mission. Je n’avais pas retrouvé l’auteur de cette plaisanterie d’un goût douteux et la question restait posée : Qui avait osé dessiner un… zob sur le cercueil de Papy.  Je me donnais mille raisons pour justifier de cet échec, aucune ne me convenait pleinement.

C’est alors…Qu’on entendit dans la maison le téléphone, sur la ligne fixe, sonner. Mamie fit la grimace et du regard arrêta Hortense qui voulait se précipiter pour répondre.

– Une pub, un enquiquineur, laisse, ils rappelleront.

La sonnerie s’arrêta, puis recommença. Mamie fronça à nouveau les sourcils, Guy grogna entre ses dents « Marguerite », Valentine se dressa toute heureuse : – Peut-être Teddy.

Alicia affirma :   – C’est sûrement pour moi

Mamie capitula et Hortense se précipita. Nous étions tous, tout d’un coup silencieux, l’oreille à l’affût. Comme la bonne éducation nous interdisait d’écouter, l’un d’entre nous lança un début de phrase que son interlocuteur n’entendit pas puisqu’il tentait de savoir de qui et pour qui était l’appel.

Dès les premiers mots prononcés par Hortense, nous comprîmes que la personne qui appelait ne connaissait ni papy ni mamie mais était « une huile ». Car, il y a quelque chose qui trahit, en pareil cas, Hortense, c’est sa voix. Quand elle est en face d’une personne d’importance (du moins à ses yeux), elle devient la gouvernante de notre manoir, voire de notre domaine et son ton se fait plus sec tout en restant aimable. Nous attendîmes, intrigués, elle apparut sur le perron, le téléphone vissé sur l’oreille et, trop lentement à notre goût, descendit les quelques marches et s’approcha de nous :

– Oui, Monsieur,

…….

– Bien Monsieur,

…….

– Que Monsieur veuille bien se donner la peine d’attendre, je vais voir si je peux déranger Madame.

…….

– Pouvez-vous me rappeler, Monsieur, l’objet de votre appel ?

…….

Là, c’était, à n’en pas douter, un gros poisson. Le silence planait. Nous étions tous figés, gardant nos positions et ne tentant plus du tout de cacher notre curiosité. Hortense rouge vif entortilla le téléphone dans une serviette de table pour éviter à n’en pas douter que l’interlocuteur en question entende et se mit à bredouiller.

Florimond qui était le plus proche, lui mit la main sur l’épaule : – Que se passe t-il ma chère Hortense, vous semblez bouleversée ?

– C’est que… C’est que…

– Dîtes, n’ayez pas peur.

– C’est qu’il veut parler à Madame.

– Qui Hortense, Qui ?

– Je ne sais pas, j’ai oublié mais c’est, c’est le ministre de…ça y est, je ne m’en rappelle plus, vous savez celui qui s’occupe de toutes les polices

– Le ministre de l’intérieur ?

– Oui, c’est ça, c’est-ce qu’il a dit.

– Et ce monsieur voudrait parler à Apolline ?

– Oui, oui, parler à Apolline Laffond dit Hortense dans un souffle.

Mamie releva la tête ; on aurait cru un oiseau sur une branche qui regarde à droite et à gauche avant de prendre son envol. Elle fît un pas ; s’arrêta.  – Ou c’est une blague et elle tombe mal à propos ou … De toutes les façons, qu’il rappelle plus tard, il nous dérange. Au moment où nous souhaitons goûter à une quiétude fort méritée, n’est-ce-pas mon cher Florimond, un olibrius appelle et il faudrait que le doigt sur la couture du pantalon, je lui obéisse. Non, cela ne me plaît pas.

– J’y vais moi, je réponds. C’était bien sûr Alicia qui, toute émoustillée, se proposait d’éclaircir ce mystère.

– Pas question, Alicia ; cette affaire, si affaire il y a, peut attendre, je m’en occuperai en temps voulu. Hortense, dis-lui que je ne veux pas être dérangée ; qu’il rappelle donc plus tard ce « Ministre ». Hortense nous regarda tous, interrogative, comme si l’un d’entre nous allait s’opposer à la décision de Mamie et le manifester. Elle n’eût aucun succès alors elle « desentortilla » le téléphone et droite comme un i car porteuse d’un message extrêmement sérieux, elle répondit :

– Madame est en conférence avec des personnes importantes ; nous vous serions gré de vouloir bien la rappeler demain dans la matinée.

Au fur et à mesure de la réponse que nous n’entendions pas, le i perdit de sa superbe, s’abaissa, murmura :  – Oui, je comprends, je fais tout mon possible, merci de rester en ligne. Puis se retournant vers nous, sans souci cette fois-ci, de discrétion : – Catastrophe, il dit que tant qu’ils ne seront pas ici, nous avons ordre de ne pas bouger, une enquête est en cours à propos de…. Elle n’eut pas le temps de rajouter un mot, Apolline s’était emparée du téléphone et….

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– Je ne sais pas qui est au bout du fil, Ministre ou pas Ministre ? Je suis Apolline Laffond.

…….

– Ah, c’est bien ce que je pensais ; Hortense n’a rien compris ; je vous salue quand même, Monsieur le Conseiller, par souci de bienséance ; mais je vous informe aussi que mes enfants venus pour l’enterrement de leur grand-père partent sur le champs, nous en étions aux adieux.

……..

– Comment cela impossible ? Je me demande bien ce qui les empêcherait de sauter dans leurs voitures et de déguerpir.

………

– Les premiers soupçonnés ? Notre famille est une des plus anciennes de Saint Isis, connue de tous, jamais personne n’a osé nous « soupçonner » de quoique ce soit et d’abord de quoi ?

………

– Des sornettes ! N’avez-vous pas compris que ce sont…

………

– Monsieur, je vous serais gré de ne pas me couper ; c’est d’une grossièreté que seul un butor peut se permettre.

………

– Inutile d’insister, j’ai bien compris, nous n’avons pas le choix. Assignés à résidence jusqu’à nouvel ordre ! À la France est belle, nous devenons de malheureux otages. Je vous attends, Monsieur, de pied ferme mais rapidement je vous prie.

Mamie jeta un regard vers nos sacs, nos valises, et continua sa phrase : – « Ils » ne vont pas défaire leurs valises. Je veux bien les garder une journée encore mais pas plus. Qu’on se le dise la-haut. Mes respects Monsieur !

Furibarde, elle tendit l’appareil à Hortense. Celle-ci ne bougea pas d’un pouce bien décidée à être mise au courant comme tout le monde, immédiatement. Nous en fûmes tous pour notre grade car elle fît comme si de rien n’était, si ce n’est qu’elle se tourna vers « l’ami «  d’Alicia :  – Vous, Monsieur l’auto-stoppeur, vous filez ; par derrière. Alicia montre-lui le chemin, il n’est pas dit que nous ne soyons pas déjà surveillés. Que les choses soient claires, nous ne vous connaissons pas. Quant à vous, mes enfants, je vous interdis de sortir quoique ce soit de vos valises, sauf vos brosses à dents. Demain nous aurons la visite de ce monsieur et débrouillerons cette affaire. En attendant, toi, Hortense, tu ne fais rien, nous allons faire cuire quatre coquillettes pour les enfants, rajouter un morceau de fromage, improviser un petit dîner . Elle se tourna alors vers Florimond  – Si vous le voulez bien, nous nous ferons un plateau que nous prendrons dans nos appartements. L’intéressé acquiesça d’un petit mouvement de tête.

Nous comprîmes tous qu’il était inutile de demander à Mamie des explications complémentaires ; elle était manifestement furieuse que notre départ soit repoussé. Y pouvions-nous grand-chose ? rien à nos yeux, ne justifiant de pareilles mesures, il ne nous restait plus qu’à émettre des hypothèses, mais aucune ne nous satisfaisait. Soirée donc tranquille où finalement, nous avons parlé de tout est de rien, ce qui ne fût pas si facile car les interrogations que nous nous posions revenaient sans cesse sur le tapis. Qu’avions nous pu faire de si important pour déplacer des fonctionnaires du ministère de l’intérieur ? Papy aurait-il avant sa mort trempé dans des affaires louches ? Mamie aurait-elle estourbi dans la malheureuse gendarmerie de Grandbour quelqu’un d’important ? Alicia et sa manie de nous ramener tous les chats en rut aurait-elle pris et, avec qui, des risques insensés ? Elle s’en défendait bien sûr se disant « blanche colombe » et Florimond, qui était Florimond ? Finalement personne ne le connaissait. Alicia, pour se venger de nos insinuations, le disait agent secret au service de je ne sais quelle puissance…. Teddy, lui, avait de la chance, il avait filé au bon moment ; par contre Valentine et papa n’appréciaient pas d’avoir à reporter leur retour aux USA. Guy était furieux. Furieux contre Marguerite, il ne décolérait pas et lui envoyait des SMS vengeurs la menaçant de tout, y compris de lui faire perdre la garde de ses enfants, que nous avions, nous, sur le poil ! Furieux, car il devait annuler ses rendez-vous professionnels ; furieux parce qu’Alicia, toujours la même, le poursuivait en voulant, pour le décontracter, disait-elle, lui faire faire quelques exercices de yoga et lui masser les clavicules. La chose fût assez vite réglée :  – Tu m’emmerdes, ne t’approche pas de moi

– Et tu t’étonnes que ta femme ait fichu le camp.

– Du calme, du calme, disait Hortense, les enfants peuvent vous entendre.

– Je ne sais plus si c’est Dolto ou quelqu’un d’autre mais j’ai lu quelque part qu’il ne faut rien cacher aux enfants car c’est ainsi qu’on en fait des psychopathes affirma Alicia

– Retenez-moi, je vais lui casser la gueule !

– Quel abruti ! Vous êtes témoins : il ne se contrôle pas. Enfin, j’ai ma conscience pour moi, j’aurais tout fait pour qu’il franchisse cette mauvaise passe le mieux possible.

Alicia se leva, se dirigea vers sa chambre, se retourna et nous prit tous à témoin : -Vous ne trouvez pas qu’en vieillissant, il devient agressif et vulgaire ?

Atmosphère de veille d’armes ou, pour le moins, de veille d’un événement important dont nous ne devinions pas la nature. Si nous avions su…

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La surprise fût totale … au petit matin, finalement ce fût peut-être cela le plus dur !Oui, c’est à six heures que nous fûmes réveillés par de violents coups donnés sur la porte d’entrée. – Ouvrez, c’est la police.

Je me précipitai et enfilai rapidement un vêtement tout en jetant un coup d’œil dehors. Quatre voitures de police étaient garées dans le jardin, un car bloquait le portail. J’ouvrai la fenêtre et criai : – J’arrive

Ce genre de choses, je l’avais vu à la TV ; c’était surprenant à Saint Isis et encore plus dans notre maison. Je descendis le plus vite possible croisant Guy qui, flegmatique, refermait sa robe de chambre. – Laisse-moi faire, je vais les recevoir.

Ce Guy est incroyable, il vitupère pour un rien et garde un maintien, une solennité de « notaire » quand les choses se gâtent. Je restai donc en position arrière, dans l’escalier. Il ouvrit grand la porte.

– Que puis-je faire pour vous messieurs et d’abord, qui êtes-vous ?

Bien placée, mieux que cela, aux premières loges pour voir ce qui se passait, je perçus plusieurs choses à la fois : une armée, non j’exagère mais ils étaient bien une bonne douzaine, d’hommes en uniforme noir, cagoulés, armés jusqu’aux dents qui se glissèrent immédiatement, très simultanément et silencieusement dans la maison (Que d’adverbes en « ent » rimant avec emmerdements), à droite, à gauche et dans l’escalier ; ils envahirent la maison, un devant chaque porte, tout en restant à portée de voix d’un homme qui se distingua du lot et se présenta : – Commandant Perdriget Direction de la Surveillance du Territoire. Je suis autorisé à effectuer chez vous une perquisition. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous.

– Et pourra être retenu « pour » nous, je l’espère bien ! Est-ce une façon de présenter les choses ?  C’était Mamie qui apparaissait au 1er étage dans sa petite robe de chambre en pilou mauve. Elle descendit quelques marches. – Qui êtes-vous Monsieur et de quel droit, elle répéta du bout des lèvres comme si le mot la dégoûtait « Monsieur », vous introduisez-vous en force dès potron-minet dans ma maison ?

Cela n’eut aucun effet sur le quidam en question qui répéta quasiment mot pour mot ce qu’il venait de dire à Guy mais qui, cette fois-ci, sortit un document qui probablement l’accréditait. Mamie ne s’émut pas : – Permettez que je le lise.

Elle marqua là son premier point ; comment dire non ? Il y va des droits de l’accusé ! – Avant toute chose, j’ai besoin de mes lunettes. Ma fille veux-tu bien aller me les chercher à moins que « Monsieur » ne te l’interdise ! Frappe à la porte, on ne sait jamais, que Florimond se soit réveillé, lui aussi, au vacarme qu’on fait ces gens et qu’il ne soit pas convenable. Elles sont sur ma table de nuit ; je t’attends.Elle se rattrapa : – Nous t’attendons…

Je croisai Antoine et Valentine. Antoine et son indéfinissable tee-shirt, Valentine dans une nuisette très « américaine », rose, à froufrous et dentelles mais surtout au raz des fesses. Ils étaient tous les deux, « en haut » ahuris, et, « en bas » pieds nus !

Le commandant craignit-il quelque chose pour ses hommes, toujours est-il qu’avant même que l’un d’entre eux ne prononça une parole, il leur intima l’ordre d’aller mettre quelque chose. Finalement tout s’annonçait bien, très bien même ; personne n’était couché à plat ventre par terre, les mains derrière la nuque, un revolver pointé entre nos omoplates. Le commandant, je ne sais quoi, s’adressa à Guy : – Vous êtes tous là ?

– Non, il manque ma femme.

– Où est-elle ?

– Dieu seul le sait, partie depuis hier avec son psychanalyste. Ah ! elle est belle la société. Vous nous traitez comme des voleurs, des assassins alors que les vrais salopes courent les rues. Je suis notaire, moi, Monsieur, Notaire à Gerbay, c’est une petite ville en Auvergne, vous comprendrez bien qu’en aucun cas, je ne veux d’un scandale…

– Répondez à ma questions : vous êtes tous là ?

Guy resserra la ceinture de sa robe de chambre, il était furieux. – Mes fils : André-Jean et Pierre-Thomas sont à l’étage ; ce sont des jumeaux, ils ont 17 ans, et dorment dans la même chambre ; celle-là même où vous avez posté ce géant dit-il en montrant du menton une belle bête ! Il n’y a pas d’autre nom. Large, carré, musclé, l’homme dont on ne devinait que les yeux, était planté jambes ouvertes, mitraillette sur le ventre devant la porte de la chambre. Guy pas impressionné du tout, contenant autant qu’il le pouvait la colère qui commençait à le saisir, continua : -Simon-Jacques, le plus petit, n’a que 6 ans ; il dort dans la chambre attenante. La porte que vous voyez, à côté. Bien moins imposant, l’homme qui en gardait l’entrée semblait rattraper sa plus petite taille par sa posture ; il était droit dans ses bottes, les épaules en arrière, le ventre rentré comme à l’inspection ! – Ce sont des enfants, ils ont le sommeil lourd. Je ne réponds de rien si vous les réveillez. Ma nièce ici présente, Jeanne, dit-il en me montrant occupe l’autre chambre et, de l’autre côté de l’escalier, ce sont les appartements de ma mère où, dort et dormira encore un peu si vous l’y autorisez son… fiancé. Alicia, ma sœur, est au rez-de-chaussée, derrière cette porte. Curieux qu’elle ne soit pas là avec le bruit que nous faisons; vous permettez ? Guy fit quelques pas, déplaça d’un pas, pas plus, l’homme qui se trouvait devant la porte et que je ne décris pas car ils se ressemblent tous un peu ; il ouvrit la porte, se retourna contrarié : – Elle n’est pas là, son lit n’est même pas défait, où peut-elle bien être? Dit-il, perplexe, en se retournant vers nous. Mamie réagit tout de suite : – Où veux-tu qu’elle soit ? Ce n’est pas très difficile à deviner, elle est partie rejoindre ce jeune homme.

– Quel jeune-homme ? gronda le policier

– Si vous m’interrompez toujours, on n’y arrivera jamais, d’autant plus que ce n’est pas très courtois. Elle est allée rejoindre un jeune homme qu’elle a rencontré depuis peu ; ils sont à l’hôtel de la plage. Ne craignez rien Monsieur, elle reviendra ; elle revient toujours comme la chatte du boulanger ! Vous la verrez arriver par la porte de derrière.

– Comment cela ? Il y a un autre accès dans votre maison ?

– Je ne doute pas que vous le sachiez, Monsieur, car sinon, ce serait être obligé de reconnaître que vous faîtes bien mal votre travail.

Elle prit ses lunettes, les mit très lentement sur son nez, se tourna vers moi : – Merci ma fille ; il est temps que je lise ce à quoi nous sommes condamnés. Et Florimond ?

– Il dort à poings fermés Mamie, je ne l’ai pas réveillé.

Sa lecture terminée, elle replia le papier, le tendit au commandant. – Alors, comment faisons-nous, Monsieur, vous réveillez vieillard et enfants ? Avant toute chose, puis-je vous demander ce que vous cherchez ?

– Ceci est classé secret-défense; nous avons ordre de ne rien divulguer.

– Bigre ! Secret-défense ! Comme vous y allez !

Mamie se mit à sourire tout en regardant les yeux dans les yeux le malheureux. Cette interpellation ne ressemblait en rien à celles qu’il avait l’habitude de pratiquer et on le sentait un peu, très peu à vrai dire, désorienté. Ces hommes-là sont parait-il, super entraînés !

– Faîtes votre devoir, messieurs. Je vous saurais gré de finir par la chambre de mon petit-fils, il n’a que 6 ans. Quant à nous, dans quel endroit vous cantonnez-nous ? Nous préférerions la cuisine pour pouvoir nous faire un café. Est-ce trop vous demander ? Ah j’oubliais : nous sommes entre gens bien élevés, déplacez les choses, bougez les meubles, soulevez les lattes de parquet, trifouillez dans nos papiers mais remettez tout en ordre, j’y compte. Venez les enfants, il est temps de se restaurer. Le commandant Perdriget, sentant qu’il perdait du terrain, se reprit. – Madame, ce n’est pas une plaisanterie. Je vous autorise à rester tous dans votre cuisine mais j’exige que chaque personne nous remette immédiatement son ordinateur et son téléphone portable. De plus, elle devra être présente lorsque nous perquisitionnerons sa chambre. Les adultes comme les enfants. Nous viendrons vous chercher les uns après les autres. – Quoi ? rugit Guy sortant son téléphone de sa poche et s’y cramponnant.

– Vous avez bien entendu Monsieur. Nous vous le rendrons dans les plus brefs délais.

– Ma femme, mes clients ?

– Toi, comme les autres, mon petit, nous ne pouvons que nous incliner  car il faut s’incliner devant l’autorité ! nous n’avons pas d’autre choix. 

49em 

8em jour Toujours.

Nous sommes tous assignés à résidence dans la cuisine ; Elle est devenue notre prison.  Ne nous plaignons pas, ceux de Fleury Mérogis aimeraient les mêmes conditions d’incarcération. Il est grand temps de dire enfin la vérité : nous ne pavoisions pas quand nous nous y retrouvâmes tous coincés. Notre premier réflexe fût de voir s’il nous était possible de nous échapper. Curieux, car nous ne l’aurions pas fait, c’est évident. Il n’en restait pas moins que sous nos fenêtres, un homme en noir veillait ! Un peu plus loin, côté salon, même chose.

– Croyez vous qu’ils nous accompagneront quand nous aurons envie de …faire pipi ? Demanda Valentine.

– Pour sûr ma fille, ne t’inquiète pas répondit Mamie. Ce ne sont que quelques moments à passer entre nous. La sagesse veut que nous fassions « contre mauvaise fortune bon cœur », tu connais cette expression bien sûr ? Je vous propose en premier lieu un petit déjeuner ! Un bon petit déjeuner pour faire face, le ventre plein, à cette situation qui n’a rien d’agréable mais avant toute chose… Elle baissa le ton, nous fît signe de se rapprocher d’elle et continua en chuchotant : – L’un d’entre nous a t’il fait quelque chose qui justifierait pareil déploiement de force ? C’est le moment où jamais d’accorder, si besoin est, nos violons.

– Les violons, c’est quoi ? Musique ? Je ne comprends pas !

– Antoine, fais-lui la traduction mais dis-moi auparavant : tu es net ?

– Si jouer au poker dans des clubs interdits vaut pareil déploiement de police, qu’ils le disent tout de suite, je suis leur homme ; à part ça, Mamie, au risque de te décevoir,  je suis clean !

Mamie se suffit de cette réponse tout en restant, à son égard, un peu interrogative. Apparemment, elle n’y croyait pas vraiment. – Bon, on le prend comme ça ! Et toi, Valentine ? Es-tu recherchée par Interpol, caches-tu de la drogue dans ton soutien-gorge ? Entretiens-tu des relations avec des réseaux mafieux ?

– Réseaux mafieux ?

– Zut de zut, tu as perdu ton français ma petite. Je résume : est-ce que tu as fait une connerie en France ou aux US? Ça, tu comprends ?

– Oui, dit-elle avec un accent charmant, je comprends mieux ; la connerie que j’ai faite, c’est d’être pas venue, non on dit « de ne pas être venue » , je le sais et toujours je fais toujours la tromperie, de ne pas être venue le chercher plus vite ! C’est tout. Je vole pas, je murder personne, je fais rien. Tu t’inquiètes pas, Mamie.

– Bon, nous semblons être tranquilles de ce côté là.

La porte s’ouvrit, Alicia entra émettant des petits cris de souris, poussée dans la cuisine par un grand malabar ; elle tenait ses chaussures à la main et sa trousse de toilette sous le bras. – Mais qu’est-ce qui arrive ?

– Je te le demande bien, où étais-tu ? Grogna Antoine

Elle hésita puis éclata de rire : – Je te dirais bien que je suis allée nager, que j’avais besoin de voir le lever de soleil mais tu ne me croirais pas ! Bon, j’ai joué, j’ai perdu ; tu le sais bien d’où je viens et crois-moi, je ne le regrette pas. Mais répondez-moi d’abord : Jeanne, Mamie, qu’est-ce qui se passe ? Je suis passée par derrière et trois types me sont tombés dessus, tous armés jusqu’aux dents, j’ai eu la peur de ma vie.

– Si on le savait, on te le dirait.

Mamie se leva, se dirigea vers le grille-pain, introduisit une tranche de pain de mie, mit l’appareil en marche, se retourna vers Alicia et très sérieusement, ce qui convenez-en n’est pas habituel, elle s’exprima : – Ma petite, sois franche, c’est important ; je me fiche complètement de comment tu mènes ta vie. Elle se reprit devant la moue que faisait Alicia  – Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Alicia, je t’aime, je suis ta mère, je ne me fiche pas de toi, mais comprends le, ce que je veux dire, c’est qu’en aucun cas, je ne veux m’ériger en juge ; l’heure est grave. Dis-moi, dis-moi franchement : as-tu rencontré quelqu’un qui trempe dans des affaires louches ? Toi-même, pour t’amuser, pour…je ne sais quoi, te donner des sensations, as-tu fait des bêtises, de grosses bêtises ? Il faut le dire ! Le dire tout de suite. Il y a des flics pleins la maison, as-tu caché quelque chose ici ?

– Ici, non ! À l’hôtel de la plage, oui, derrière le lavabo mais c’est pour ma consommation personnelle, je n’en revends pas sauf…enfin à l’occasion ; c’est vrai que j’en ai pas mal en ce moment mais, c’est du shit, rien que du shit, pas de poudre, je te le jure ; et rien dans la maison, pas une barrette, pas un gramme, ils peuvent venir avec leurs chiens ! Sois cool Maman.

– Et les gens, les gens que tu fréquentes ?

– Est-ce que, toi Maman, tu demandes leur pedigree à tous les gens que tu rencontres? Non, eh bien moi, c’est pareil. Je fais confiance! Ton Florimond, tu l’as mis sur le grill ? Tu l’as confessé ? Avec son petit air gentil, c’est peut-être un escroc de grande envergure ?

Nous vîmes alors l’effroi passer dans les yeux de Mamie !

– Que sais-tu de lui ?

– En fait, tu as raison, pas grand chose….    C’est peut-être là que l’affaire se corse…

50

Mamie resta silencieuse quelques secondes, croqua dans sa tartine, les yeux fixés sur la porte, comme si Florimond, un agent de la force publique ou le président de la République allait apparaître ; puis, elle secoua la tête, bût une gorgée de café et dit : – Je n’y crois pas ; ce ne peut être un bandit de grand chemin. Baptiste ne l’aurait pas permis.

Alicia jugea bon d’en rajouter une couche : – On ne connaît jamais très bien ceux qui nous entourent et même ceux que nous aimons. Tenez, écoutez-moi bien tous, vous vous êtes bien fichus de moi, eh bien, c’est vrai que la semaine dernière, j’ai été deux jours à Sainte Eulalie-la-très Sainte. Ça vous en bouche un coin ? La Spiritualité ? Savez-vous seulement ce que c’est ?

– Tu te calmes ! explosa Antoine, ce n’est pas le moment ; si tu veux convertir quelqu’un, commence par ceux qui sont derrière la porte !

– « Chacun fait ce qu’il peut et Dieu ce qu’il veut » Fais-lui confiance !

Je crus qu’il allait l’étrangler. Les paroles d’église ne sont pas aussi lénifiantes qu’on pourrait le croire. Cela ne fît aucun effet sur Alicia qui continua imperturbable : – Il n’y a pas que moi ici ; rappelle-toi la paille et la poutre.

– Je n’y comprends encore rien, gémit Valentine. Antoine, dis-moi, la paille, la poutre…

– Laisse-le ton Antoine ; lui même, il n’en sait rien. Cela ne te concerne pas, n’est-ce-pas, Monsieur le gentil fils qui a attendu sagement que Papy soit mis en terre pour convoler à nouveau ?

Elle vint alors vers Valentine, regarda sous son peignoir les froufrous de sa nuisette, se mit à rire, – C’est joli ça ! Dentelles coquines, t’as de la chance, frérot, faut-il qu’elle t’aime ta Valentine pour revenir te chercher ! Moi, et comment que je t’aurais remplacé par un, par dix, par cent amants, s’il l’avait fallu.

Sans plus attendre, elle enchaîna : – Et Papy ? Et Papy, vous avez pensé à Papy ? Il nous a peut-être laissé une bombe à retardement. C’est bien son genre ! Mais où est Guy ?

Mamie gémit. Je répondis : – Ils sont en train de faire la perquisition de sa chambre, il doit être présent. Ce sera pareil pour toi.

– Mazette, en dehors de trois tampax dans les tiroirs de la table de nuit, que veux-tu qu’ils trouvent. Je ne suis jamais là…. Eh oui, c’est comme ça ! elle se retourna vers Antoine, – malgré mon âge, je fais des escapades.

Il prit le parti d’en rire et cela, immédiatement, détendit l’atmosphère.

– Alicia, Alicia, comment ai-je pu faire une fille pareille ? Tu trouves le moyen de nous faire rire et nous en avons bien besoin. C’est vrai, mes petits, si on se déchire, c’en est fini de nous, de notre famille. Nous avons tous des petites choses sur la conscience ; le tout est de savoir s’il y en a qui justifient pareil déploiement de force. Je reprends : Antoine, réponds par oui ou par non As-tu fait ou commandité quelque chose de grave, quelque chose de puni par la loi ?

Antoine se redressa, se dirigea vers Mamie, lui prit la tête entre les mains, la regarda dans les yeux : – Non Maman, je te l’affirme

– Et toi Alicia ?

– Non, non et non ; enfin pas que je sache.

– Alors je n’y comprends rien. Vous êtes d’accord avec moi que Guy…

– Guy ? il a peut-être piqué le fric détourné quelques hétitages ! Il a peut-être trucidé une de ses vieilles clientes après s’être fait couché sur son testament ! Ne vous fiez pas au chat qui dort !

– Tu es sérieuse Alicia ? Tu sais quelque chose ?

– Mais non, je vous fais marcher ! La seule chose qu’il ait pu faire en cachette, c’est de changer ses slips kangourou (c’est une obsession !) contre des strings transparents ! Quel dommage que le petit ne soit pas là, j’aurais un bon public ! Il dort encore ?

Mamie dans un soupir s’adressa à Alicia. – Arrête Alicia, je ne crois pas que ces gens là aiment ton humour. Je t’en prie. Laissons se faire les choses, nous n’avons pas d’autres choix, c’est à n’y rien comprendre. Jeanne, tu es finalement la plus sereine et tu as bien raison, peux-tu me refaire un café ?

Alicia enjamba le banc et s’assit à côté de Mamie.  – Moi aussi, moi aussi, et du pain grillé, j’ai une faim de loup ! Ce connard de flic, il m’a piqué mon portable, vous n’en avez pas un ? Il faut quand même que je prévienne Simon, il risque de se pointer comme l’innocent qu’il est !

Des voix se firent entendre derrière la porte ; nous nous tûmes immédiatement et tendîmes l’oreille sans vraiment identifier à qui elles appartenaient. Très vite, nous le sûmes car apparurent en même temps Hortense, Simon-Jacques et Guy ainsi bien sûr que le commandant… (Encore un trou de mémoire, le commandant Gadget ? Non, je m’en serais souvenu, mais pas loin !) Enfin bref, notre seul interlocuteur !

Hortense, ses paniers de légumes au bout des bras (elle se fait un honneur d’aller au marché aux aurores car on a le choix, la marchandise est plus fraîche etc, etc…!) avait les yeux qui lançaient des éclairs, Simon-Jacques était hypnotisé, par le nombre de gendarmes, de flics, de CRS ? (Je ne m’y retrouve plus!) on le sentait prêt à vivre la grande aventure mais, encore un peu peureux, il s’accrochait aux jambes de son père.

– C’est la police, c’est la police, tu as vu papa ! Est-ce-qu’ils ont des motos et des revolvers et, les méchants, où ils sont ?

Guy avait la mine sombre. Nous l’entendîmes murmurer :– Je vous remercie de ne pas en faire état auprès de ma famille.

Que cachait Guy?  Nous le saurons assez tôt… 

51

De quoi était-il question ? Bien sûr que c’était le moment de se poser la question mais je n’en eus pas le temps car c’était mon tour, je me devais d’accompagner ces messieurs dans ma chambre.

J’y suis quand même restée une petite demi-heure, c’était impressionnant. Ils étaient deux et ont farfouillé partout ! Y compris dans la corbeille de linge sale, dans la boite de coton-tiges qu’ils vidèrent, dessus, dessous, dans chaque placard. Un désastre. S’ils font ça chez Mamie, elle va faire une attaque car leur façon de remettre les choses en place n’appartient qu’à eux. Qu’en dire ? ce sont des hommes ! Alors les piles de tee-shirts ! Tout le monde m’a compris ! Je me suis sentie un petit peu gênée quand … Non, pas besoin de rentrer dans les détails, il y a des choses qui relèvent de l’intimité et qui ne regardent personne. Toutes les trois minutes, il y en avait un qui disait « C’est à vous ça ? » ou qui, d’une grosse voix croyant m’impressionner, rajoutait « Où les cachez-vous ? » « Quoi ?» « Les bombes » « Les quoi ? » alors là, pas nécessaire de jouer la comédie, j’étais estomaquée. « Oui, les bombes » !

Je n’y comprenais rien, strictement rien !

Bien sûr, ils ne trouvèrent rien dans ma chambre, ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace. Oui, c’est vrai, je ne suis pas une très vieille guenon, mais les flics, je connais ; alors qu’on ne me la fasse pas mais, c’est une autre histoire ! A Saint Isis, je suis l’innocence même ; je défie quiconque de trouver quoique ce soit même si l’envie les prenait d’aller chercher même sous chaque poil de ma brosse à dents.

Quand nous sommes redescendus, nous avons croisé Florimond. Il est adorable ce vieux monsieur mais, je crois que c’est Alicia qui l’a dit, « Il faut se méfier du chat qui dort ! » et pour dormir, il avait dormi car il était près de neuf heures. Toujours aussi allègre, il se frottait les mains comme si la situation l’amusait beaucoup.

– Avant d’aller rejoindre mes co-équipiers ou plutôt les co-accusés, dit-il en resserrant la ceinture de sa robe de chambre, me permettez-vous Monsieur le commandant de vous montrer un document qui, je pense, vous intéressera. Il se trouve dans ma chambre, enfin dans la chambre d’Apolline Laffond que je partage, avec bonheur, depuis quelques temps.

Les personnes âgées ont cela d’incroyable, c’est qu’elles font fondre les plus grands durs à cuire. Il était là, les paupières ridées encadrant de jolis yeux bleus, le teint rose, le cheveu blanc un peu en bataille, tout sourire , (c’est peu de le dire ! il semblait s’amuser follement…) et la grande chose qu’il avait en face de lui battait en retraite immédiatement. Ah ce n’est pas lui qui passerait devant Monsieur le Juge avec une accusation de coups et blessures à agents ! Formidable cet homme ; avec Mamie : l’idéal ! Un équilibre parfait !

– Je vous accompagne, Monsieur, et vous remercie de me donner vos pièces d’identité, votre ordinateur, si vous en avez un, et votre téléphone.

Florimond émit un petit rire cristallin.

– C’est bien de cela dont il s’agit, commandant, mon identité !

– Ciel me suis-je dit, c’est peut-être un vieil escroc qui a eu maille à partie avec la police. Trop beau pour être honnête ! La suite me prouva que non ; Dieu soit loué, béni soit son saint nom !

Vous Madame, je vous remercie de rejoindre les autres. Il changea de ton et aboya :

– Ramenez-la en bas !

C’est entre deux grands malabars que je descendis l’escalier et retrouvai toute notre petite famille qui, au fil du temps, perdait de son assurance et se ratatinait un peu.

Ils ouvrirent de grands yeux interrogateurs quand j’apparus.

Le petit courut et me sauta dans les bras.

– Dis Tata, qu’est-ce que c’est, le Cupidon ? Papa, il ne veut pas qu’on en parle, c’est ce qu’il a dit au gendarme. Le cupidon, qu’est-ce que c’est ?

Guy sauta en l’air, attrapa son fils, le secoua : – C’est rien le Cupidon, ne dis pas de bêtises.

Quel crétin ce Guy ! Il y a des « Cupidon » partout, dans quasiment toutes les villes de France. Y aller, s’envoyer à l’air dans des clubs libertins, ce n’est quand même pas un péché (Ah bien si quand même ! Pour les curés bien sûr ! Je les oubliais !

Je désamorçais la chose tout en me disant que ce Guy, tout notable et coincé qu’il était, cachait bien son jeu, le brigand ! un obsédé du sexe, il y avait de quoi rire !

– Un cupidon, mon chéri, c’est un petit ange, tout comme toi ! Il y a plein de petits anges ; lui, c’est le plus gentil, c’est le petit ange de l’amour.

– Alors, je veux qu’on m’appelle Cupidon et pas Simon-Jacques, les copains à l’école, ils se moquent de moi.

– Ça, c’est plus compliqué. Papa et Maman t’ont appelé Simon-Jacques parce que ce sont les noms des apôtres. Tes frères aussi ont des noms d’apôtres. Drôles d’apôtres ! Tu ne sais pas qui sont les apôtres, je te raconterai ; ils ont fait plein de choses, ce sont des histoires extraordinaires ! Je serais toi, je garderais Simon-Jacques, c’est beaucoup plus original !

– Tu crois ?

C’en était fini, on pouvait passer à autre chose !

Antoine pendant cet intermède avait été appelé. C’était son tour ; Valentine arguant du fait qu’elle partageait sa chambre, avait demandé et obtenu d’être là, avec lui, – Ah non, ce ne sont pas ces gens qui vont nous séparer ! Si tu vas en prison, je vais avec toi !

Mamie était fatiguée, cela se voyait.

– Florimond mais que fait Florimond, il dort encore ?

– Il est réveillé, je l’ai croisé, il va arriver. Ne t’inquiète pas.

– Enfin une bonne nouvelle ; tout va s’arranger.

Elle avait raison, ce charmant petit monsieur nous réservait bien des surprises.

52

8em jour encore. Ce n’est que vers 11 heures du matin que nous pûmes retrouver nos habitudes, nos aises et surtout…notre salle de bain. Bien que prévenus dix minutes avant, pas plus, par le Commandant Perdriget (ça y est, j’ai enfin mémorisé son nom mais je crains que maintenant cela ne serve plus à rien) donc, bien que prévenus par le commandant, nous fûmes plus qu’étonnés : estomaqués, le cul par terre (c’est, j’en conviens un peu vulgaire et Mamie a passé l’âge de ce genre de gymnastique) Je reprends : nous fûmes donc cloués au sol d’étonnement. En effet, tout fanions dehors, sirènes hurlantes, précédée et suivie par quatre motards, une grosse berline noire aux vitres teintées entra à son tour dans le jardin. En sortirent quatre hommes. Le premier assis à côté du chauffeur jaillit plus qu’il ne sortit de la voiture. Chemise blanche, costume noir ; grand, baraqué, il jeta un coup d’œil circulaire, circonspect, puis fit un signe de tête positif. Le chauffeur alors s’extirpa de la voiture, en fit le tour, ouvrit une des portières arrières, s’inclina devant un homme d’une soixantaine d’années, petit, chauve, lunettes en écailles et sourire accroché à la face qui en descendit; costard de bon faiseur gris anthracite, chemise blanche et cravate rouge, pochette assortie, tenant dans les mains un dossier peu épais. Il avança rapidement vers l’entrée de la maison suivi du quatrième personnage, un homme jeune, boutonneux, efflanqué, myope avec un léger strabisme; celui-ci tenait un attaché-case noir d’une main et de l’autre tentait de se mettre en bandoulière ce qui ressemblait à un ordinateur. Ils se dirigèrent vers la maison où ils furent accueillis par le commandant Perdriget en personne. Ils échangèrent alors quelques propos que nous n’entendîmes pas et sonnèrent, oui, sonnèrent à la porte. Personne n’avait eu le temps de se changer, nous y étions encore tous mais cette fois-ci de notre plein gré. Ce qui change tout. Les grands enfin sortis de leur lit étaient fous furieux de ne pas pouvoir jouer sur leurs tablettes qui leur avaient été confisquées et qui ne leur avaient pas encore été rendues. Le petit, lui, était encore …aux anges ; il se croyait au cinéma et courait partout sans que personne ne l’en empêchât.

Le petit homme, rondouillard, homme du monde, entra d’un pas assuré dans la cuisine, suivi des deux autres. Il s’inclina devant Mamie que Florimond avait rejoint. – Mes hommages Madame

– Je n’en ai que faire Monsieur ; nous avons été maintenus prisonniers dans notre propre maison sans qu’aucune explication ne nous ait été encore donnée, comprenez que vos hommages vous pouvez vous les foutre où je pense.

L’homme vacilla. – Je comprends le désagrément que cela vous a causé et…

– Je vous interromps, vous ne vous êtes pas présenté. Monsieur ?

– Monsieur Holemouse DST, adjoint au ministre de l’intérieur.

– Vous pourriez être le Président de la République, voire le Pape en personne, rien n’y changerait. Je ne parle à personne sauf à mes intimes quand je suis en vêtements de nuit et cela ne vous a sûrement pas échappé, Monsieur le grand responsable des services de renseignements, que ceci est ma chemise de nuit. Elle entre-ouvrit alors les deux pans de sa robe de chambre, les referma aussitôt.

– Je suis désolée Madame de n’y avoir pas prêté l’attention requise ; la rudesse militaire je pense. Que puis-je faire pour me faire pardonner ?

– Attendre Monsieur que je vous reçoive dans une tenue plus adéquate ; je le ferai dans le salon dans une demi-heure. Hortense, mes enfants, cette liberté s’étend à vous, faîtes ce que vous croyez bon de faire et si certains sont intéressés par ce que Monsieur veut me dire, venez, je n’ai aucun secret, moi.

– Je préférerais Madame…..

– Tutute, c’en est fini de cette barbarie, c’est moi qui décide à nouveau dans cette maison. Les plus jeunes, retournez vous coucher, allez à la plage, détendez-vous, profitez de votre dernière journée ici et, du beau temps. Toi, le petit monstre va faire des dessins ou refais ta cabane, pour les autres, je le répète :dans une demi-heure ! Et oust !

– Trop d’émotions tue l’émotion. J’ai besoin de repos ; de retrouver mon moi profond ; j’ai besoin de solitude. Je préfère m’en aller. Ne m’attendez-pas, Tchao… dit Alicia en claquant la porte.

8èm jour encore

Souvenirs incertains car tout se télescope, je vous les livre néanmoins.

Nous nous retrouvâmes tous dans le salon à l’heure dite mais dans le même temps, les médias informés par je ne sais qui, étaient, eux-aussi, tous au rendez-vous. Toutes les chaînes nationales, LCI, BFM TV mais aussi nos amis italiens RAI 2 et Rai 5, la TV allemande dont j’ai oublié le nom, la BBC, Quatar télévision et des petits chinois qui couraient partout. Des journalistes à foison. Tout ce petit monde envahissait le jardin, se précipitait chaque fois qu’une personne entrait ou sortait de la maison. Il fallu établir un cordon de sécurité ; nous vîmes alors débarquer des cars entiers de CRS. Tout ceci a confirmé ce que l’attaché du Ministre, au nom improbable lui-aussi, nous avait dit, à savoir que: l’épidémie de graffitis, tagues et autres représentant l’appendice masculin sous toutes ses formes avait dépassé de loin les frontières de Saint Isis et franchi même les frontières de notre pays. Réseaux sociaux, twits, messageries de toutes sortes en étaient « infectés » et si, une signature de cette sorte n’était pas apparue la nuit dernière, dans les échanges de deux suspects classés fichier S, (Rien que ça!) il est probable que les choses se seraient d’elles-même tassées. Hélas, cela déclencha l’opération de police dont nous fûmes les premières victimes car ces deux abrutis, puis d’autres, hélas, très rapidement, avaient jugé bon de signer leurs messages de petites bites dans toutes les positions, ce qui fit penser à un langage secret que les plus fins spécialistes n’arrivèrent pas à décrypter. Cela, bien sûr avait déclenché immédiatement une enquête de la DST. Celle-ci était remonté aux sources, avaient interrogé le maire qui n’avait pas caché que c’était après l’enterrement d’un de ses concitoyens, Baptiste Laffond, que la chose avait commencé.

Le menuisier interrogé lâcha le morceau. Quelle idiote, j’aurais dû tenir ma langue ! Toujours est-il que dans la logique des renseignements généraux, nous étions devenus, sous couvert de famille respectable, un nid de terroristes prêt à déstabiliser le gouvernement en place, et pourquoi pas le pays tout entier. Un attaché culturel, pour corroborer cette thèse, avait jugé bon d’envoyer à son homologue russe un message signé d’une façon extrêmement rudimentaire. Un « o » minuscule attaché à un zéro, suivi à nouveau d’un « o » minuscule. o0o

Aucun esprit dans cela, aucune originalité, démontrant si cela est encore nécessaire que n’importe qui peut être nommé à des postes importants. Le mal était fait, nous en étions les victimes. Heureusement pour nous, Florimond était là car…

53

Il se fît reconnaître, passa quelques coups de fil ; à qui, je ne sais pas, toujours est-il que le ton de notre interlocuteur changea immédiatement. Encore que…encore qu’il regardait Mamie avec une sorte d’interrogation persistante dans les yeux. Ceci s’explique sans doute par le fait que dans son dossier, je vis dépasser quelque chose qui ressemblait à la déclaration faite à la gendarmerie lorsque Mamie, en début de semaine, s’était fait particulièrement remarquer. De plus, cela ne vous étonne pas, rien de suspect ne fût trouvé dans notre maison, ni du côté des mœurs : (à ceci près cependant, qu’ils conseillèrent néanmoins à Guy de contrôler ce que ses fistons visionnaient le soir), pas de revues, ni de films pornographiques, rien sur face-book, rien qui, de près ou de loin, soit susceptible de porter atteinte à la sécurité du territoire. L’informaticien qui, sur place, contrôla nos téléphones et nos PC fit une réflexion quasi insultante : – Il n’y en a pas un pour racheter l’autre, ils sont tous nuls en la matière.

– En êtes-vous sûr, n’est-ce-pas une couverture s’était inquiété le commandant?

– Sûr à 100%. Les ados regardent des films X et téléchargent sans payer de la musique ; c’est à HADOPI de régler le problème. La vieille dame, et c’est plus marrant, se fait passer pour une jeunette et alimente un blog un peu sulfureux, rien dans cela de répréhensible. Quant aux autres, pas le moindre essai de brouiller les pistes.

Le petit jeune homme boutonneux s’approcha du grand chef et à voix basse, extrêmement respectueusement rajouta : – J’ai vérifié une fois encore, Monsieur l’Attaché, Florimond Huet, le compagnon de Madame Laffond qui se tient garant de la probité de cette famille, fait partie de nos services. Son code dans notre maison est un double zéro. Vent de respect ; toutes les forces de sécurité, tous les CRS et même le chef de cabinet se figèrent, se redressèrent et se mirent quasiment au garde à vous. Florimond remit négligemment une mèche folle à sa place, les regarda tous petit sourire aux lèvres et s’approcha du petit homme chauve : – Monsieur l’Attaché, les fonctionnaires de votre service ont commis deux fautes ; elles sont pardonnables l’une et l’autre. La première, c’est d’avoir si longtemps respecté mon sommeil et la seconde, de ne pas avoir cru plus rapidement à ce que je leur ai dit lorsque j’ai décliné mon identité car, l’issue de cette affaire eut été plus rapide. On ne peut pas demander à un âne d’avoir les performances d’un pur-sang. Oublions tout cela. Je tiens néanmoins à vous remercier d’être venu en personne nous délivrer. Il vous appartient maintenant de veiller à ce que tous les membres de cette famille retrouvent leur honneur et leur liberté de mouvement.

L’attaché sortit sur le perron et devant toutes les télévisions fit une déclaration. Il y était question de famille respectable voire remarquable, digne des plus grands honneurs. Il termina en beauté : – A quoi reconnaître la classe, le panache, le vrai prestige des membres de cette famille exemplaire ? A leur discrétion, à leur humilité, car ce sont eux et, personne ne le sait , qui ont retrouvé Victor Grandjean. Victor Grandjean l’enfant du pays qui avait disparu. Saint Isis leur doit beaucoup, la Patrie aussi.

Il restait un problème et de taille. Comment sortir de la maison familiale encerclée par les médias en tout genre et par de nombreux badauds qui, lassés de la chasse aux trésors, voulaient nous voir, nous photographier, nous féliciter. Ce furent « les soldats en noir » qui en fin de journée nous « exfiltrèrent ».

En attendant, soulagés (moi, tout particulièrement car personne n’avait été chercher là où il le fallait, heureusement…ce sera l’objet du tome II) et commentant l’événement, nous avions encore une journée à passer ensemble au grand dam de Mamie qui regardait Florimond comme s’il était un Dieu et qui espérait secrètement que nous disparaissions de sa vue !

La foule des curieux qui, stylo en main demandaient des autographes, les envoyés spéciaux, les journalistes, nos voisins et les voisins des voisins, tous agglutinés derrière le portail, fît qu’il nous fût impossible d’aller à la plage, impossible même d’aller dans le jardin. Hortense comme la veille prépara, comme elle seule sait le faire, un formidable « goûter » et c’est autour de la table familiale qu’oubliant toutes nos petites chamailleries personnelles, nous nous donnâmes rendez-vous pour l’été prochain.

C’est alors…

54em et dernier épisode

C’est alors que Simon-Jacques sortit de dessous la table où, comme à son habitude il se trouvait. Malheureusement, il accrocha la nappe. Ce qui fit tout tomber. Plats, verres, assiettes ; un désastre !

Tout le monde se précipita, moi la première pour ramasser ce qu’il y avait à ramasser. Pour décharger Hortense de cette corvée, je me mis en devoir de me glisser complètement sous la table. Au milieu des débris en toutes sortes, il y avait le petit bazar de Simon-Jacques : des voitures, son doudou bien sûr, ses feutres, un petit canif. Quelle ne fût pas ma stupéfaction de voir sur l’entourage interne de la table, bien cachés aux regards de tous, des dizaines et des dizaines de petits « zizis », en ligne, tous identiques, bien constitués, qui me firent penser à une ligne de lettres qu’un enfant aurait faite dans son cahier. Il en manquait un ou deux, pas plus, pour finir le travail. Ils avaient un côté naïf, régulier, dont on ne pouvait que féliciter l’auteur. Simon-Jacques redescendit sous la table et me chuchota : – Oh Jeanne, tu les as vus, c’est mon cadeau ! Avant, je voulais faire la surprise à Maman ; dis, elle va revenir ? Je l’aime ma maman. Comme elle n’est pas là, c’est pour toi ! Que pour toi !

– C’est un super cadeau, finis vite mon bonhomme et n’en parle à personne ! C’est notre secret !

Epilogue

Ils sont tous partis. Je quitte moi-même, dans cinq minutes, un peu courbatue, Mamie, Florimond et Hortense ne me faisant plus de souci pour aucun d’entre eux. Un peu courbatue ? Je viens de recouvrir d’une couche de peinture épaisse, dans la chambre de Simon-Jacques, le magnifique pénis dessiné par Totor.

J’ai les réponses à mes questions et, si je décide de ne pas aller plus loin pour soulever quelques pans du passé, c’est pure sagesse. Si l’envie ou la nécessité m’en prend plus tard, il sera toujours temps de rouvrir le grand livre de l’histoire de Papy et Mamie.

L’histoire de cette semaine passée chez Mamie est, quant à elle, toute simple, mais au cas où n’auriez pas tout suivi : Papy, c’est le copain de tous mais c’est un sale bonhomme – Papy, un jour a passé la ligne rouge – Valentine est partie – Papy est perdu, il va mourir – Il initie Mamie aux joyeusetés des réseaux sociaux – Elle s’en délecte – A tel point qu’un peu lasse des « folies » de Papy et fin prête pour une autre vie, elle accélère un peu (mais si peu), le mouvement – Hortense n’est pas dupe – Elle n’est pas contente d’avoir été trompée par Papy – Quant à la décoration du cercueil, objet de mon enquête, il était facile pour le petit de s’en charger – N’oublions pas qu’il disparaît sans cesse et passe son temps à se cacher, y compris dans l’église – Pour le reste, c’est Totor qui a dessiné le deuxième « oiseau » sur le mur des Tardy – Les autres ? Création spontanée – Qui n’a jamais eu envie de laisser un petit signe de lui quelque part ? Il suffit qu’il y ait quelqu’un qui commence et qu’on soit dans un village où rien n’arrive – Que Totor ait été caché par Simon-Jacques n’étonne personne puisqu’on voit ce dernier les bras pleins de victuailles – Que Mamie ait un peu pété les plombs, on exploserait à moins – Une vie entière à se contrôler est en soi-même une bonne excuse – Que nos amis de la DST n’aient rien trouvé, quoi de plus normal ? Hortense est notre ange gardien. Craignant, quand nous avons trouvé Totor caché chez nous, une visite des gendarmes, elle avait déplacé l’armoire normande devant son œuvre dans la chambre de notre chérubin. – Quant à Alicia, je ne connais pas une famille sans son Alicia – Et heureusement ! – Valentine me plaît bien pour sa bonne santé – Quelle femme ! Attendre 10 ans et revenir chercher son frenchy ! – J’aime bien Teddy, les ados, j’aime bien ce petit généreux et inventif au doudou répugnant – Guy et Tata Pâquerette, elle va revenir, ne vous inquiétez pas, sa petite vie et surtout ses engueulades avec son mari vont lui manquer ; il y a des femmes comme ça !

Il faut les aimer… les aimer tous pour que ce livre soit à 100% un hymne à l’amour, un hymne à la vie !

Fin

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