Cache-cache

Tout avait pourtant bien commencé. Elle m’avait donné rendez-vous chez elle et nous batifolions quand la sonnette a retenti. Elle a jailli hors du lit, s’est précipitée à la fenêtre, a regardé dans la rue, a dit « ô mon Dieu », s’est retournée ; pas besoin de détails, je m’étais déjà levé et avais attrapé vêtements, chaussures, chaussettes. De son côté, elle enfila vite quelque chose et me poussa sans ménagement dans le couloir, au cœur même de l’appartement. Elle ouvrit la penderie qui m’absorba complètement mais prit soin de laisser une des portes coulissantes ouverte.
Deuxième coup de sonnette, elle alla ouvrir. Voix d’homme furieuse, je n’entendis pas les mots mais je l’entendis, elle, répondre :
– Je ne t’ai pas entendu sonner, peut-être la télé, ce n’est pas la peine d’en faire un drame, qu’est-ce que tu t’imagines ?
– Tu te fiches de moi, elle n’est même pas allumée
– Je viens de l’éteindre, t’es fou ou quoi ?

Ça sentait la naphtaline, une odeur de vieux, je déteste. Je crus étouffer derrière tous ces vêtements. La tête dans les cintres, les pieds sur quelque chose que j’écrasai, peut être des chaussures? C’était un comble, j’avais les miennes à la main, priant d’avoir bien pris les deux.

Il grondait, se déplaçait de pièce en pièce, à grandes enjambées, ouvrit les portes, les referma avec force, tout vibra ; il alla dans la cuisine, au bout du couloir, nota qu’ il y avait une petite odeur de riz au lait qui flottait, en ressortit, claqua à nouveau la porte. Il retraversa le couloir pour aller au salon.

Deux verres, une bouteille de whisky et quelques cacahuètes grillées dans une soucoupe
– Et ça, c’est quoi ?

– Ma copine Véronique est venue hier soir, on a bu un verre ensemble.

– Tu te fous de moi ?

Ça me grattait dans le dos. Je ne pouvais pas bouger. Sensation de froid sur le bras, c’était un ciré ; c’est vrai qu’il pleut sans arrêt dans cette région.
Mes yeux s’habituèrent à la pénombre, la situation n’était pas brillante. J’écrasai bien une chaussure et, malheur, c’était au moins du 48… un géant !
Il fallait que j’arrive à m’habiller et à filer car il allait me tuer. A nouveau, il repassa comme un fou devant moi, je vis juste son ombre, je ne m’étais pas trompé, c’était bien un géant…
Il se dirigea alors vers la chambre.

Lit ouvert, draps froissés.

– Et voila, Madame reçoit ses Jules pendant que je suis sur la route et que je trime pour lui faire une belle vie. Mais celui-là, je vais le trouver, il va payer.
– Tu es complètement fou ; il n’y a personne. Tu crois qu’elle est belle la vie que tu me fais. Tu n’es jamais là et quand tu rentres, tu hurles ; tu n’es qu’un pauvre malade.

Elle était gonflée, lui tenant tête. Sans bruit, j’arrivai tant bien que mal à enfiler mon pantalon et mon pull quand le chat entra dans la penderie.

-Ridicule ; s’il me découvre, je suis en plus ridicule !

Je n’osai même pas y penser d’autant plus qu’à nouveau il arpentait le couloir. Je vis alors son dos, c’était un malabar, un malabar monstrueux ; je suis mort si…
Une pensée néanmoins me traversa l’esprit : cette nana, cette nana était vraiment géniale ! Avoir eu l’idée de me planquer au beau milieu de l’appartement et de laisser ostensiblement une des deux portes ouverte, c’est du génie ! Non ?

– Cherche, mais cherche donc, tu as fait toute la maison, va à la cave pendant que tu y es, pauvre dingue. Tu vois bien qu’il n’y a personne. Tu parles d’amour et tu n’as même pas confiance en moi…

Le ton monta, elle aboya, lança des injures puis se radoucit ; elle allait peut être même se mettre à pleurer.

Lui continuait sur le même refrain : -Je sais, je sens qu’il est là. Je ne sais pas qui il est mais je le trouverai. Je l’exploserai. La chambre d’amis, il n’y a plus qu’elle, il doit être planqué dans le placard, ce fumier.

Attendre, je ne pouvais rien faire d’autre ; il était plus loin mais je ne savais pas où. J’entendis sa voix à elle encore furieuse, puis, plus calme. Ils se rapprochèrent, elle continuait à lui parler
…Notre amour… bien fini… ta jalousie gâche tout … moi qui croyais que tu m’aimais…

J’étais abasourdi, elle lui faisait le coup de l’acte 3 scène 2 ; fieffée garce ! mon problème restait le même : comment sortir de là ?
Il repartit vers la salle de bain, elle trottinant derrière lui, resserrant autour de sa taille son peignoir rose. Il refermait les portes en les claquant ; je ne le situai plus. Par contre je l’entendis, elle, elle qui recommençait à crier, qui menaçait de le quitter ; j’entendis même distinctement « On m’avait dit que tu étais un taré et on avait raison, je vais foutre le camp ! »

Je jetai un regard furtif. Ils étaient dans la cuisine. Je le voyais de dos. Il s’était assis, il se mit la tête entre les mains et ne bougea plus. Figé comme une bête fatiguée que les chiens ont traquée.
Il était facile de deviner ce qu’il avait dans la tête :
-Je ne l’ai pas trouvé néanmoins je suis sûr, sûr qu’elle a un amant. Et pourtant, l’appartement est petit, j’ai regardé partout …. puis…. Le doute, le doute qui s’insinue : j’ai peut être rêvé, j’ai l’air d’un con maintenant.

Elle parlait, parlait encore, de plus en plus doucement, je l’entendis même renifler. Elle se mit à pleurer. Gros sanglots. Cela me sembla durer des siècles ; je ne pouvais toujours rien faire et n’avais pas d’autre choix que de rester là, à ne pas remuer d’un pouce.
Elle murmura quelques mots « amour, toujours pareil, encore, pourquoi, idiotie, jalousie » ; d’abord il ne répondit pas puis dans un souffle chuchota :« Bien sûr que je t’aime »
Non, surtout ne pas bouger, ils repassèrent devant moi. Il lui parlait de doute, de pardon.
Elle gratta à la porte en passant ; c’était un signe, mais que devais-je faire ?
Ils étaient maintenant dans la chambre. Je n’entendais quasiment plus rien, juste des murmures et tout d’un coup les ressorts du matelas qui grincèrent, je n’osai pas encore sortir et tendis juste la tête dans le couloir qu’elle avait éteint en passant. C’était peut-être le moment ? J’attendis encore, et puis ce fût un concert presque assourdissant, des feulements, des « encore », des cris de toutes sortes.
Il n’y avait plus à tergiverser, les chaussures à la main, je pris la poudre escampette.

Le chat me suivit dans l’escalier.

Je souris… Elle se débrouillera bien, je lui fais confiance !