Interrogation

Cela faisait plusieurs jours que, comme des boxeurs, nous nous observions.
La tension montait, les regards se faisaient plus chauds, les frôlements électriques.
Nous nous rapprochions à toutes occasions.
Tu es resté dîner ; personne dans la grande maison.
C’était sûr, certain, indubitable, ce serait ce soir !
Rien n’avait été dit et les jeux étaient faits.
Et puis… La foudre ! Tu t’avances, tu m’enveloppes, tu m’embrasses ; je n’existe plus ; violence, corps à corps, impatiences ; les corps se cherchent, les corps se trouvent, les mains partout.
On n’a pas fait dans la dentelle ! Tout voltigeait, vêtements à terre, fébrilité.
C’était tout de suite, c’était maintenant, il le fallait.
Frissons, passion, morsures, volupté.
Ma bouche, ta bouche qui s’ouvrent ; corps basculés, langues qui s’entremêlent.
Tout allait vite, très vite, c’était bon.
Les peaux l’une contre l’autre, l’envie furieuse, démesurée, grondements de toute sorte.
Je m’ouvre, tu m’envahis, tu m’investis.
Nous ne sommes plus qu’un corps, qu’une incandescence. Jeanne au bûcher…

Et j’entends alors ta voix, ta voix furieuse, impatiente, rauque, autoritaire dans mon oreille :
« Parle, mais parle donc ! »
Coup de tonnerre dans ma tête, que veut-il que je lui raconte ?
– De l’importance de la fluctuation du dollar dans l’économie mondiale ? Ça m’étonnerait !
– Un essai de réflexion sur l’acquis et l’inné ? Il y a peu de probabilité !
– Peut-être veut-il connaître son horoscope, ou la recette de l’omelette aux fines herbes ? Ne rêvons pas !
– Dieu existe-t-il ? Est-ce le moment de se poser la question ?

Alors, dans mon oreille étonnée, la voix d’une autre Jeanne s’est faite entendre ; elle t’a raconté que là-bas, tapie au fond de son sexe, au fond de son ventre, se tenaient, s’amusaient entre elles, mille femmes de toutes races, de toutes couleurs, de toutes peaux. Des blondes à gros seins, des brunes aux yeux pervers ; elles se caressaient, riaient, se retroussaient…
T’en souviens-tu ?
Chaque fois que nous faisions l’amour, je t’en choisissais une, quelquefois deux, qui venait se joindre à nos jeux.
Je te disais tout : le regard qu’elle avait quand elle remontait lentement sa jupe, la douceur de ses seins, son porte-jarretelle et ses bas noirs !
Je te les ai toutes données : les salopes et les fausses ingénues, les petites putes et les grandes baiseuses, les enfants de Marie au cul accueillant, les vierges effarouchées ; celles dont les bouches pulpeuses et entrouvertes attendaient ton sexe.
Je t’ai donné deux gourgandines qui faisaient l’amour ensemble, et tu te glissais entre elles.
Je t’ai donné la petite aux seins pointus, celle qui avait une jupe si courte que tu voyais qu’il n’y avait rien dessous.
Je t’ai donné Michèle et son gros cul, Annick qui zozotait, Adèle, Madeleine, et même Suzanne, la belle Suzanne, l’irréprochable Suzanne.
Je te les ai choisies, déshabillées, offertes, préparées, ouvertes ; tu les as toutes possédées.

Pourquoi a-t-il fallu que tu partes les chercher ?