La maison rouge

Le chemin a été long, très long pour y arriver. J’ai traversé l’Oural, franchi les montagnes des Carpates, parcouru des kilomètres, marché le long des chemins. Il n’y a  plus rien. J’arrive enfin. J’ai vu des multitudes, des gens de toutes races, de toutes couleurs, des foules, de petits groupes, des pèlerins solitaires. Depuis longtemps je chemine seul.

J’ai enseigné, prêché, parlé, dialogué et me tais maintenant.

J’ai dévoré, me suis enivré de vin italien jusqu’à ne plus tenir debout, me suis vautré dans des draps incertains ; je n’ai plus de besoins.

Je me suis passionné, j’ai adoré, aimé, hurlé, pleuré ; je suis serein.

J’ai acheté, consommé, payé, encore payé; je n’ai plus rien, je suis arrivé.

La maison est là. Elle se dresse, haute,  seule, rouge passion, entre ciel et terre. Pas une fenêtre, pas une porte et pourtant j’y suis. Pas un arbre, pas un humain, pas le moindre signe de vie. Elle tourne le dos aux champs dorés de blés qui mûrissent, aux rangs de vignes, au chemin vert de l’espérance, de la vie. Elle est là, elle se dresse, immuable, rouge passion. J’y suis entré par effraction. Je n’entends rien. Silence absolu. Je ne sens rien, pas le moindre parfum. J’y suis bien. Il n’y a rien à l’intérieur à l’exception de grandes glaces, sur tous les murs, qui me renvoient à l’infini l’image de l’homme que je suis. Infiniment petit, usé, fatigué.

Je sais que la maison, rouge passion, est l’ultime étape. Me reste à franchir la rivière noire d’encre, après il me faudra encore traverser les déserts craquelés, me dessécher, disparaître à l’horizon. Là-bas. Loin, très loin. Là où ciel et terre se rejoignent pour ne former qu’un.

Peu importe que l’on croit au ciel ou que l’on n’y croit pas. Le chemin est tracé. J’ai le temps, tout le temps. Il n’y a plus de temps. Rester, rester encore un peu dans la maison rouge passion, sans fenêtre, ni porte. Se regarder une dernière fois dans la glace. Multitude de regards à l’infini. Vertige. Etre un et si nombreux. Etre seul et dans la multitude. Etre unique et tant de fois dupliqué. Casser  la glace, renaître seul, franchir le seuil, ne pas se retourner, quitter la maison rouge passion qui se dresse au milieu de l’immensité et marcher droit devant soi, à l’infini.