Petit meurtre de rien du tout

C’est comme ça, elle l’a tué ; il n’avait qu’à pas laisser traîner son fusil de chasse ; et chargé en plus, c’est dangereux n’est-ce-pas ?

Oh, il a eu le bon goût de s’écrouler, tout d’un coup comme si le sol s’était dérobé sous ses pieds. Pas de dernier regard ni stupéfait ni suppliant, donc, pas de culpabilité. Elle est devant le fait accompli un peu abasourdie ; oui, elle l’a trucidé et s’il y en a une de culpabilité, il ne faut pas chercher bien loin, ce ne peut qu’être la sienne, depuis longtemps elle n’est plus rien. Elle hoche la tête, écarquille les yeux, son cœur bat un peu plus vite que d’habitude, guère plus. Incident ; incident certes ennuyeux.  Une  question se pose : qu’en faire maintenant ? Le découper en petits morceaux, déjà que le dimanche,’avec un poulet bien rôti elle n’y arrive pas, alors une telle masse, n’y pensons pas et, en plus, il ne va pas l’aider, ça c’est sûr, une dernière vacherie ! Vraiment, jusqu’au bout du bout il…….  «  Jusqu’au bout du bout », c’est nul comme  « Au jour d’aujourd’hui »  il va falloir je veille à ma syntaxe surtout si un jour je décide d’écrire mes mémoires…

Mais revenons à nos moutons, problème il y a, il est là, allongé par terre, enfin pas vraiment allongé, il vaudrait mieux dire :en tas, c’est plus approprié. Qu’en faire ?

Autre problème, encore plus embêtant et difficile à résoudre celui-là, elle ne se fait aucune illusion : c’est le tapis, un tapis rapporté de Téhéran, une fortune. Ce ne doit pas être beau à voir derrière, derrière dans son dos. A dire vrai, elle est chanceuse, rien devant ; ce n’est pas que ce soit net, on voit bien qu’il y a quelque chose, comme une tâche bizarre. Du cambouis ? De la graisse de vidange ? Enfin un truc pas propre, noirâtre, sur le revers de sa veste. Hier, cela lui aurait demandé des efforts car, c’est sûr, elle se serait précipitée, aurait mis tout de suite de la terre de Sommières, frotté délicatement et le tour était joué. Aujourd’hui, non, il ne faut pas exagérer, il peut bien rester comme il est ; pas de complexe ; se donner du mal, pour qui ? Pour quelqu’un qui jamais n’a eu un mot gentil, un mot de remerciement alors que pendant toutes ces années elle ne s’est pas ménagée pour lui ; toujours à ses petits soins. Il trouvait normal, le matin, que son costume soit propre, repassé, l’attendant au sortir de sa douche sur le valet ; chemise, cravate, chaussettes assorties au pied du lit. Eh bien c’est fini, elle s’en fout maintenant, s’en contre-fout, il ne ressemble plus à rien et alors ? Il n’ira plus voir sa pute, autant de gagné ! Je dis ça, pas sûr qu’il en ait une, je vais même plus loin : rien n’est moins sûr mais j’aime bien l’idée. La jalousie, c’est la passion, c’est l’aveuglement, la folie, l’exaltation, la frénésie, l’extase, le délire enfin bref la vie. La vie telle qu’elle la voulait, l’espérait.

Ça a fait du bruit, c’est certain, mais pas tant que cela. Elle aurait cru plus ; faut dire qu’elle n’a pas exagéré et que, là-aussi, elle a été bonne ; une fois, elle n’a tiré qu’une seule fois et ça a été le jackpot ! Gagné du premier coup alors que d’ordinaire elle est si maladroite. Enfin c’est ce qu’il dit, c’est ce qu’il disait.. Il faut vraiment qu’elle s’habitue, il ne sera plus là pour la critiquer. Et si ça lui manquait ? Ce serait un comble ! Non, aucun risque mais elle sent que cela ne va pas être si facile que ça de vivre sans lui. Cela l’ennuie un peu, elle fait la grimace, hoche la tête, se dit qu’elle s’inscrira sur Meetic et que des emmerdeurs elle en trouvera toujours à la pelle.

Aucun voisin ne s’est pointé. Personne ne se connaît, ne se fréquente, c’est le mal du siècle. Ce qui se passe chez les autres quand on ne les connaît pas, c’est normal qu’ils n’en aient rien à faire. Ils sont pourtant six propriétaires ou locataires, car les Boulard quand ils sont partis à Shanghai ont loué leur appartement à des gens discrets, il faut le dire, pas un mot plus haut que l’autre. On ne les voit pas, on ne les entend pas. Pourquoi seraient-ils venus aux nouvelles ; aux nouvelles de quoi?  de qui?  tout le monde va bien, juste, il y a un mort, un seul, donc plus rien à faire pour lui. Ce n’est pas qu’elle n’aimerait pas un coup de main mais c’est délicat comme entrée en matière. « Cher voisin, j’ai besoin d’un tire-bouchon, je ne retrouve plus le mien, passe encore ! Mais, prenez des gants, le sang ça tâche, et c’est très difficile à retirer », c’est, convenons en, certes plus original mais aussi plus sujet à caution. Car, il y en a qui « craignent » alors si, en plus, il faut se tartiner les vivants, filer des claques à ceux qui tournent de l’œil, voire avoir à faire du bouche à bouche, beurk en plein milieu d’après-midi, s’ils ont mangé des escargots, c’est répugnant..

Oublions, je ferai toute seule..

Le claquement, s’il n’a pas été si fort que ça, lui a quand même démoli l’oreille droite. Dommage collatéral. Ennuyeux. Elle se masse, c’est vraiment désagréable cette sensation, aux limites de la douleur. Quand on sait qu’il faut compter au moins deux mois pour un rendez-vous chez l’ORL, ce n’est vraiment pas de chance. Les urgences ? Attendre des heures ? Il n’en est pas question, demain peut-être si les choses ne s’arrangent pas.

Elle se dandine d’un pied sur l’autre, signe qui ne trompe pas, la solution au problème est compliquée d’autant plus que le tapis lui aussi, c’est un tracas à venir. C’est qu’il est grand. Aura t-elle la force de le rouler et de l’emporter au 5 à sec ? Pas sûr ; pas sûr non plus qu’il entre dans sa Clio. Le faire nettoyer sur place ? C’est une fortune. Vraiment rien ne va plus aujourd’hui.

Drôle d’odeur. Elle va ouvrir la fenêtre, grand soleil et bonne nouvelle: dans les jardinières, les crocus percent, le printemps est bientôt là.

– Avant toute chose, un petit café et pourquoi pas quelques cerises à l’eau de vie, ce n’est pas tous les jours fête  dit-elle en s’étirant.

Il ne faut quand même pas traîner, c’est un principe que lui a inculqué son grand-père  -Ma fille ne remet pas à demain ce que tu peux faire le jour même. Tout le monde le connaît ce dicton et que font-ils ces crétins, tous ces feignants, ces assistés ?  Après moi le déluge ! Si c’est pas demain, ce sera un autre jour ! Voilà ce qu’ils répondent et lui, le premier, ne se gênait pas. «  Tu ne l’emporteras pas dans la tombe ton eau de javel.. » eh bien, il n’est pas plus avancé maintenant. Il va y aller dans sa tombe, en costard tâché ; ce n’est quand même pas une tenue pour se présenter devant l’Éternel ? Bien fait pour lui. Ce sont toutes ces petites choses qui, bout à bout, lui ont été fatales.

Le café est un peu trop fort, je n’aurais pas dû se dit-elle, je vais encore mal dormir cette nuit et puis cette … chose qui traîne là, par terre, qu’en faire ?

Elle s’assoie, coudes sur ta table, elle se prend la tête entre les mains, entoure entre ses doigts une mèche, quelques cheveux qui se sont échappés, et l’entortille plusieurs fois. « A tout problème sa solution, ne pas se laisser aller surtout que je ne dois pas être la première à qui cette aventure arrive ». Faut dire la vérité, c’est qu’elle en a connu et plus d’une qui le disaient haut et fort : je le tuerai  si…  alors là, tous les prétextes étaient bons ! Chacune ses petites fantaisies. Peu importe, elle, elle l’a fait, quelle femme mais quel problème aussi !

Internet, suis-je bête, (Il n’avait pas vraiment tort), comment n’y ai-je pas pensé plutôt ?

Elle trouve vite quelque chose, quelque chose qui la rassure immédiatement : le Top 10 des astuces pour faire disparaître un corps. Elle le parcourt rapidement; pas si facile et c’est bien sa revanche, ah il l’a bien eue car s’il avait accepté d’aller vivre à la campagne, c’eut été beaucoup plus simple. Non Monsieur disait qu’il s’y ennuierait, que rien n’est plus beau que Paris, qu’il suffit de sortir de chez soi, que tout est là, à portée de main sauf que, sauf que maintenant qu’on y est et, en plus dans un appartement, elle  doit éliminer d’entrée de jeu la méthode pH < 7 des bidons d’acide, impensable, elle a trop mal au dos pour les monter, c’est qu’il en faudrait beaucoup pour remplir la baignoire ; impossible aussi d’ utiliser la méthode porcine N°1 la méthode feu de camp N°2 ; pas besoin de donner des détails, et pourtant c’est simple, naturel, ecolo ! la méthode Homme à la mer n’est pas mieux adaptée (la campagne c’était non, la bretagne 10 fois non… Vraiment mauvais esprit). La 4em méthode a des avantages, elle s’appelle « Faut pas tout gâcher ».  On le met dans le congélo et au fil du temps on retire ce qui peut servir. Le problème, c’est que la déco de son appartement est très classique et qu’un tibia en pied de lampe ferait tâche. De plus, son congélateur est trop petit, elle ne sait pas si Darty peut la livrer rapidement, il reste de plus le problème de la place qui est loin d’être résolu. On oublie aussi. Que reste t-il ? La souterraine. La cave est bétonnée et puis c’est trop dur, travail de forçat, des courbatures pendant 8 jours et quoi encore ! La 9eme ? ils ne sont pas sérieux sur ce site, fabriquer et envoyer dans l’espace une fusée avec son bonhomme à bord…faut pas rire avec ça, je vais leur écrire. Déjà les meubles IKEA, j’ai besoin d’une aide alors la notice pour ce genre de choses, je dis pas et puis, ce n’est pas solide, les choses qu’on vous livre en kit, il faut toujours se méfier. Des fois qu’il manquerait un boulon, qu’est-ce que tu fais?  En plus, avec des délais de livraison imprévisibles. A éliminer.

Dieu soit loué, il en reste deux, entre lesquelles son cœur balance et c’est pas peu dire. Finalement son gros, elle l’aimait bien, alors le garder en souvenir ? Construire une cloison, le mettre derrière, un p’tit oeilleton pour le surveiller et le tour est joué ou alors, ou alors, je vous le donne en 1000 l’empailler. Bien sûr ça demande du boulot mais si c’est réussi, wouah l’originalité… C’est ce qu’ils appellent la Méthode nostalgique. On a du cœur ou on n’en a pas… Faut que je réfléchisse !

Tout cela, elle ne s’y est pas préparée, c’est d’un fatigant ! Rien ne presse, il est encore chaud…

Un cinoche, une saucisse frites et un verre de Bourgogne, il sera toujours temps…