Surprise

Je vous parle ici d’un temps révolu. Les mœurs y étaient plus secrètes, mais non moins dangereuses. Les dispensaires où se traitaient les accidents d’Éros s’appelaient «consultations de maladies vénériennes » ; cela avait le mérite d’être clair : on ne s’embarrassait pas d’acronymes ou d’euphémismes.
Les gens bien qui passaient sur le trottoir face au dispensaire, pressaient le pas, pinçaient imperceptiblement les lèvres et jetaient un regard curieux par la porte entrouverte.
Pour gagner quelque argent, des étudiants en fin d’études y faisaient souvent des remplacements et des consultations lors desquels la compétence de plusieurs années d’étude compensait l’expérience.
La jeune médecin qui consultait ce matin-là tentait de pallier son apparence juvénile et sa petite taille par un visage sérieux, des lunettes de simili écaille, une coupe de cheveux stricte et le port, sans fioritures, de la blouse et du tablier de praticien.
Voilà donc notre sévère jeune médecin prenant la fiche où le mal à traiter s’inscrit clairement : « condylomes vénériens » ; autant dire poétiquement « crêtes de coq » ; pas besoin de vous faire un dessin ?

La personne atteinte, une femme, sort de la cabine. Elle est belle comme le jour. Cela tranche cruellement avec les précédents patients, et sûrement avec les suivants, franges de la société ; les plus aisés préférant les consultations privées, plus anonymes. Elle est là, belle comme la nuit, dans le cadre de la porte, avec un léger déhanchement très naturel et très étudié, de longs cheveux cuivrés, et admirablement maquillée : lèvres de feu et paupières de mystère. Grande à faire rêver, longues jambes sculpturales gainées de noir, sa démarche ondule ; elle a gardé ses sous-vêtements noirs dentelés de rouge, des sous-vêtements à odeur de péché. Ses ongles sont peints de rouge. Elle répond aux questions d’une voix rocailleuse, prometteuse, un peu la voix de Jeanne Moreau, la voix de quelqu’un qui a fait la fête et qui vient juste de se réveiller.
La jeune médecin ne sait pas ça car elle n’a jamais fait la fête, pas plus qu’elle ne connaît les secrets de l’érotisme ; mais elle est troublée, très troublée. Elle sent qu’un monde lui échappe, un monde délicieusement malsain où il n’y a pas de place pour une petite chose terne et binoclarde. Elle devine, l’espace d’un instant, (les consultations sont rapides et ne laissent pas la place aux états d’âme), un autre monde brûlant dont elle est exclue.
Il lui faut cacher son embarras. « Mademoiselle, déshabillez-vous. »
Avec lenteur et mille grâces, la resplendissante créature aux seins ronds retire son soutien-gorge (ce qui n’est pas vraiment nécessaire, les crêtes de coq nichant ailleurs), et le jette avec grâce sur une chaise métallique.
« Non, pas le soutien-gorge. Retirez votre culotte. »
Doucement, comme si une sourdine égrenait une berceuse, avec des gestes harmonieux, et les yeux dans les yeux de la jeune médecin confuse, la patiente descend son slip.
Entre les jarretelles rouge et noir, incontestablement, c’est un homme.