Clara

Clara a trente-trois ans ; c’est une belle femme. Brune, élancée, nerveuse, « Une pouliche au printemps » Ridicule ce garçon qui lui a balancé ça l’autre jour après l’amour… Ridicule mais gentil, trop gentil. Exit le monsieur.

Clara se précipite sous la douche, ouvre la porte de la penderie, enfile un tailleur noir sur un pull bleu pétrole à col dégueulant, elle relève ses cheveux en un chignon torsadé et choisit avec attention les boucles d’oreilles et le bracelet assorti, paire d’escarpins noirs classiques pas trop hauts ; le premier jour est important, on construit son image mais attention, ce n’est pas un défilé de mode. La tueuse d’hommes pour les uns, l’aide et la complice pour les autres ; l’équilibre est difficile d’autant plus que les listes des victimes ne sont pas établies, qu’il va lui falloir organiser des entretiens, faire des choix et décider des têtes à trancher.
Clara se penche vers la glace, se regarde, relève le menton, se sourit ; elle est d’attaque. Elle enfile une cape noire, prend ses clés de voiture sur la commode, bascule son sac sur son épaule, jette un dernier coup d’œil, ferme la lumière, claque la porte. Elle appelle l’ascenseur, se regarde encore dans la glace pendant qu’il descend, remet une mèche de son chignon en place, penche la tête, est satisfaite, elle est au top !
Elle n’a plus le temps de s’arrêter au rez-de-chaussée pour voir s’il y a du courrier. Dommage mais il y a peu de chance qu’elle ait des nouvelles. Au début, quand Laurence était arrivée en Thaïlande, il ne se passait pas de jours sans qu’elle ait un mail, une lettre, quelque chose. Depuis le début de l’année, elle en reçoit moins, beaucoup moins………

………Elle s’enveloppe d’une écharpe légère de dentelle noire et descend, magnifique, les escaliers qui mènent à la rue. Il la prend par le bras et la guide doucement ; son heure est arrivée, il ne faut pas se presser, ils ont tout le temps. Clara s’appuie sur lui. Il sent son corps qui chaloupe contre le sien. Elle rit et se laisse embrasser. Petits baisers qu’il pose ici et là tout en continuant à avancer. Leurs corps se frôlent, se détachent, se retrouvent et c’est à chaque fois une vague de désir qui le saisit. Il la prend par la taille, leurs hanches s’accordent entre elles, ils ne font plus qu’un.
– Veux-tu boire quelque chose Clara ?
– Non, le temps est venu. Viens ; allons dans mon appartement.
Les dés sont lancés ; savourer chaque minute, chaque seconde ; avancer, avancer vers ce qui va être l’embrasement total.
Elle ouvre la porte. Lumière tamisée, pénombre, parfum oriental capiteux, musique douce, rythmée.
– Pour me posséder Wil, il y a un prix à payer, tu le sais. Tu étais prêt à tout, t’en souviens-tu ? Je t’ai choisi le plus beau des défis, accepte-le, laisse-toi faire, laisse-toi envoûter, prendre par la magie du moment ; je disparais mais reviendrai dans très peu de temps, le temps de me préparer pour… t’aimer. Voila ton cadeau, goûte-le, déguste-le et laisse-toi aussi dévorer par le feu.
Tahar est là, couché. Les yeux brillants.
Clara sans se retourner fait alors quelques pas en arrière ; elle aperçoit Tahar qui tend la main vers Wil ; une seconde, deux secondes qui semblent l’éternité ; Wil avance d’un pas et tend à son tour sa main.
C’est gagné. Clara referme la porte doucement……..

………– Monsieur, je voudrais une paire de menottes métallique et un fouet en cuir, lanières fines, et… je voudrais les essayer avec vous.
– Pour être pressée, vous êtes pressée. Je vais vous montrer tout cela, suivez-moi. Pour les menottes, je n’ai qu’un modèle sérieux , celui-ci. Les autres, c’est de la frime. C’est jouer à se faire peur et encore… On pourrait donner cela à des enfants de dix ans. Le fouet, c’est autre chose. Il y a le choix, regardez. Vous m’avez dit ?
– En cuir, fines lanières.
– Madame est une connaisseuse. Je vous recommande celui-là un peu plus cher mais cuir souple que je vous conseille d’entretenir. De temps en temps, tous les trimestres environ, passez tout simplement un peu d’huile d’olive sur chacune des lanières. Elles garderont leur souplesse, dit-il en prenant d’une main le manche du fouet et de l’autre en resserrant l’ensemble des lanières puis d’un coup sec en s’envoyant sur son propre bras un coup léger. Claquement qui ressemble à un coup de tonnerre. Les autres, les ombres qui déambulent dans le magasin ont dû l’entendre. Clara est atrocement gênée, le vendeur est sympathique.
– Vous voulez l’essayer. Allons dans une cabine.
– Non, je suis pressée, à la caisse.
– Madame aime l’exhib ! Toutes les qualités. J’arrive. J’encaisse le monsieur et c’est à nous………

……..Clara ne sait plus où elle est, Clara ne sait plus si c’est le jour ou la nuit.
Clara se laisse caresser, masser, empoigner puis à nouveau effleurer. Doigts qui glissent sur elle, qui s’insinuent dans les moindres recoins ; huiles, onguents divers, odeurs. Elle ne fait plus un geste, elle se laisse faire, complètement faire. Un autre monde se crée dont elle est l’épicentre ; et puis tout d’un coup, une musique lancinante, incroyable, mystérieuse. Un son lourd. Musique profonde, non pas vraiment musique, mais résonnances, ondes, vibrations, gongs, murmures de cuivres amortis, trompes, bassons, tambours de nomades. Cette étrange musique, tibétaine ? bouddhique ? peut-être aussi andine ou africaine, semblait commandée par un maître silencieux, un moine peut-être, sage, rigoureux. La rumeur profonde et sourde des gongs des cors faisait vibrer tout son corps de la tête aux pieds. Résonances musicales et charges sensuelles, sons emplissant sa tête et caresses d’ondes perceptibles sur ses reins, ses hanches, son corps entier. Départ vers l’ailleurs.
– C’est fini Madame ; il faut vous préparer. Le maître attend.
Clara ouvre les yeux. Une femme grande, immensément grande, large, imposante, habillée de noir de la tête aux pieds, gantée et bottée : grande cuissardes en cuir, et chapeau à voilette sur la tête, badine à la main, l’inspecte. Œil perçant, œil oiseau de proie.
Clara est alors complètement déboussolée ; elle sort de son rêve, de la douceur de l’instant et est basculée dans un je-ne-sais-quoi qui l’effraie. Elle se lève ; elle est nue. Elle est vulnérable, elle est minuscule à côté d’Elle.
– Qu’on la peigne d’abord.
Montrez-vous.
Elle fait tourner Clara devant elle, soulève de sa badine ses cheveux, les fait retomber, les relève à nouveau.
– Beau profil et beau port de tête ; on va accentuer tout cela. Je veux…
Deux personnes s’approchent et écoutent. L’une des deux prend des notes.
– Je reviens dans une demi-heure. Qu’elle soit prête. Robe et string, porte-jarretelles et bas sont prêts dans le salon trois. Je veux la voir avant qu’elle ne parte.

Objet, elle n’est plus qu’une femme objet qu’on lave, habille, prépare au sacrifice comme une poupée.
S’abandonner soi-même, est-ce possible ? Au profit de qui ? Admettre qu’on n’est plus rien, qu’un jouet. Non, Clara sent confusément qu’elle est hors de la plaque, qu’il lui faut chercher ailleurs, que tout n’est pas si simple. Qu’elle peut être la Clara tarzanne qu’elle a souvent été, la Clara intransigeante et vengeresse et aussi cette Clara qui naît, qu’elle ne rejette ni ne renie. Une Clara qui lâche totalement prise. Elle est bien, très bien, enfin apaisée. Elle a déposé les armes, quitté sa cuirasse, elle découvre sa face cachée……

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