Fonce, vas-y, n’aie pas peur
Jeanne Sialelli
Fonce, vas-y, n'aie pas peur !
Théâtre
L'endroit :
Il est étrange ; il va assez souvent se transformer : jeux de glaces, une grande horloge sans aiguilles, reflets et ombres. Du côté droit de la scène, l'arrivée d'un « boyau » d'1,5 m de diamètre à peu près ; c'est par là qu'arrive à grand bruit un certain nombre de personnes. De l'autre, une porte, La Porte, qui s'ouvre toute seule et en « aspirera ».
Des murs/miroirs qui se reflètent les uns dans les autres pour montrer l'enfermement de l'homme sur l'homme qui est partout, du plus grand au plus petit.
La seule issue, c'est « La Porte »
En fond de scène, un grand écran pour video
Les personnages :
Selon l'ordre d'arrivée en scène :
Victor : Vieux Monsieur, 70 ans, pantalon de velours, chemise en laine à carreaux, une canne sur laquelle il s'appuie et une sorte de manteau houppelande. L'ensemble est très vieux, usé.
Thalis : beau garçon, style poète, chat écorché, cheveux un peu longs, chemise ouverte
Une femme, son nourrisson dans les bras. Elle ne fera que passer
Romeo et Juliette tels que nous les imaginons
Marie-Madeleine : une petite cinquantaine, ancienne prostituée, très maquillée, vêtements aux couleurs voyantes, franc-parler.
Le rideau s'ouvre.
En scène deux personnages, Victor, le vieux monsieur est assis; il semble là depuis longtemps, très longtemps, il est « poussiéreux » comme l'autre homme plus jeune, Thalis.
On entend un bruit d'expulsion et est projeté sur scène un soldat en armes, débraillé, sale, exténué ; il est éberlué, tombe, se relève, retombe et ne bouge plus. Aucun des deux ne va à son secours.
Victor - Pour une fois qu'on allait pouvoir bavarder, ce ne sera donc jamais
Thalis marchant et chantonnant (Air de Capri c'est fini)- Jamais, jamais...nous n'irons plus jamais...la la la la la... Nous n'irons plus jamais, tu viens de me quitter...
Victor regarde le soldat ; silence - D'où vient-il celui-là ?
Silence encore, pesant. Le vieux monsieur s'en désintéresse et reprend sa conversation avec Thalis - L'attente est longue pour certains, pour d'autres pfuitt...
Thalis - L'attente, l'attente de quoi ? Nous n'en savons rien. L'attente de l'attente, sans fin.
Silence
Thalis tout d'abord songeur puis relevant la tête et s'illuminant - C'est comme l'amour ; tu crois... tu crois le saisir, c'est déjà fini sans même savoir s'il a bien été là.
La beauté ? Éphémère elle-aussi. Tout redevient poussière.
Il reste, il reste... Il cherche, ne trouve pas.
Silence
Thalis montrant du menton avec un petit rictus d'inquiétude La Porte - Peut-être qu'après, nous le saurons.
Victor grondant – Thalis, ne dis pas de bêtises et donne-moi mon manteau
Thalis s'arrêtant, étonné - Mais, pourquoi ?
Victor maugréant - Pourquoi ? Pourquoi ! Parce que je le veux !
Thalis - Mais ici...
Victor le coupant - Je le veux, donne le moi.
Thalis prend, plus loin, une sorte de houppelande et lui met sur les épaules
Victor regardant le soldat - Il ne me plaît pas celui-là
Thalis - Ne le regardez pas ! Regardez-moi ! Que voulez-vous que je vous récite ? Baudelaire, Rimbaud ? Le bateau ivre ! Oui, le bateau ivre ! Comme je descendais....
Victor ronchon le coupe et se recroqueville sur lui-même - Dormons, il faut dormir. Encore dormir. Viens contre moi.
Thalis attend quelques instants, se relève, on le sent désœuvré ; il tourne en rond esquivant au mieux le soldat puis il s'adresse au public et plus il parle plus il s'anime
- J'ai trouvé : la poésie ! Elle est, elle ne prend pas une ride. La poésie... L'oubli, l'oubli est son seul maître mais il ne la violente pas, ne la désarticule pas avant de la projeter dans le néant.
Il faut noter, ne pas oublier ; mais ici, noter avec quoi ? Pour qui ?
La poésie, la poésie ! Elle seule permet d'intervertir les rôles. Les couleurs parlent, les mots dansent, les silences sont peuplés de tous les rêves oubliés. C'est la seule arme que nous ayons pour supporter l'attente, la seule arme contre le désespoir.
Victor bougonne - Baliverne, on tourne, on tourne toujours.
En aparté - Je n'y échapperai donc jamais.
Thalis survolté - Oubliez ! - Ici, grâce à elle, il n'y a plus de glaces, plus de murs, je perçois l'invisible, peut-être un jour le mystère des choses.
Victor regardant vers l'endroit d'où est sorti le soldat - Paroles tout ça ! Nous sommes enchaînés l'un à l'autre refusant de remonter à la source originelle, comme les autres, ces vagabonds qui espèrent encore et avancent inexorablement vers l'anéantissement.
Thalis - Il y aura des lendemains plus heureux
Victor - Tu n'as rien compris, nous sommes mais n'existons plus. Le temps est arrêté. Stop ! Nous reprenons sans fin la dernière séquence.
Regardant vers le soldat - Eux seuls qui en reviennent peuvent encore nous le raconter
Thalis - Quoi ?
Victor - Le monde.
Thalis étonné - Lui ? Nous raconter le monde ?
Victor criant - Ne t'en approche pas, ne lui parle pas, ne le touche pas, surtout ne le touche pas. Celui-là n'en sait plus rien. Il sort de l'horreur, des bombes, de la mitraille, du sang.
En entendant ces mots le soldat se relève non sans mal, il est terrifié, comme fou, il titube, retombe gémissant et marmonnant des « Maman »
Victor - Tu vois, c'est comme ça, il y va directement ; nous ne saurons rien ; peut-être est-ce mieux ainsi.
Thalis regardant le soldat qui rampe avec difficulté - Il y va, pas de doute, il y va.
Le soldat continue à avancer vers La Porte sans un regard vers eux. Ils le regardent faire
Thalis - Et s'il n'y avait rien ?
Victor - Rien ? C'est impossible, il y a nous.
Thalis qui se prend la tête dans les mains - Nous, que nous ! Alors...rien! N'attendre rien.. C'est la chose la plus stupide qui puisse exister.
Victor se réentortille dans sa houppelande et ferme les yeux. Il les ouvre à nouveau, regarde le soldat qui continue à aller vers La Porte. - Idiot. Si nous n'attendions plus, ce serait la mort.
Thalis - La mort ?
Victor - La mort.
Silence.
Victor à voix chevrotante - Au clair de la lune, mon ami Pierrot...
Thalis - Encore ! Vous n'en finirez donc jamais.
Victor se tenant la tête entre les mains et envoyant de plus en plus vite sa litanie – Je ne les supporte plus et pourtant je ne peux pas faire autrement. Elles sont là, continuellement là ; rengaines infernales qui débordent de ma tête, que je vomis les unes après les autres. Les Malbrough s'en va -'t- en guerre, A la claire fontaine, Ainsi font font font... La pire : la souris verte et même Meunier tu dors ; toutes, tu entends, toutes, en boucle, perpétuellement ! Vacarme infernal. Qu'y puis-je ?
Plus de 50 ans.
Victor martelant, montrant sa tête, puis faisant le geste de tourner sans fin - 52 ans, 3 mois, 6 jours sur un manège, à tourner, tourner. Elles sont là.
Je ne connais rien de la vie, je n'ai pas voyagé, je suis resté dessus....
Qu'est-elle la vie?
Des enfants, je n'ai vu que des enfants. Je les retrouve ici, de temps en temps, habillés comme des grands mais recherchant leur maman....
Silence
Le soldat a continué à ramper sans regarder ni à droite ni à gauche, comme si le chemin était tracé ; il est arrivé devant La Porte ; il est aspiré, il disparaît. Les deux autres continuent leur conversation.
Victor qui a entendu le bruit d'aspiration - Retour aux sources, comme les saumons pour le grand accouplement; bacchanales incestueuses ; et elle, la Mère des mères, qu'en fait-elle après ?
Thalis qui visiblement n'y comprend rien - Moi, je n'ai jamais connu ma mère ; je ne sais pas de qui je suis né.
Victor - C'est pour cela que rien ne te presse. Pas de mère, pas d'empreinte, le chemin est coupé ; nous sommes, toi et moi, des vagabonds qui suivons le mouvement comme des moutons de Panurge.
Thalis soupçonneux - Qui vous a dit tout ça ? Qui vous a renseigné ?
Victor - Personne car personne ne peut t'aider dans cette quête. J'étais seul et puis, un jour, un jour comme les autres, tout s'est éclairé.
Thalis - Mais il n'y a pas de jour ici ; pas de nuit non plus.
Victor contrarié - Mais c'était avant ! Ne m’interromps pas sans arrêt.
Thalis - Une révélation ?
Victor - Quelque chose comme ça, une évidence.
Silence
Victor avec un rictus de souffrance - Les enfants ! J'ai vu la blessure dans leurs regards, j'ai compris qu'aucun d'entre eux ne cicatriserait ; les mères aussi, infirmes à vie, amputées dès leur naissance de leur propre chair. Nous tournions ensemble, encore et encore, sans fin.
Silence
Victor - J'ai cru que ce serait sans fin jusqu'au jour où un gamin est venu faire un tour sur mon manège. Il avait un petit quelque chose d'inhabituel, comme une fêlure, il semblait sortir de nulle part
Thalis - De nulle part ?
Victor - D'ailleurs, c'est certain.
Thalis - Du ciel, du paradis ?
Victor - Le paradis, l'enfer ! Et quoi d'autre encore ! Tu n'y comprends vraiment rien.
Thalis - Mais si, continuez ; alors l'enfant ?
Victor - A quoi bon ! Aide-moi à me relever.
Victor avec un rire désabusé - L'enfer ? c'est l'enfer ici. Peut-être mon enfer !
Silence
Victor s'énerve puis tape de sa canne par terre - Il a dit que c'était les autres. Connerie ; les autres, ils passent, pantins décérébrés qui remontent la rivière.
Je ne veux rien avoir à faire avec eux.
Thalis - Mais pourquoi ?
Victor - Ils sont porteurs de mystères qu'il est dangereux de vouloir élucider.
Attentat contre la vérité. Lutte du pot de fer contre le pot de terre, nous sommes perdants à ce jeu là.
Thalis - Nous resterons seuls?
Victor - Oui. Et alors ? Ne fais pas cette tête, nous avons tout ici.
Thalis abattu - Rien ; nous n'avons rien ; ni faim, ni soif, ni projets, ni avenir.
Victor dans sa barbe - Je voudrais tellement savoir ce qu'a été le monde. Nord Sud Est Ouest mon regard a tout balayé mais loin, plus loin, qu'y avait-il ?
Thalis - La beauté des choses
Victor s'énervant - La beauté, la beauté, tu ne me parles que d'elle. Ça ne veut rien dire. Dis-moi de quoi était fait le plus loin ?
Thalis - De soleils et de lunes, de petits matins brumeux ; de champs de blé, de bleuets
Victor - De bleuets... Mais encore ? Mais encore ?
Thalis - De femmes sublimes, belles à couper le souffle.
Douceur de leur peau, beauté de leurs courbes et... et leurs parfums, leurs chevelures...
Bruit terrible ; arrivée ensemble en dansant de Romeo et Juliette
Juliette éclatant de rire puis regardant derrière elle, au loin - Au moins ici, ils ne viendront pas nous chercher ; je te l'avais dit,
Vois-les, ils sont tous dans les bras des uns des autres. Enfin réconciliés ; c'en est fini de cette querelle absurde ; Capulet et Montaigu pleurant ensemble sur nous. Enfin libres, libres de vivre notre amour.
Victor - Que dit-elle ?
Thalis s'éclairant - Elle est contente, heureuse
Victor - Mais de quoi, bon Dieu, de quoi ?
Thalis - Elle est avec l'amour de sa vie
Victor fronçant les sourcils - De sa vie ?
Thalis - Ils sont beaux, regardez-les.
Victor en convenant, s'époussetant un peu, se redressant - Oui, ils sont beaux. Gratte-moi, gratte-moi dans le dos
Thalis - Ah vous n'allez pas recommencer ! À chaque nouvelle arrivée c'est pareil, prenez le bout de bois.
Il lui lance un bout de bois un peu long, comme on lance un bout de bois à un chien, Victor l'attrape et par le haut se gratte le dos.
Victor - Tu es dur avec moi
Thalis - Laissez venir les choses, les gens. Vous gâchez tout ; toujours vous, encore vous ! Pour une fois qu'il y a un peu de jeunesse heureuse.
Victor - Pas pour longtemps, pas pour longtemps
Thalis ; il se dirige vers Romeo et Juliette - Taisez-vous, ils ne le savent pas,
Victor montrant du menton la porte - Dis leur, dis leur pour...
Thalis - Plus tard, ils ont d'autres choses à faire.
Victor - Ici, des choses à faire ?
Thalis - S'aimer tout simplement
De l'autre côté de la scène
Juliette - Romeo, c'est curieux ici, tu ne trouves pas, j'ai un peu peur
Romeo - Viens, viens dans mes bras. Tu es là, tu es bien là ! Dis-le-moi, dis-le-moi encore.
Juliette se serrant contre lui - J'ai froid, très froid
Romeo - Breuvage néfaste qui m'a fait croire à ta mort ; j'en tremble encore ma Juliette.
Juliette riant - C'est fini ! Enfin heureux ! Enfin toi et moi... Embrasse-moi !
Il le fait mais sans ardeur regardant avec un peu d'inquiétude autour de lui.
Juliette - Encore, encore mon aimé
Romeo voit Thalis arriver à lui et se dégage un peu
Thalis chaleureux - Bienvenue, bienvenue
Romeo – Où sommes-nous ?
Thalis – En sécurité ! Rien ni personne ne vous dérangera, il n'y a que Victor, le vieux monsieur que vous voyez là-bas et moi, vous serez tranquilles.
Juliette très souriante regardant de loin Victor - Bonjour. J'aime les personnes âgées, elles m'émeuvent.
Thalis - Il est souvent un peu grognon.
Victor au loin, mine renfrognée les regarde aussi mais ne s'approche pas
Thalis - Je suis content, oui, si content que vous soyez là
Romeo regardant autour de lui - Nous ne sommes que de passage
Juliette à Romeo - Ici ou ailleurs, peu importe, je suis avec toi mon amour
Thalis tout heureux recommence - Oui, cela fait tellement plaisir de voir de la jeunesse ici !
Romeo faisant glisser Juliette derrière lui, comme pour la protéger - Ici?
Thalis - Lieu étrange, lieu d'attente où rien ne vous manquera ; tout est permis ; le temps n'a plus prise sur nous. Il sera...
Thalis hésite, cherche le bon mot - Il sera comme vous le peindrez
Victor qui tend l'oreille - Que leur raconte t-il ? Au public - Une prison oui !
Romeo qui ne comprend pas ce que vient de dire Thalis - Comment ?
Thalis - Tout est en vous, le soleil retrouvé, les automnes flamboyants, choisissez les couleurs qui vous plaisent
Romeo de plus en plus perplexe
Victor toujours loin - Le fou !
Juliette prend Romeo dans ses bras, elle veut danser, il résiste - Le bonheur, enfin le bonheur ! Viens, viens mon amour, nous allons refaire le monde à notre guise
Romeo circonspect, statique - Et comment ? Regarde, c'est sinistre ici.
Thalis montre Victor puis s'adresse à Juliette - Parce qu'il n'y avait que nous jusqu'ici. Les autres ne font que passer. Vous apportez l'amour, la légèreté, la beauté, restez, je vous en supplie, ensemble nous pourrons peut-être...
Victor qui s'est approché, bourru - Balivernes
Thalis - Ne l'écoutez pas, il ne peut rien voir, rien faire, ses souvenirs tournent sur eux-mêmes alors imaginer quoi que ce soit, c'est tout simplement impossible pour lui.
Juliette - Nous avons toute la vie
Victor va dire quelque chose, Thalis le pousse de côté - Ne faites pas attention à lui, il voit tout en noir
Romeo inquiet - Qui me dit... ?
Juliette l’interrompt - Il a raison, il ne faut pas l'écouter, c'est un vieil homme, un peu aigri ; se tournant vers Thalis - Je suis Juliette, voilà Romeo et vous ?
Thalis - Thalis
Juliette - Vous connaissez notre histoire ?
Thalis - Qui ne la connaît pas !
Victor de loin - Mièvrerie et eau de rose !
Juliette – Un regard, le coup de foudre, l'amour... et nous voilà ! Elle se jette dans les bras de Romeo qui, lui, semble encore un peu inquiet.
Thalis souriant - L'amour...La beauté...La poésie...
Thalis se retourne vers eux et montre Victor - Pardonnez-lui, il est content aussi, il vous le dira ! Votre histoire est un véritable succès. 8211 représentations dans le monde sans compter les innombrables adaptations cinématographiques.
Romeo et Juliette dans les bras à nouveau l'un de l'autre. Juliette - Waouh !
Thalis - Il n'y a pas de meilleure recette que l'amour contrarié
Victor qui s'est approché - Qu'est-ce-que tu dis ?
Thalis venant à sa rencontre et parlant un peu plus fort - Il n'y a pas de meilleure recette que l'amour contrarié
Victor - L'amour, l'amour vous n'avez que ce mot là à la bouche. Quand on voit où il mène !
Thalis ne veut pas répondre et repousse Victor pour que Romeo et Juliette n'entendent pas
Victor - La mort ! Tiens, eux, quel bel exemple !
Thalis - Taisez-vous, laissez-leur encore quelques moments de légèreté, d'inconscience, de...bonheur.
Romeo revient suivi de Juliette à Thalis - Où pouvons-nous aller ?
Thalis - Où il vous plaira. Vous ne pouvez pas vous perdre, tous les chemins ramènent ici.
Romeo - Une île ?
Thalis - En quelque sorte ! Faisant un clin d’œil à Juliette - Les palmiers, le soleil, la plage... Fermez les yeux, laissez-vous aller !
Entre-temps, en toile de fond, video : un décor de mer, de vagues, bande sonore bruit des vagues, oiseaux
Juliette entre dans son jeu, imagine à haute voix un décor de rêve - Les vagues, le sable fin ! Toi, moi ! Un bateau au loin, la chaleur sur notre peau, quelques mouettes ; c'est bon ! C'est bon !
Romeo indulgent - Ma Juliette, sois sérieuse, un peu !
Juliette - Je suis bien, une légère brise et le bleu du ciel. Regarde, regarde le voilier, où part-il ? Ses passagers sont-ils aussi heureux que nous ?
Romeo - Arrête, arrête un peu !
Thalis très sérieux à Romeo puis montrant Victor qui dort maintenant dans un coin - Elle a raison, entrez dans le jeu et vous verrez. Je vous l'ai dit, c'est nous qui le créons !
Avec lui, mission impossible, déprime et mélancolie ! J'ai tout tenté ! Mais vous, vous êtes jeunes, beaux !
Romeo pragmatique - Au risque de vous paraître idiot, j'ai besoin de plus d'explications. Que pouvons-nous faire ici ? Où nous installer ? Combien de temps resterons-nous ?
Thalis fait quelques pas, un geste d'ignorance, les quitte.
Juliette riant puis montrant au loin Thalis - On s'en fiche ! Tu es là, je suis là. C'est ce qui importe.
Il y a lui aussi, ce sera notre ami, notre passeur
Romeo - Passeur ?
Juliette - Mais oui, c'est sûr, il nous a été envoyé
Romeo - Mais par qui, pourquoi ? tu dis n'importe quoi
Juliette - Quelle question ! je ne sais pas. Il est là. Quelqu'un qui voit la mer ici, qui nous l'offre, ne peut qu'être notre ami.
Romeo - Cette histoire de mer, qu'est-ce-que c'est ?
Juliette - Tu l'as vue comme moi, elle est là, encore là; il l'a évoquée et tout d'un coup...quelle merveille ! mais quelle merveille !
Romeo la regarde avec inquiétude ; Juliette comprend qu'il y a quelque chose d'anormal, elle tend la main vers l'écran - Tu la vois, comme moi ? Dis-moi que tu la vois !
Romeo - Non
Juliette contrariée - Demain, un autre jour, tu la verras ; avançons, partons voir ce qu'il y a ailleurs. Viens, viens avec moi.
Ils sortent de scène, la mer se retire. Arrêt de la video.
Thalis fredonnant une chanson d'amour se rapproche de Victor.
Thalis - C'est beau l'amour !
Victor grommelle
Thalis - Vous avez été amoureux ?
Victor hésite comme s'il ne voulait pas parler ; silence puis - Il me semble
Thalis riant - Il vous semble ou vous en êtes sûr ?
Victor - Il y a longtemps, si longtemps
Thalis - Comment s'appelait-elle ?
Victor - Colombe
Silence
Victor très ému - Elle ne s'habillait qu'en blanc, toujours en blanc ; les enfants croyaient que c'était une fée et puis la guerre et puis, après, elle n'a plus voulu tourner, encore tourner, elle est parti avec lui
Thalis - Qui lui ?
Victor se fâchant - Des questions, toujours des questions. Il vaut mieux tout oublier quand on sait qu'il n'y a pas de réponse.
Thalis conciliant - Vous avez dû avoir des jours heureux ?
Victor - Peut-être ; à moins que...
Thalis - Que quoi ?
Victor perturbé - Est-ce que c'était moi ? Ou est-ce que ce sont les souvenirs d'un autre ? Tout se brouille. Il passe tellement de monde ici.
Thalis - Vous jouez au vieil ours, ne parlez à personne, alors le monde....
Victor - Détrompe-toi, avant que tu n'arrives...
Thalis riant puis prenant le public à témoin - Ce serait moi qui vous aurais rendu silencieux ? Je n'y crois pas ! Le monde à l'envers !
Victor, des silences entre chaque phrase - Peut-être étais-je dans l'attente de quelqu'un ?
J'allais au devant d'eux, je les interrogeais, je voulais tout savoir de leur vie, du monde là-bas, si inconnu pour moi ; je leur demandais aussi s'il l'avait vue.
Et puis, je me suis lassé.
Trop de malheurs, toujours ! Trop de regrets ; trop de remords surtout. Ils vomissaient leur vie. Moi, j'ai eu la décence de ne pas étaler mes souffrances, j'ai tout étouffé au risque de m’asphyxier.
Victor se levant, le regard mauvais et montrant La Porte - C'est moi qui les envoyais là-bas pour ne plus les entendre, jérémiades insupportables, pour qu'ils disparaissent enfin, pour toujours. Vermine.
Thalis riant - J'ai échappé au massacre ! Dîtes-le que vous vouliez quelqu'un pour vous supporter et vous n'avez trouvé que moi !
Victor - Il s'est passé une drôle de chose
Thalis - Quoi ?
Victor perplexe puis montrant La Porte - Je ne sais pas, quelque chose d'inhabituel.
Toi, non je ne pouvais pas...
Thalis - Mystère. Bon ou mauvais ? Qu'y a-t-il derrière ? L'anéantissement ? Une autre vie ? Une autre dimension ? Les immenses retrouvailles ?
Victor - La source, l'empreinte originelle
Thalis - Le rire ? La beauté ? La tendresse ? Les femmes ? Une femme, l'élue !
Victor pas content du tout, se repliant sur lui-même – Ne dis pas de bêtises. Ce serait l'enfer !
Thalis - Curieuse conception !
On entend du bruit provenant du tunnel ; il devient de plus en plus fort
Thalis - Encore !
Victor - Oh non, c'est assez pour aujourd'hui !
Encore le bruit doublé d'un vagissement de nourrisson
Victor assis se relève brusquement ; il ordonne - Donne-moi ton bras, filons, partons le plus vite possible ; dépêche-toi, mais dépêche-toi donc
Sont projetés sur scène une jeune mère, un nourrisson dans les bras. Elle le serre fort contre elle.
Victor - Ne te retourne pas, avance, avance, je te dis avance, vite
Thalis qui s'est retourné - C'est une femme, elle est jeune, elle est avec son enfant
Victor qui continue à le tirer par la manche - Quel âge ?
Thalis - Je ne sais pas 25 ans, peut-être un peu plus.
Victor - L'enfant ! Pas la mère. Quel âge l'enfant ?
Thalis - Je ne le vois pas, elle le tient serré contre elle ; tout petit, un nourrisson sûrement ; pauvre petit, déjà là !
Victor - Il ne tient qu'à elle qu'il reparte. Si elle le lance dans la galerie d'où ils sont venus, il pourra repartir d'où il vient, faire le chemin de retour, sauvé.
Thalis - Vous en êtes sûr ?
Victor - Oui
Thalis - Je cours le dire à sa mère
Victor le tirant - N'en fais rien ; cela ne fera que compliquer les choses
Thalis - Mais pourquoi ? Il faut lui dire.
Victor martelant - Parce que je le sais, parce que c'est impossible pour elle, parce qu'elle devrait alors l'abandonner, parce que...
Ce ne sont pas nos affaires.
Thalis se dégageant puis courant vers la femme qui naturellement se dirigeait vers La Porte. - Vous êtes monstrueux.
Victor s'interroge puis la colère montant - Moi, monstrueux ? Peut-être. Sûrement, s'il le dit.
Est-ce ma faute à moi ?
J'ai tout vu : quand ils débarquent, les autres : les bons sentiments, les pleurs, les solidarités mais devant La Porte : les trahisons, les plus grandes lâchetés, l'angoisse qui prend aux tripes, la peur, l'immense peur et pourtant ils y vont.
J'irai, moi aussi, mais seulement quand je le déciderai, je n'en ai pas fini.
Il regarde au loin Thalis qui parle à la mère. La mère recule, revient vers le tunnel, repart, revient encore, hésite, regarde l'enfant ; pas en avant, pas en arrière, puis, comme une folle repliée autour de son enfant, court, trébuche, passe La Porte ; ils disparaissent.
Thalis est anéanti, il revient à petits pas vers Victor
Victor - Pas de commentaires, c'était écrit
Thalis - Il était si petit
Victor - Une mère ne se sépare pas de son enfant
Thalis - Mais si elle l'aime, pourquoi ne lui donne-t-elle pas une nouvelle chance de vie ?
Victor - Tu as raison « si » elle l'aime. L'amour, c'est une drôle de chose. Les femmes, tu as connu les femmes ? Thalis fait juste un signe de tête - Les femmes se racontent tellement d'histoires ; ce sont des hystériques. A la première tétée, c'en est fini, ils sont à elles, leurs gosses, rien qu'à elles ; on n'existe plus et surtout on n'a plus rien à dire. Et tu crois que c'est de l'amour ?
Thalis - Qu'est-ce que ce serait d'autre ?
Victor - Elles se donnent l'éternité en se perpétuant et devienne alors le Dieu créateur de l'enfant roi.
Thalis - Je n'ai pas eu d'enfant, je n'ai pas eu de mère, du moins je ne m'en souviens plus, quant au père, inconnu ! Alors je me les suis créés. Lui, il aurait été celui qui m'aurait tout appris et le rempart indéfectible qui m'aurait protégé et elle, la source de toute tendresse.
Victor - C'est d'un conventionnel ! Ce sont des ogresses, des pieuvres qui étouffent, qui retiennent. Leur amour est tissé de toutes les promesses qu'elles ne tiendront jamais. Regarde celle-là, elle avait le choix, le renvoyer vers la vie ou non, elle a préféré, au nom de ce qu'elle nomme amour, et que j'appelle possession, le serrer contre elle et basculer avec lui dans le vide.
Thalis - D'abord, on ne sait pas ce qu'il y a derrière. Pourquoi le vide ? Moi j'y vois autre chose, et cette autre chose est peut-être merveilleuse. Ensuite, la vie sans elle, orphelin dès le premier jour, elle a peut-être pensé que ce serait encore pire pour lui.
Victor - Une égoïste, oui, qui ne lui a laissé aucune chance. Son bien, elle ne voulait pas se départir de son bien.
Thalis - Non, non, je ne veux pas, regardez-les, imaginez-les maintenant, elle le nourrit encore, le réchauffe, ce ne peut être autrement !
Victor sceptique. Silence puis - Elle t'a manqué tant que cela ta mère ?
Thalis - Les deux m'ont manqué, oui tellement manqué! Mon père, ma mère !
En même temps, j'ai eu tellement de pères et mères que c'était bon !
Silence ; interrogation dans l’œil de Victor
Thalis - Je me les suis crées ; à 4-5 ans mon père était pompier et ma mère une fée toute enveloppée de voiles blancs étincelants. Le soir, dans mon lit, je les voyais, ils venaient tous les jours et c'était la fête !
Plus tard, ils ont tout fait pour moi ; il m'a emmené partout, explorateur, à la chasse aux lions, sur des vaisseaux spatiaux. Elle était danseuse, la plus belle des danseuses, magique, capable d'allumer les étoiles.
Il était grand, il était fort, il me disait « Fonce, vas-y, n'aie pas peur, je suis là » et j'avais alors tous les courages.
Elle, elle …, que je l'ai aimée, elle. Aussi douce qu'un oiseau, aussi généreuse que la pluie qui tombe en août sur des sols arides, tiède, nourricière. Ma mère...
Victor bourru, puis se radoucissant - Bon ça va ; du cinéma...
Du beau cinéma.
A nouveau rude - Mon manteau, où est mon manteau ?
Thalis - Vous l'avez sur le dos.
Silence
Thalis - Pourquoi le réclamez -vous toujours ?
Victor - Pourquoi pas ?
Thalis - Vous vous cachez dedans ; qu'avez-vous à dissimuler ?
Vous, peut-être ?
Victor - Ridicule !
Thalis - Il ne fait ni chaud, ni froid ici ; pas de jour, pas de nuit ; ni soleil, ni lune ; ni envie, ni dégoût ; ni désir, ni plaisir ; vous seul êtes en colère mais contre quoi, contre qui puisqu'il n'y a rien ? Pas une herbe, pas un arbre, rien... Qu'attendez-vous ?
Victor - Tu ne peux pas comprendre
Thalis - Dites toujours, j'essaierai
Victor changeant de conversation - Où sont-ils tes amoureux ?
Thalis - Ailleurs, ils vont revenir
Victor ricanant puis s'énervant - Pas d'autre choix. Je ne veux pas qu'ils restent. Qu'ils fichent le camp
Thalis - Mais pourquoi ?
Victor - Je suis mieux seul avec toi
Thalis - Elle est drôle, gaie et belle ; cela nous changera !
Victor - Quand elle aura compris, quelle désillusion ! Il ne faut pas qu'elle reste, je ne veux pas la voir ; chasse-les, renvoie-les.
Thalis - Allez plutôt ailleurs, vous !
Victor - Où ? Tu le sais bien qu'il n'y a pas d'ailleurs ; tout est désolation
Thalis - Pour vous. Pas pour moi et peut-être pas pour elle !
Victor - Faribole. Tu t'ennuies avec moi, dis-le
Thalis - Non, non mais...
Victor - Je ne suis qu'un vieux croûton qui n’intéresse personne.
Victor en aparté, tout doucement - J'aurais aimé la revoir, une fois encore.
Thalis qui a entendu, de même - Colombe ?
Victor sursautant - Comment le sais-tu ? Qui te l'a dit ?
Thalis - Vous, juste avant qu'ils n'arrivent, à moins que ce soit après ; cette femme avec l' enfant m'a bouleversé.
Victor - Qu'est-ce qui t'arrive ? On en a vu d'autres et bien pires. Tu n'as rien dit.
Tous ceux qui n'avaient pas réglé leurs comptes, les porteurs de secrets, les malfaisants que leur conscience in extremis avait rattrapés, tous ceux qui attendaient demain pour enfin faire la paix avec leurs proches, leurs voisins, les autres, et qui n'en avaient pas eu le temps
Thalis - Faire la paix ? Mais le monde n'est pas en guerre partout. Il y a des gens heureux, il y a des gens qui « ne voient en chaque chose que des choses jolies » ; c'était une chanson, là-bas, et je ne l'ai pas oubliée !
Victor - Brel
Thalis - Vous la connaissez ?
Victor - Oui
Thalis - Alors chantez-la plutôt que vos comptines pourries.
Long silence.
Thalis - Ce bébé qui pleurait. Je l'entends encore ; Je crois que j'aurais fait comme elle.
Victor - Je t'ai dit ce que j'en pensais. Les femmes... J'en voyais tant et tant; écoute moi bien et je ne te raconte pas d'histoires, elles me les amenaient pour s'en débarrasser. Occasion de bavarder comme des pies avec les copines, pendant ce temps-là, le gosse tournait. Et puis, tout d'un coup, quand elles l'avaient décidé, au moment où le gamin, étourdi, se prenait enfin pour le conducteur de la moto ou de l'engin spatial, elles te l'attrapaient, le faisaient descendre et l'embarquaient. Ils hurlaient tous ! Petit silence - Non, ne hurlaient que ceux qui étaient encore vivants, les autres, des larves, ils étaient déjà des larves.
Thalis - Vous déraillez complètement ; moi aussi je les ai vues ces mamans et leurs petits et si j'avais pu être leur petit... Elles riaient, les appelaient, faisaient des « coucous », prenaient des photos
Victor - Bonne conscience !
Thalis faisant apparemment des efforts pour se rappeler de quelque chose - Je crois, non maintenant j'en suis sûr, j' en ai fait un de tour, un seul. Je me vois encore. La mère de... Comment s'appelait-il ? La mère d’Amédée, c'est ça, Amédée mon copain à la petite école, j'étais là, elle m'a dit « grimpe ».
Heureux, ce jour là, j'ai été heureux comme un roi ! Les jours d'après je les ai attendus, ils ne sont jamais revenus.
Victor - Tu n'as rien perdu !
Thalis se rebellant puis plongeant dans la tristesse - Pourquoi vouloir tout décider pour les autres ? Je les regrette, moi, ces tours de manège non faits, que vous le vouliez ou non !
Alors je les ai rêvés et j'allais loin, très loin, je chevauchais des dragons, j'étais un astronaute perdu dans l'espace, des trucs de gosse. De pauvre gosse.
Victor adouci - Le manque exacerbe l'envie, c'est certain. Nous sommes débarrassés de ça ici ; bien sûr tout manque mais grâce à Dieu nous n'avons plus d'envies, plus de goût pour rien, plus de désir.
Thalis - Vous n'avez plus d'envies !
Silence
Thalis - En plus, ce n'est pas vrai. Colombe, vous attendez Colombe.
Victor se redressant et criant - Tais-toi ! Tais-toi ! Je t'interdis, elle n'est pas là, elle ne peut pas être là, je le sais...
Thalis - Mais qu'est-ce qui vous arrive ? Calmez-vous, calmez-vous !
Entrent Romeo et Juliette. Romeo a l'air sombre, Juliette toujours primesautière
Juliette - Ne criez pas comme ça, c'est mauvais pour vous, il est gentil, vous allez vous rendre malade
Victor entre ses dents - Vous, occupez-vous de vous et fichez le camp ; au diable !
Juliette à Thalis - Que lui arrive t-il ? Il n'est vraiment pas content, on l'entend de loin
Thalis fait le signe qu'il ne comprend pas.
Victor qui a entendu, hurlant puis retombant désespéré - Il n'y a pas de près, il n'y a pas de loin.
C'est le prix à payer pour nos ignominies.
Il s'approche de La Porte. Thalis se précipite, le retient, l'emmène en le soutenant de l'autre côté de la scène.
Thalis - Asseyez-vous. Tout doux, tout doux... Mettez votre manteau, reposez-vous.
Romeo qui regarde la scène de loin - C'est impossible de vivre ici ! On va devenir fous
Juliette - C'est mieux que là-bas, rappelle-toi, mon frère voulait te tuer. Jamais nous n'aurions pu vivre au grand jour notre amour
Romeo - Au grand jour ! Juliette arrête de jouer à la petite fille, c'est assommant à la longue. Tu le vois le grand jour ici ? Il aurait mieux valu disparaître.
Juliette - Disparaître, tu veux dire mourir mais je t'aurais perdu à tout jamais ! Embrasse-moi. Embrasse-moi vite.
Non seulement, il ne le fait pas mais il recule un peu. Thalis revient
Thalis - Excusez-le, il a de temps en temps des crises comme celle-là.
Juliette sourit - Il vous a, il devrait être heureux. Vous le connaissez depuis longtemps ?
Thalis - Je ne sais pas ; vous savez, ici...
Romeo - Ici, c'est insupportable, ici je n'y comprends rien, il faut partir
Thalis - Impossible
Juliette - Alors il faut faire quelque chose, changer
Romeo brutal - Quoi ?
Juliette regardant autour d'elle, allant vers Thalis - Changer...de décor ; on le peut n'est-ce pas ?
Thalis - Tous ne le peuvent pas
Juliette - Essayons
Romeo agressif - Tu es d'une bêtise, tu n'as rien compris, c'est une prison ici, un mouroir, nous n'en sortirons jamais !
Victor au loin gesticulant, montrant La Porte à Thalis avec l'air de dire « bascule le dedans »
Romeo - Qu'est-ce qu'il a encore le vieux ? Il ne peut pas la fermer !