L’Homme de la nuit

Vous êtes le seul à ne pas m’avoir fait rire, pleurer ou chanter ; mais peut-être aussi le seul à m’avoir tant donné ! Mesdames, à vous de juger :
Je ne connais rien de lui, pas même la couleur de ses yeux ; est-il grand ou petit ? Blond ou brun ? Vieux schnock ou bel éphèbe ? Rien, je ne sais rien, et pourtant, je lui ai appartenu ! Corps et biens ! Non, corps et corps uniquement, corps à corps encore et encore…
L’histoire est simple : j’avais le cœur en compote, j’avais juré que, plus jamais, aucun homme ne m’approcherait !
Mais la vie était là, et le printemps aussi.
Alors j’ai passé un coup de fil à un très bon ami :
« Oserais-je te demander ? J’aimerais… J’aimerais faire un petit tour, un tour d’amour avec un inconnu que, Dieu me garde, je ne veux pas voir ; sous aucun prétexte. Peux-tu m’aider ?»
Pas le temps de me retourner, l’affaire était arrangée.
C’est ainsi que, dans un bel hôtel particulier du côté de la Place des Vosges, je me suis retrouvée, un peu dépassée par les événements, le cœur battant, attentive au moindre bruit, attendant, dans une chambre obscure, un inconnu que je ne verrai pas et avec qui… Bref, passons !
Cet inconnu, c’était vous, qui acceptiez la règle établie.
Mystère de la nuit pour vous aussi ; vous vous êtes mis à fantasmer ! La femme de l’ombre, ce n’était pas moi, cette femme que vous ne connaissiez pas et qui vous attendait, mais une déesse que, depuis quelques heures, vous créiez, modeliez dans votre imaginaire !
Je n’avais d’autre choix que de relever le défi, c’est la déesse qui s’est ouverte à vous, à vos caresses, sans aucune pudeur, sans aucune honte ; explosion de l’instant que tout deux savions unique. Embrasement total.
Souvenirs, souvenirs… Aujourd’hui, je les éparpille devant vous ; drôles et quelquefois grinçants ! Se rappelle-t-il, le bel inconnu, des jurons proférés quand l’heure du départ a sonné ? Où étaient donc passés, dans cette obscurité, ses chaussettes, sa cravate et tout le reste ?
Vous, les femmes qui m’écoutez, sachez que, dès lors, ma vie a changé car cet homme ne m’a plus quittée ; il est là, dans ma tête ; ce qu’il m’a donné, c’est l’universalité !
Les années ont passé, mais encore aujourd’hui, à chaque homme rencontré, ici, là, ailleurs, je me dis : « C’est peut-être lui ! »