Métamorphose

Le réveil a sonné. J’ai ouvert les yeux ; la chambre était plongée dans la pénombre. Au travers des persiennes de pâles rayons de lumière. La masse des doubles rideaux sombres encadrait la fenêtre. La lampe témoin du radiateur, petite lampe rouge s’est allumée, faisant entendre un tout petit clic. Il doit faire froid dehors ai-je pensé. Couchée sur le dos, la tête enfoncée dans le grand oreiller, je me suis étirée lentement puis j’ai consciencieusement lissé les draps de chaque côté de mon corps. Le silence était lourd. Peut-on parler d’un silence assourdissant ?

S’il m’était donné d’oublier, d’oublier le poids de la vie, les soucis quotidiens, les enfants à aller chercher, les médicaments… S’il m’était donné… Alors j’ai prié Dieu et tous les saints. J’ai appelé à la rescousse Blanche Plume mon ange gardien et je l’ai supplié. « Aujourd’hui c’est dur, cela ne peut plus continuer, il faut m’aider, changer l’ordre des choses, je t’en prie, je t’en supplie, Blanche Plume, une seule fois dans ma vie – aujourd’hui – donne-moi la légèreté. »

J’ai refermé les yeux, senti un léger souffle sur le visage, comme une caresse, plus léger que l’haleine de la nuit. Une odeur de colchique sous la brise d’automne, et la douceur palpable des draps devenus voiles m’ont enveloppée. J’ai vu au-dessus de moi le plafond s’ouvrir sur un ciel de printemps. Grande scène d’un théâtre nouveau. De petits moucherons voletaient ça et là, dansants. Plus loin des oiseaux multicolores planaient. La lumière était douce. Je me suis alors vue sur mon lit, nue, débarrassée des draps et couvertures. J’ai vu mes mains, mes pieds fondre en minuscules gouttelettes d’eau. Elles ont formé petit à petit une mare brillante, scintillante, argentée. Ma tête et mon corps se sont joints, ne faisant plus qu’un, s’arrondissant. Je n’étais plus alors qu’un grand œuf. Je distinguais encore ma bouche qui pâlissait, mes yeux, petites ombres noires, ma colonne vertébrale aux multiples osselets. J’étais roulée en boule, bien au chaud dans une apesanteur vertigineuse. Yeux, bouche, traces de vie ont alors disparu. La boule de jaune pâle est devenue ivoire puis blanc cassé puis la couleur a fui comme lavée par le vent. Transparente et légère; bulle, j’étais devenue bulle au reflet mordoré ; alors, je me suis laissée aller. Tout doucement je me suis élevée. J’ai dérivé, baignée dans la lumière du jour, au gré des vents.